Israël-Hamas: pourquoi la libération des otages est à la fois un soulagement et un supplice
Un mélange de joie et tristesse accompagne les remises en liberté des captifs du Hamas. Sans doute le processus ne pourra-t-il pas aller jusqu’à son terme.
Rarement une prise et une libération d’otages auront à ce point marqué un conflit. Enclenchée le 24 novembre, la première phase de l’accord scellé entre Israël et le Hamas par l’intermédiaire du Qatar, prévue sur quatre jours, a été respectée par les parties. Cinquante Israéliens ou binationaux, femmes et enfants, ont été remis au Comité international de la Croix-Rouge, concomitamment à la libération de prison de 150 femmes et enfants palestiniens. L’aide humanitaire promise a été acheminée dans la bande de Gaza. Et la trêve a été globalement respectée, malgré des heurts, le 28 novembre, au nord de la bande de Gaza. Autant d’arguments pour autoriser une prolongation de l’opération de deux jours, jusqu’au 30 novembre à 6 heures du matin. L’opération est donc en soi un succès, mais son goût est très amer et ses lendemains très incertains.
Les Israéliens sont suspendus au respect de ses engagements par le Hamas pour espérer «ramener les otages à la maison».
Libération des otages: qui est concerné?
Les captifs libérés par le Hamas dans la phase initiale de l’arrangement sont tous des grands-mères, mères ou enfants. Pas de surprise, donc. Le deal le prévoyait. A priori, et pour parler cyniquement, le groupe islamiste palestinien détient encore «suffisamment» de femmes et d’enfants pour «remplir» ses obligations au cours des deux journées de prolongation de l’accord qui impliquait vingt nouvelles libérations.
Il faut noter, par ailleurs, que 19 autres otages ont été libérés au cours de la première phase de l’arrangement. Mais les 17 Thaïlandais, le Philippin et le Russo-Israélien concernés, tous des hommes, n’étaient pas inclus dans la négociation chapeautée par Doha. Leur élargissement résulte d’une initiative spécifique de l’Iran à la demande, notamment, du Premier ministre thaïlandais Srettha Thavisin et du président russe Vladimir Poutine.
Autre particularité de la première vague de libérations des otages: relativement peu de citoyens partageant la nationalité israélienne avec celle d’Etats qui comptent sur la scène proche-orientale y figurent. Une seule Américano-Israélienne, la très jeune Abigail Idan, 4 ans, et trois Franco-Israéliens, Eitan Yahalomi, 12 ans, Erez Kalderon, 12 ans, et Sahar Kalderon, 16 ans ont été remis en liberté dans cette phase initiale. En revanche, pas moins de dix Germano-Israéliens ont bénéficié d’une libération. On comprend l’objectif poursuivi par cette sinistre sélection selon l’entendement du Hamas. Conserver des Franco-Israéliens et encore plus des Américano-Israéliens est un argument pour pousser les présidents américain et français à faire pression sur les autorités israéliennes pour qu’elles prolongent l’opération.
La poursuite du processus de libération des otages est-elle plausible?
Le chef du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, David Barnea, et son homologue de la CIA, William Burns, ont à nouveau pris la direction de Doha, le 28 novembre, pour envisager l’éventuelle suite du processus au-delà des deux jours de prorogation. Selon la chaîne de télévision israéliennes Kan, les autorités israéliennes n’envisagent pas que la trêve dans les combats à Gaza excède dix jours. «Nous mènerons une action intensive pour parvenir à l’extension de la trêve. Car l’organisation du Hamas a confirmé qu’elle pouvait libérer un plus grand nombre de personnes enlevées», a en revanche affirmé, le 28 novembre, un diplomate qatari.
