Israël-Hamas: la priorité sera-t-elle enfin donnée au sort des otages?
L’apaisement sur le front iranien focalise à nouveau le conflit sur le territoire palestinien. Mais entre l’offensive à Rafah et la libération des captifs, l’urgence n’est pas fixée.
Le soir du 22 avril, bon nombre d’Israéliens se sont réunis pour le repas de seder, ouvrant la fête de Pessah, la Pâque juive, qui s’étend jusqu’au 30 avril, en laissant autour de la table une chaise inoccupée. C’est ainsi qu’ils ont honoré les otages détenus dans la bande de Gaza, kidnappés à l’occasion du massacre du 7 octobre commis sur le territoire israélien adjacent par les miliciens du groupe islamiste palestinien Hamas.
Les derniers captifs parmi les 253 qui furent enlevés ce samedi-là auront-ils perçu l’élan de solidarité que traduit ce geste du fond du tunnel où ils sont peut-être retenus? Après 200 jours de détention, ils peuvent légitimement ressentir un sentiment d’abandon qui, conjugué aux conditions de vie auxquelles ils sont soumis, situe leur niveau de souffrance. Que ces conditions soient partagées, à des degrés plus ou moins grands, par la population palestinienne de Gaza et qu’elles soient aggravées par l’offensive militaire menée par Israël dans le territoire palestinien ne doit pas empêcher de qualifier cette situation de criminelle et dramatique et de rappeler que ce sont les dirigeants du Hamas qui en portent la responsabilité.
Front iranien «apaisé»
Si l’abandon est évoqué à propos du sort des otages, c’est non seulement parce qu’aucune initiative n’a abouti pour leur libération depuis 200 jours, mais aussi parce que, récemment, l’exacerbation de la tension entre Israël et l’Iran, dans laquelle le gouvernement de Benjamin Netanyahou porte une sérieuse part de responsabilité, a au minimum détourné l’attention de la situation à Gaza et contrarié l’approfondissement de négociations pour trouver une issue concertée au règlement du sort d’une partie d’entre eux, une quarantaine devant être élargis en vertu du dernier plan négocié. La réplique israélienne, le 19 avril sur le sol iranien, à l’attaque iranienne, la nuit du 13 au 14 avril en territoire israélien, toutes les deux suffisamment calibrées pour ne pas plonger la région dans une escalade aux conséquences incertaines, a, semble-t-il, clos, pour le moment, la confrontation. Cependant, il s’en serait fallu de peu que la situation ne dégénère vraiment puisque Israël, selon la chaîne de télévision ABC, aurait utilisé des missiles lors de son intervention contre une base militaire à Ispahan, et qu’il aurait fallu l’insistance des Etats-Unis pour que le gouvernement Netanyahou tempère ses ardeurs.
L’apaisement sur le front iranien permet-il d’espérer une focalisation, à nouveau, sur la recherche de la libération des otages? Ce pronostic était encore suspendu en milieu de semaine à la conjoncture… sur le front libanais. Le 23 avril, Tsahal a mené des opérations au sud du pays du Cèdre qui ont abouti à l’élimination de deux responsables du Hezbollah chiite pro-iranien, Hussein Azqul, présenté par Israël comme le «terroriste central» de l’unité de défense aérienne du mouvement, et Muhammad Attiya, membre de sa force d’élite Radwan. En réponse à ces deux assassinats, le Hezbollah a tiré «une pluie de roquettes» sur le nord d’Israël. Jusqu’à présent toutefois, il a adapté ses actions à sa volonté de ne pas engager une confrontation d’ampleur avec l’Etat hébreu, même lorsque son parrain iranien, dont le consulat à Damas en Syrie avait été détruit, a mené une opération sans précédent contre «l’ennemi israélien».
Une centaine d’otages
Alors, les questions gazaouies reviendront-elles en tête des préoccupations? On comprend assez mal, en réalité, pourquoi le Premier ministre Benjamin Netanyahou n’a pas semblé faire une extrême priorité de la libération des otages alors qu’en 2011, là aussi à la tête du gouvernement, il avait beaucoup consenti pour obtenir la libération du soldat Gilad Shalit. Depuis, le pogrom inédit du 7 octobre a changé le paradigme de la politique israélienne…
Le sort des otages mériterait pourtant une attention maximale. Sur les 253 personnes kidnappées le 7 octobre, 105 ont été relâchées du 24 au 30 novembre 2023: 80 Israéliens ou binationaux, 24 Thaïlandais et un Philippin. En contrepartie, 240 détenus palestiniens sont sortis des prisons israéliennes. Quatre autres captifs israéliens ou binationaux avaient été libérés auparavant, et l’armée israélienne avait réussi à extraire une de ses soldates de sa geôle du nord de la bande de Gaza. Lors de son offensive terrestre dans la profondeur du territoire palestinien, elle a aussi découvert les corps de quelques otages et permis la remise en liberté de deux autres lors d’une opération spécifique dans la ville de Rafah.
A l’heure actuelle, les estimations les plus répandues établissent à 129 le nombre de kidnappés du 7 octobre encore présents à Gaza. Mais parmi ceux-ci, 34 seraient décédés, d’après les services israéliens. Les responsables du Hamas s’évertuent en général à expliquer que leur décès résulte des bombardements ou des attaques terrestres israéliens. Des causes qu’il est impossible d’authentifier en l’absence d’enquête indépendante. Parmi les morts figureraient les derniers enfants censés être encore aux mains du Hamas, Kfir Bibas, 9 mois, et Ariel, son frère de 4 ans, tués en même temps que leur mère Shiri. Au rang des rescapés, une centaine de personnes donc, on dénombrerait encore dix étrangers, dont huit Thaïlandais et un Népalais. Et des binationaux, dont trois qui ont la nationalité française, et huit Américano-Israéliens.
