Iran : le sale chantage aux otages
Le régime de Téhéran a élevé au rang de stratégie son utilisation des otages occidentaux comme monnaie d’échange. Les Etats victimes s’en dépêtrent généralement sans gloire. Le piège tendu à Olivier Vandecasteele et à la Belgique n’est pas le plus simple à déjouer.
Le contexte
Cela fait bientôt un an que le travailleur humanitaire belge Olivier Vandecasteele a été arrêté en Iran. Condamné à quarante ans de prison pour «espionnage», il sert en réalité de monnaie d’échange au régime de Téhéran pour forcer la libération d’un Iranien condamné à Anvers pour terrorisme. La Belgique a déjà été confrontée à un autre chantage aux otages à travers le cas du médecin irano-suédois et professeur à la VUB Ahmadreza Djalali, condamné à mort en octobre 2017, lui aussi utilisé dans le cadre d’un éventuel échange avec le détenu en Belgique et aussi avec un Iranien, Hamid Nouri, condamné à la prison à perpétuité en juillet 2022 en Suède pour crimes de guerre et assassinats lors du «massacre des prisons» en 1988, en Iran.
Quatre opposants au régime ayant participé à la révolte du peuple iranien en réaction au meurtre de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022 après son arrestation par la police des mœurs, ont été exécutés depuis le 8 décembre. Entre une vingtaine et une soixantaine d’autres ont été condamnés à mort et pourraient subir le même sort. Dans un autre registre, Alireza Akbari, ressortissant irano-britannique de 61 ans, a été exécuté le 14 janvier après avoir été reconnu coupable d’espionnage. Cet ancien haut responsable du ministère iranien de la Défense avait été arrêté entre mars 2019 et mars 2020… La République islamique d’Iran semble être engagée dans une fuite en avant de la terreur, dépassée peut-être par l’ampleur persistante et inattendue du soulèvement d’une partie des Iraniens dans la foulée de l’insurrection des femmes.
La singularité de la Belgique est que, si échange de prisonniers il devait y avoir, nous aurions un cadre légal pour le faire…
Cette répression n’augure en rien du sort qui pourrait être réservé au Belge Olivier Vandecasteele, arrêté le 24 février 2022, détenu depuis dans des conditions difficiles et condamné à quarante ans de prison et 74 coups de fouet, selon un «jugement» sur lequel plane encore des incertitudes. Seulement, le climat qui prévaut en Iran, entre prémices de guerre civile, paralysie du processus de relance de l’accord sur le nucléaire et assistance à la Russie dans la guerre en Ukraine, ne prédispose pas à une réflexion et une négociation sereines.
Les bases d’un échange
Le dilemme est posé en Belgique: faut-il livrer à Téhéran des personnes condamnées pour terrorisme afin d’obtenir la libération d’Olivier Vandecasteele ou doit-on s’en garder au nom de la défense de l’Etat de droit, avec le risque de prolonger la souffrance de notre concitoyen? Un traité de transfèrement de prisonniers entre la Belgique et l’Iran a été conclu en mars 2022 et adopté par la Chambre des représentants en juillet. Il devait permettre l’échange entre Olivier Vandecasteele et Assadollah Assadi, membre des services de renseignement iraniens condamné par un tribunal d’Anvers pour sa participation à une tentative d’attentat visant l’opposition iranienne en meeting près de Paris en juin 2018. En décembre 2022, la Cour constitutionnelle a suspendu provisoirement l’entrée en vigueur de la loi de transfèrement. Elle doit se prononcer sur le fond d’ici à la fin du mois de mars.
«La politique de complaisance et de concessions à l’égard du régime iranien pour obtenir la libération des otages l’a poussé à continuer l’immonde commerce du chantage et de la prise d’otages», a plaidé le Conseil national de la résistance iranien pour justifier sa requête devant la Cour. Mais à cette légitimité s’oppose celle des parents et amis d’Olivier Vandecasteele, dont on comprend naturellement la volonté de tout entreprendre pour le revoir le plus rapidement possible.
Concessions à l’Iran
La Belgique est donc piégée par «la stratégie des otages» pratiquée par le régime des ayatollahs. Elle n’est pas la seule. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni – comme on l’a vu avec le cas d’ Alireza Akbari –, la France, l’ Australie… ont, ou ont eu, à subir les affres de la pratique de la «monnaie d’échange» des otages exercée par Téhéran. Les uns et les autres s’en sont sortis plus ou moins glorieusement, mais jamais sans concéder quelque chose à l’Iran.
L’Irano-Britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffle a été libérée le 16 mars 2022 après le règlement par Londres d’une «dette» de quelque 400 millions de livres sterling pour un contrat d’armement souscrit du temps du Shah et annulé au moment de l’avènement de l’ayatollah Khomeini au pouvoir en Iran. L’ Américain Xiyue Wang a été élargi en décembre 2019 contre la libération du scientifique iranien Masoud Soleimani, emprisonné pour avoir contourné les sanctions américaines contre l’Iran. Le Français Roland Marchal l’a été en mars 2020 contre la remise en liberté et le rapatriement à Téhéran de Jalal Rohollahnejad, détenu pour les mêmes préventions que Soleimani. Sa compagne, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, est en revanche toujours détenue en Iran.
Rapport de force
Lors du débat, le 20 juillet 2022 à la Chambre, sur le traité de transfèrement de prisonniers entre l’Iran et la Belgique, le député socialiste Malik Ben Achour avait rappelé le précédent de l’échange de Roland Marchal avec le détenu iranien. «La singularité de la Belgique est que, si échange de prisonniers il devait y avoir, nous aurions un cadre légal pour le faire. La France le fait de manière extralégale, en sous-marin, de service de sécurité à service de sécurité. […] N’oublions pas non plus que ce traité est réclamé par notre diplomatie, qui nous dit que nous avons besoin de ce cadre pour améliorer le rapport de force qui est le nôtre dans nos discussions avec les autorités iraniennes.» A posteriori, certains pourraient se demander si, pour des opérations peu glorieuses, la diplomatie secrète et «borderline» ne serait pas plus efficace. Encore faudrait-il sans doute en avoir les moyens. La Belgique ne peut pas se prévaloir du même «rapport de force» que la France dans ce genre de situation. Mais ce serait évidemment faire peu de cas de l’Etat de droit.
«Nous ferons tout pour récupérer l’homme (NDLR: Olivier Vandecasteele), dans le respect des principes de l’Etat de droit, et nous réussirons», a donc bien indiqué le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), dans l’émission De Zevende dag de la VRT, le 15 janvier. Mais si la Cour constitutionnelle venait à recaler la loi de transfèrement des prisonniers, au motif, par exemple, qu’il n’y aucune chance qu’Assadollah Assadi purge sa peine de prison en Iran, on ne voit pas au stade actuel la solution que trouverait le gouvernement dans le respect de l’Etat de droit pour sortir Olivier Vandecasteele de sa geôle iranienne.
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