« Israël a beau être un Etat nucléaire, doté d’une armée puissante, il n’est pas invincible »
Samedi à l’aube, le mouvement islamiste palestinien Hamas a lancé une offensive sanglante contre Israël, faisant plus de 700 morts du côté israélien. Comment expliquer cette éruption de violence ? Décryptage avec trois experts.
D’après un dernier bilan officiel, plus de 700 personnes ont péri côté Israël, le bilan le plus lourd pour une attaque anti-israélienne. Parmi elles, jusqu’à 250 ont été massacrées dans une rave party près de Gaza d’après une ONG. Les frappes israéliennes menées en riposte ont causé « 560 personnes tuées et 2.900 blessées », d’après le ministère contrôlé par le Hamas au pouvoir depuis 2007.
Professeure à l’Institut des sciences politiques de l’UCLouvain et spécialiste du Moyen-Orient, Elena Aoun souligne que l’attaque du Hamas n’était qu’une question de temps. « La situation dans les territoires palestiniens est intenable. Il y a tout un ensemble d’organismes qui le disent depuis des années, et en particulier à Gaza », déclare-t-elle.
C’est également l’avis de Bichara Khader, directeur du Centre d’études et de recherches sur le Monde Arabe contemporain. « Tout laissait présager un embrasement. L’occupation israélienne perdure depuis 1967, la colonisation se poursuit sans répit. La bande de Gaza en particulier -365 kilomètres carrés et 2 millions d’habitants-, est assiégée depuis 2007 et est devenue une prison à l’air libre, déclarée inhabitable par les Nations-Unies », explique-t-il.
Une manière d’opérer inédite
Pour Bichara Khader, le Hamas voulait produire un électrochoc. « Je pense qu’il a réussi, car en dépit des condamnations rhétoriques, la communauté internationale prend conscience de la situation. Le Hamas a démontré qu’Israël a beau être un état nucléaire, doté d’une armée puissante, il n’est pas invincible ».
En revanche, la manière d’opérer est inédite. Alors qu’auparavant, le fer était porté sur les territoires qui s’opposent à Israël, tels que les territoires palestiniens, l’état hébreu a été attaqué sur son territoire. « Personne n’aurait imaginé que les Palestiniens du Hamas étaient en capacité d’entreprendre une opération de cette envergure, qui ne prend pas uniquement le format habituel du lancement de roquettes, mais qui se double d’une multiplication des brèches de la barrière qui enferme Gaza depuis plusieurs décennies. Ce qui sidère le plus, c’est cette capacité à aller porter le fer sur le territoire israélien. Je ne sais pas si en dépit de la préparation de l’opération, le bilan ne dépasse pas ce que le Hamas lui-même avait anticipé », estime Elena Aoun.
Quel impact pour la région ?
Que signifie cette attaque pour la région, et particulièrement pour le rapprochement entre Israël et les pays arabes amorcé en 2020, comme « l’aube d’une nouvelle ère » sous la dynamique des accords d’Abraham? « Bien entendu, ce genre de situation risque de faire dérailler un rapprochement entre les Saoudiens et les Israéliens. Comment les Saoudiens pourraient-ils justifier qu’ils se rapprochent d’Israël ? », s’interroge Raoul Delcorde, professeur en questions internationales à l’UCLouvain.
Raoul Delcorde souligne également la nécessité de surveiller le Hezbollah, un allié du Hamas palestinien et de l’Iran. « Si le Hezbollah, qui est jusqu’à présent resté assez vocal, commence à attaquer par le nord, on aurait deux fronts, un au sud, et un au nord. Dans ce cas-là, le conflit prend une autre dimension. Là, je ne serais pas étonné qu’Israël exerce des représailles tant sur le Liban, que sur l’Iran », déclare-t-il.
Quel rôle pour la communauté internationale dans le conflit entre Israël et les Palestiniens ?
Selon Elena Aoun, l’immense majorité des acteurs qui comptent, à la fois dans la région, et sur la scène internationale, oublient complètement le paramètre palestinien. « Dès que les Palestiniens mouftent de quelque manière que ce soit, on les ignore totalement, et quand ils se montrent violents, on considère que c’est du terrorisme, et donc on les disqualifie. De cette manière, on ignore les racines profondes de ce mal qui ronge à la fois la société palestinienne et Israël. En un seul terme, cela peut se résumer en une logique coloniale qui corrompt tant la société qui domine, que celle qui est dominée ».
Pour la professeure, les conséquences en matière de traumatisme israélien sont incommensurables. Aussi craint-elle que les violences mènent à une radicalisation à court et à long terme, alors que le pays est plongé dans une tendance de plus en plus radicale et extrême droite. « Est-ce qu’une fois le choc absorbé, il y aura des voix dissidentes qui vont commencer à se poser les bonnes questions à savoir pourquoi la violence est telle, pourquoi on n’arrive pas à un règlement avec les Palestiniens qu’on ne peut pas juste effacer ? », s’interroge-t-elle.
La professeure ne cache pas son pessimisme. « Ce qui me glace le sang, quand je lis les réactions des uns et des autres, c’est que je ne vois absolument pas la communauté internationale prendre le chemin des négociations, et d’une certaine manière nous ne pouvons pas reprocher à Israël d’être ce qu’il est aujourd’hui en dehors de la réaction à l’attaque particulièrement douloureuse et sanglante du Hamas ».
« Là, où depuis quelques décennies, il y avait encore des acteurs comme l’UE, avec une voix de modération qui cherchait à préserver une certaine équidistance, aujourd’hui, il n’y a presque aucun acteur qui revendique cette équidistance. Tout le monde, ou presque, a pris fait et cause pour Israël. Cela présage qu’on va continuer dans une ignorance presque totale des germes de la violence, qui aujourd’hui s’expriment dans cette opération extrêmement sanglante du Hamas », conclut-elle.
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