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Incursion ukrainienne en Russie: comment peut réagir Poutine, humilié comme il l’a rarement été?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Zone tampon, carte diplomatique, révélation de la vulnérabilité de l’armée russe…: l’objectif de la présence des soldats ukrainiens dans la région de Koursk reste flou.

Une quinzaine de jours après l’incursion de milliers de soldats ukrainiens dans la région de Koursk, en Russie, un sentiment d’étonnement continue de dominer.

Etonnement par rapport à l’opération en tant que telle. En difficulté sur le front du Donbass, l’armée de Kiev n’était pas perçue comme en mesure de damer le pion aux Russes sur un nouveau front. Il fallait donc l’audace de distraire des troupes aguerries des foyers du conflit où elles auraient pu être utiles pour opérer ce coup. C’est qu’il doit receler un intérêt majeur. Mais on ne le discerne pas encore précisément, entre le camouflet porté à l’adversaire, le déplacement de troupes russes de l’est ou du sud de l’Ukraine vers la nouvelle zone de combat (qui ne semble pas s’opérer puisque l’armée de Moscou continue de progresser dans l’ouest de l’oblast de Donetsk vers la localité de Pokrovsk), le gain territorial susceptible de peser dans une négociation… Dans une allocution, le 19 août, le président Volodymyr Zelensky a assuré que «la zone frontalière russe en face de notre région de Soumy est en grande partie débarrassée de toute présence militaire russe», affirmant que c’était «aussi l’un des objectifs de notre opération». L’incursion ukrainienne ne servirait-elle qu’à «nettoyer» et repousser les arrières des lignes russes qui menacent régulièrement les régions ukrainiennes de Soumy et de Kharkiv? Le président ukrainien a clairement revendiqué la création d’une «zone tampon» dans cette région.

L’Ukraine revendique de contrôler plus de 1.250 km2 de territoire russe, ce qui engloberait 92 localités. Une conquête symbolique en regard de la superficie de la Russie (17.234.033 km2) et, aussi, des gains territoriaux engrangés par l’armée russe en Ukraine depuis la première invasion de 2014 (108.070 km2). Il n’empêche, même symbolique, la première conquête de terres russes par une force étrangère depuis la Seconde Guerre mondiale est un choc pour la Russie.

«Il y a quelques mois, si l’on avait entendu parler de notre projet, beaucoup auraient dit qu’il dépasserait la ligne rouge.»

L’étonnement continue de prévaloir par rapport à la facilité avec laquelle les Ukrainiens se sont déployés sur le sol russe. En raison de la mobilisation des forces combattantes sur le front ukrainien, la frontière dans la région de Koursk n’était apparemment tenue que par des conscrits. Pire, d’après des médias locaux, le général Essedoulla Abatchev, en charge de la protection de la zone frontalière dans la région de Koursk, avait prévenu sa hiérarchie d’une concentration anormale de troupes ukrainiennes de l’autre côté de la ligne de démarcation. L’avertissement a été négligé… La réaction de l’appareil politico-militaire russe surprend aussi à deux titres. La réplique sur le terrain met énormément de temps à s’opérer. Tout juste le ministère russe de la Défense a-t-il annoncé, le 20 août, que le quartier général de la 47e brigade des forces armées ukrainiennes situé dans la région de Soumy avait été détruit et l’agence de presse russe RIA a-t-elle assuré que 19 soldats ukrainiens ont été capturés dans la région de Koursk. Même la parade politique au coup des Ukrainiens apparaît en deçà de l’arsenal traditionnel des diatribes de Vladimir Poutine: pas de réitération de la menace du recours à l’arme nucléaire, pas d’invocation de la provocation des Occidentaux et de l’Otan qui auraient orchestré l’incursion ukrainienne. La sidération ou la volonté de minimiser l’acte empêcheraient-elles cette fois la rhétorique belliqueuse?

L’étonnement s’impose précisément également face à l’attitude des Occidentaux. Volodymyr Zelensky a laissé entendre dans sa prise de parole du 19 août que les alliés de l’Ukraine n’avaient pas été informés de l’opération. «Il y a quelques mois, si l’on avait entendu parler de notre projet d’opération dans la région de Koursk, beaucoup de gens dans le monde auraient dit que c’était impossible et que cela dépasserait la ligne rouge la plus stricte de toutes celles que la Russie a tracées. C’est pourquoi personne n’était au courant de nos préparatifs», a justifié le président. Est-ce à dire que les alliés, s’ils ont tout de même été prévenus de l’opération, ne l’ont été qu’en dernière minute? La plupart ont, en tout cas, endossé l’initiative après-coup, mais pas avec une vigueur décoiffante. Cette frilosité présumée pourrait s’expliquer par le malaise que l’initiative suscite comme par la crainte des représailles qu’elle pourrait provoquer, puisqu’une ligne rouge aurait été franchie, dans le chef de Vladimir Poutine, humilié comme il l’a rarement été.

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