Ana et sa fille Marya réunies: des retrouvailles éphémères. © dr

Irak: la double peine des femmes yézidies violées et séparées de leurs enfants

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Hawar, nos enfants bannis, film de Pascale Bourgaux, retrace la quête d’une mère ancienne captive de Daech pour retrouver sa fille.

Il y a bientôt dix ans, Daech s’emparait d’un large territoire entre Syrie et Irak et y instaurait un califat depuis la ville irakienne de Mossoul. Les membres du groupe djihadiste perpétraient de nombreuses violences contre les populations civiles, notamment la minorité religieuse des Yézidis. Le 3 août 2014, ils prenaient d’assaut le village où vivait la famille d’Ana et enlevaient la jeune fille de 19 ans, comme ils allaient le faire avec des milliers d’autres femmes pour en faire des esclaves sexuelles. C’est le parcours d’Ana (prénom d’emprunt) qui est au cœur du remarquable film de la journaliste Pascale Bourgaux et du cinéaste kurde Mohammad Shaikhow, Hawar, nos enfants bannis (Iota Production et Louise Production), présenté depuis quelques semaines dans des festivals et autres manifestations.

C’est aussi la conséquence des décisions patriarcales du clergé yézidi.

Ana est emmenée par ses ravisseurs à Mossoul puis transférée après quelques jours en Syrie. Là est organisée une loterie dont les «trophées» sont les femmes yézidies. Une est promise à chaque combattant de la bataille du Singar, haut lieu de la présence de la communauté en Irak. Pour Ana, «donnée» à un djihadiste kurde irakien, le viol devient pratique quotidienne. Elle tombe enceinte, tente vainement de provoquer un avortement et accouche d’une petite fille. Aussitôt, l’attachement maternel envers le nouveau-né «innocent» prend le pas sur la détestation à l’égard de «l’enfant de l’ennemi» ressentie au moment de la grossesse.

Après des mois de souffrances, Ana est libérée. Commence alors un autre calvaire. Son père et un oncle demandent à la jeune mère d’abandonner son enfant. «Même si la fille n’est pas coupable, les Yézidis refusent d’élever les enfants de Daech», exprime le sentiment dominant au sein de la communauté. «Comment pourrais-je abandonner un enfant d’un an? […] Si j’avais su [qu’on m’enlèverait ma fille], je ne serais jamais revenue, quitte à mourir là-bas», réplique Ana.

Hawar, nos enfants bannis retrace, avec sincérité et sensibilité, la quête de la jeune mère pour retrouver son enfant. D’abord dans un orphelinat en Syrie où elle a été placée et où des amis l’ont localisée, puis dans la maison des parents de son «ex-mari» où elle a accepté qu’elle soit accueillie. Les parents du djihadiste, avec lesquels Ana avait été en contact au moment de sa captivité, ne l’avaient-ils pas encouragée à tenter de convaincre leur fils de renoncer à son affiliation à l’Etat islamique qu’ils condamnaient?

Paroxysme en émotion du film de Pascale Bourgaux, les retrouvailles d’Ana avec sa petite Marya sont un mélange de joie et de déchirement. Etant donné le rejet que la communauté yézidie continue de manifester à l’égard de cette «enfant de Daech», elle ne pourra pas la ramener dans sa famille et tablera sur un départ à l’étranger pour espérer le retour à la vie durablement partagée. Un cas semblable est évoqué dans le film: une mère venue d’Australie pour récupérer ses deux enfants quand ses parents la croient en fugue dans une autre ville du pays… Ces situations de séparation entre mère et enfant sont très traumatisantes. «C’est le résultat des crimes de Daech. […] Mais, il faut le dire, c’est aussi la conséquence des décisions patriarcales du clergé yézidi», résume l’ancien diplomate américain et facilitateur de libérations, Peter Galbraith. Une double peine.

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