Violences sexuelles
Le mystère entoure aussi les conditions de vie des détenus de Gaza. Mais à moins d’être benoîtement optimiste, on peut douter qu’elles soient simplement humaines. Exposés à la haine de leurs geôliers, aux privations propres à la guerre, et aux mesures prises pour empêcher leur libération, dont probablement une détention pour beaucoup dans le dédale des souterrains creusés par le Hamas, les otages vivent vraisemblablement un enfer.
«Toutes les filles [détenues par le Hamas] sont harcelées sexuellement, d’une manière ou d’une autre.»
«En tant que femme ayant vécu cette expérience, je peux vous dire que la terreur est sans fin, a témoigné, le 2 avril, devant la commission des droits de l’homme de la Knesset, Sharon Aloni Cunio, libérée en novembre dernier. Etre une femme en captivité, c’est avoir constamment peur. L’impuissance est un sentiment que je ne souhaite à personne. Le temps s’arrête, chaque minute est une éternité, chaque mouvement du terroriste donne la chair de poule, car qui sait ce qui va se passer? Me fera-t-il du mal?» Lors de la même session, Maya Regev, rendue à la liberté également en novembre, a évoqué les agressions sexuelles dont sont victimes les captives. «Toutes les filles sont harcelées sexuellement, d’une manière ou d’une autre. Peu importe la façon dont vous essayez de présenter les choses. En tant que citoyenne, le 7 octobre, je n’ai pas compris pourquoi personne n’est venu me secourir en quelques heures; c’est aussi le cas de toutes les femmes qui se trouvent à Gaza», a-t-elle déploré.
Fiasco sécuritaire
Cette non-assistance à personne en danger est un des fiascos enregistrés par les services de sécurité et de renseignement israéliens, le 7 octobre et les jours suivants. Etonnamment, ils n’avaient entraîné aucune conséquence dans l’appareil sécuritaire. Le chef des renseignements militaires israéliens a sauvé l’honneur, le 22 avril, en offrant sa démission. Dans sa lettre, le général Aharon Haliva dit «assurer l’entière responsabilité des défaillances du renseignement qui ont permis au Hamas de mener à bien son assaut surprise». Le chef de l’agence de sécurité intérieure, le Shin Bet, Ronen Bar, et le chef d’état-major de l’armée, Herzi Halevi, sont aussi dans le viseur des citoyens et des dirigeants politiques israéliens qui demandent que les responsabilités de l’échec du 7 octobre soient établies et que des sanctions s’ensuivent.
«La logique militaire classique aurait voulu qu’on lance une attaque simultanée au nord et au sud de la bande de Gaza.»
Le fiasco de l’après-7 octobre, lui, est clairement expliqué par l’ancien officier des renseignements militaires israéliens, Raphaël Jerusalmy, dans une contribution au site de la chaîne de télévision i24News. Evoquant l’erreur politique qui a constitué à ne pas former un gouvernement d’union nationale, il en cite une deuxième, stratégique. «Il aurait fallu établir un ordre de priorité clair plutôt que de laisser planer des ambiguïtés. On a mené « de front » la destruction militaire du Hamas et les tentatives de libérer les otages. Une première trêve a permis d’en libérer certains. Grâce à la pression militaire? C’est cette même pression qui motive aujourd’hui le Hamas à garder précieusement l’atout que représentent les otages, comme assurance vie et bouclier humain. Si l’on avait fixé comme objectif primordial la libération des otages, Tsahal n’aurait entamé son offensive terrestre que par la suite, sans être constamment freinée par la crainte de détruire des tunnels ou des positions où pourraient se trouver des otages. Entre-temps, des bombardements et incursions ponctuels et chirurgicaux auraient suffi, et surtout des éliminations ciblées de dirigeants et commandants ennemis qui sont la seule vraie pression qui puisse les inquiéter», détaille Raphaël Jerusalmy. On mesure aujourd’hui, 200 jours après l’attaque du Hamas, les conséquences de ces décisions sur le sort des otages.
Toujours Rafah
D’autant que l’expert du renseignement épingle une troisième erreur des dirigeants politiques et militaires israéliens. «La logique militaire classique aurait voulu qu’on lance une attaque simultanée au nord et au sud de la bande de Gaza, resserrant ensuite l’étau vers le centre, et prenant ainsi l’ennemi en sandwich. Sinon, il semble qu’il aurait été plus efficace de commencer par le sud, par Rafah, pour couper toute voie d’échappée des terroristes vers l’Egypte et bloquer l’approvisionnement clandestin en armement venu du Sinaï.» Au lieu de cela, Israël est confronté à une série de dilemmes: éradiquer le Hamas ou libérer les otages, lancer une offensive terrestre sur Rafah ou préserver l’alliance occidentale restaurée par la confrontation avec l’Iran…
La pression des familles des otages et des alliés américains ne semble pas devoir infléchir le jusqu’au-boutisme de Benjamin Netanyahou. A Rafah, au Liban ou en Syrie, il préfère la fuite en avant que les «petites victoires».
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