L’incertitude prévaut donc quant à la suite des opérations. Mais un constat s’impose, lui aussi cynique. Plus la «réserve» des captifs se circonscrira aux groupes des hommes adultes, y compris les soldats, plus le «prix» que réclamera le Hamas s’avérera élevé. A ce stade, le ratio de l’échange est de un otage pour trois détenus palestiniens. Lorsque le militaire Gilad Shalit avait été capturé par un commando palestinien en 2006, sa libération cinq ans plus tard n’avait été permise que moyennant la sortie des geôles israéliennes de près de mille Palestiniens…
La première étape de l’accord entre Israël et le Hamas a été facilitée par le fait que les otages concernés étaient «simples à libérer». Plus l’opération se prolongera, si c’est effectivement le cas, plus elle se compliquera. Et, pour dire vrai, le groupe islamiste n’a pas d’intérêt à la mener à son terme tant qu’Israël promet de reprendre sa mission d’éradication du Mouvement de la résistance islamique une fois réglée la question des otages. Or, sauf succès improbable des pressions des Etats-Unis, le cabinet de guerre israélien n’entend pas dévier de son objectif.
Quelles conditions de détention?
On le comprend aisément. Les témoignages de captifs sur leurs conditions de détention sont rares. Il s’agit de ne pas compromettre la suite du processus, d’autant que certaines personnes libérées ont soit un père, soit un mari toujours aux mains du Hamas. Une tante du jeune franco-israélien Eitan Yahalomi, libéré le 27 novembre, a cependant révélé à BFM TV qu’il avait vécu «des horreurs en captivité». «Chaque fois qu’un enfant pleurait, les terroristes le menaçaient avec une arme pour qu’il se taise.» Ses geôliers ont aussi forcé Eitan à regarder des vidéos du massacre du 7 octobre, a-t-elle expliqué. Un oncle de Noam et Alma Or, libérés le 25 novembre, a pour sa part affirmé à la chaîne israélienne i24 News que «des choses horribles se sont produites pour eux, qui ont rendu l’expérience [de la détention] difficile». Il n’en a pas précisé la teneur. Ces deux adolescents ont été retenus dans une pièce d’une habitation, a-t-on également appris. Cela a été le cas pour une autre captive. Tous les otages du Hamas n’ont donc pas été détenus dans des tunnels.
Les examens effectués sur les anciens otages, ceux libérés lors de phase initiale, ont tous conclu à un état de santé satisfaisant. Seule, Elma Avraham, 84 ans, a été hospitalisée dans un état grave qui s’est ensuite amélioré et dont on ne connaît pas l’origine.
Un «bénéfice» pour le Hamas?
L’accord de Doha, qu’Israël le veuille ou non, place le Hamas, organisation terroriste, en interlocuteur. Le sort des otages et la pression de leur famille ont forcé logiquement les autorités israéliennes à ce marchandage. Il est douloureux. Les Israéliens sont suspendus au respect de ses engagements par le Hamas pour espérer «ramener les otages à la maison». Il n’est pas infamant s’il permet de réunir des familles et d’apaiser, tant que faire se peut, une société meurtrie. En attendant, il profite aussi au Hamas.
Le groupe islamiste gagne des partisans chaque fois que des femmes et des enfants sont libérés par Israël et accueillis en héros en Cisjordanie. Preuve de l’embarras de l’Autorité palestinienne qui gère ce territoire palestinien. Aucun des ses représentants ne participe aux réjouissances. Et elle ne peut que constater la floraison de drapeaux du Mouvement de la résistance islamique lors de chaque célébration. Cette popularité s’ajoute à celle acquise après le massacre de 1 200 Israéliens le 7 octobre, malgré sa barbarie. Selon une étude réalisée entre le 21 octobre et le 7 novembre, soit avant les premières libérations d’otages, par le Groupe de recherche et de développement du monde arabe (Awrad), 59,3% des personnes interrogées en Cisjordanie «soutiennent pleinement l’opération militaire menée par la résistance palestinienne dirigée par le Hamas le 7 octobre».
Même si la formulation de l’assertion proposée aux sondés pose question, le résultat situe le niveau de détestation qui prévaut chez les Palestiniens à l’égard d’Israël. La perspective d’un dialogue prélude à la paix n’en est que plus hypothétique.
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