Iran: qui pour succéder à Hassan Rohani?
Les modérés ont été écartés de la course à la présidence de l’Iran, qui semble acquise à Ebrahim Raïssi. Le vrai pouvoir reste entre les mains du Guide suprême, qui règne sur une théocratie qui se militarise toujours plus. Avec le nucléaire en toile de fond.
Qui pour succéder à Hassan Rohani, qui achève son second et dernier mandat de président de la république islamique d’Iran? Sept prétendants ont été autorisés à se porter candidat, dont cinq ultraconservateurs, tandis que les modérés ont été écartés par le Conseil des gardiens de la Constitution, et donc indirectement par le Guide suprême. Pour la plupart des iranologues, le résultat est joué d’avance: le poste devrait revenir (à l’automne) à Ebrahim Raïssi, un religieux de 60 ans, qui avait obtenu le deuxième score à l’élection de 2017. Il est actuellement chef de l’appareil judiciaire iranien. S’il est élu, les conservateurs contrôleront tous les leviers du pouvoir, alors que l’Iran se distinguait jusque-là par un équilibre des forces aux manettes de l’Etat, Rohani étant rangé dans le camp des « réformateurs ».
Le Guide suprême de la révolution islamique dispose d’une autorité sans comparaison avec celle des instances élues.
« En 1988, Raïssi a été membre d’un soi-disant Comité de la mort tenu pour responsable de l’exécution de 30 000 prisonniers politiques en Iran », tient à rappeler Siavosh Rajizadeh, au nom du Conseil national de la Résistance iranienne, vitrine de l’Organisation des moudjahidines du peuple, principal groupe d’opposition au régime. Ce palmarès pouvant gêner les contacts avec l’Occident, la théocratie iranienne pourrait in fine propulser un candidat plus présentable, par exemple Abdolnaser Hemmati, gouverneur de la Banque centrale. En attendant, la colère gronde face au désastre économique, aggravé par la Covid et les sanctions américaines. Face à des militants plus virulents que jamais, et qui appellent au boycott du vote – on évoque une abstention record -, le régime veut éviter à tout prix une réplique des grandes manifestations de 2019, et qui avaient fini dans le sang: plus de 1 500 civils abattus.
Le vrai pouvoir reste toutefois aux mains du Guide suprême, Ali Khamenei, 82 ans, en fonction depuis 1989 après avoir été lui-même président. « Le Guide, explique un diplomate européen, dispose d’une autorité sans comparaison avec celle des instances élues (NDLR: sont élus au suffrage universel direct le président, le Majlis – Parlement -, l’assemblée des experts et les conseils municipaux), non seulement parce que c’est à lui, et non à ces instances, de déterminer la politique générale que suivra le régime, mais également parce qu’il peut exercer un pouvoir direct sur la plupart d’entre elles », et notamment le pouvoir de révocation du président. Et tout cela est inscrit dans la Constitution.
Un « deal » sur le nucléaire
Dans ce pouvoir organisé en cercles concentriques, « les grandes lignes des relations extérieures de l’Iran ne sont pas définies par le gouvernement ou par le président, observe notre diplomate, mais par le Conseil suprême de sécurité nationale, dont les décisions doivent recevoir l’aval du Guide. » Le chef de la diplomatie doit en outre compter avec un Conseil stratégique des relations étrangères, dont les membres sont nommés directement par le Guide, « et qui semble avoir pour principale mission, vu sa composition ultraconservatrice, non pas d’aider le ministre mais bien de le contrôler ».
Sur le dossier nucléaire, Raïssi soutient le retour à l’accord de Vienne de 2015, qui avait permis à Téhéran d’obtenir la levée des sanctions occidentales en échange d’un renoncement à se doter de l’arme atomique. Donald Trump avait révoqué l’accord en 2018 et renforcé les sanctions américaines contre la république islamique, qui, en retour, a commencé à s’affranchir des limites imposées à son programme nucléaire. « La position dure de Washington a sapé celle des réformateurs et donné des arguments aux radicaux pour démontrer que tout rapprochement avec l’Occident n’apporte rien de bon », note Firouzeh Nahavandi, professeure à l’ULB.
Avec Joe Biden, les deux pays ennemis depuis 40 ans pourraient trouver un compromis, synonyme de levée des sanctions. Mais les Etats-Unis ont déjà annoncé qu’ils en maintiendraient « des centaines » d’autres, à savoir celles qui concernent « les nombreux comportements néfastes de l’Iran ». La liste américaine est longue: financement du terrorisme, violation des droits humains, influence militaire au Moyen-Orient, menace sur Israël, entente avec la Chine…
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Successeur de Khamenei?
Si beaucoup de décisions se prennent en coulisse, les luttes internes ne sont pas absentes, surtout parmi les tenants de la ligne dure. Elles sont parfois tellement féroces qu’elles éclatent au grand jour, comme ce fut le cas en 2010, lorsque la rupture entre le président Ahmadinejad et le Guide a fini par devenir publique. Autant dire que Raïssi n’est pas encore assuré de succéder au Guide Ali Khamenei, dont il a été l’élève, même si cette éventualité prend de la consistance. Ali Khamenei était lui-même président de la république au moment où il a été appelé à occuper le poste suprême à la mort de l’ayatollah Khomeiny. A noter, toutefois, que Raïssi n’a que le rang inférieur d’hodjatoleslam, ce qui pourrait l’handicaper.
« Les Gardiens de la révolution pourraient aussi considérer qu’ils sont devenus suffisamment puissants pour désigner une personnalité ouvertement proche de l’appareil militaro-sécuritaire du régime, estime le diplomate. Plusieurs possibilités existeraient à cet égard, dont le propre fils du Guide actuel, Mojtaba Khamenei. » Il n’y aurait dès lors plus de grandes différences entre la république islamique et une dictature militaire. Malgré de rudes luttes d’influence dans le premier cercle, toutes ces institutions, et d’abord le clergé, savent se rassembler autour de leur intérêt commun: la survie du régime.
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