Il y a dix ans, les Indignés ou la naissance d’une nouvelle forme de contestation
Indignés, ils l’étaient et en ont fait leur nom. Il y a dix ans, ils ont investi les places en Espagne, protestant contre la crise, le chômage, la corruption. Une nouvelle forme de contestation qui a inspiré jusqu’à New York.
Mai 2011, la place de la Puerta del Sol, en plein coeur de Madrid, attire soudain les caméras du monde entier.
Les dizaines de milliers de manifestants qui, jour et nuit, y imaginent un monde meilleur fascinent. Retraités, chômeurs ou salariés, ils ont improvisé un village alternatif sous des tentes de fortune et dorment sur des cartons.
« Sans la crise (financière) de 2008, les Indignés n’auraient pas vu le jour », explique Pablo Gallego, l’un des membres de « Une démocratie réelle maintenant » (Democracia real ya), un collectif à l’origine du « 15-M » (15 mai), comme le mouvement est le plus souvent appelé en Espagne.
Ce jour-là, dans plusieurs villes d’Espagne, des foules se retrouvent sur les places, répondant aux appels sur les réseaux sociaux « qui ont permis de connecter les plaintes de chacun », décrit Klaudia Alvarez, Indignée à Barcelone et autrice avec Pablo Gallego de « Nous, les Indignés », préfacé par le Français Stéphane Hessel, auteur du manifeste « Indignez-vous ».
Avec un modèle horizontal, sans leader identifié, le mouvement s’organise, loin des syndicats ou des partis politiques.
Ses revendications hétéroclites, aux accents idéalistes, dénoncent en vrac les excès du capitalisme, la précarité, le système électoral favorisant les grands partis… et nourrissent les critiques sur une certaine confusion idéologique.
« Le mouvement n’avait pas d’étiquette (…) mais était très politique », souligne Pablo Gallego, se souvenant « avec beaucoup de tendresse » de ce moment « romantique », de « ces gens qui n’avaient jamais été militants et manifestaient ».
Ras-le-bol
« Nous sommes le peuple », « ils ne nous représentent pas », hurlent-ils, bloquant les expulsions de familles surendettées, clamant leur ras-le-bol de la crise et de l’austérité imposée par « la troïka » (UE, FMI et BCE) dans un pays en proie à un chômage record qui touche alors presque la moitié des moins de 25 ans.
Ils se coordonnent sur les réseaux sociaux : une campagne lancée « au même moment à partir de 80 profils Twitter crée un trending topic » (sujet tendance) qui pourra capter l’attention des médias, se rappelle Francisco Jurado, ancien Indigné à Séville et juriste de 38 ans.
Pour Oscar Rivas, un Indigné de 48 ans de la Puerta del Sol, sur cette place devenue symbole de la protestation, comme recouverte d’un « tapis de personnes », s’invente un nouveau mode de communication pour écourter les assemblées interminables: mains en l’air pour applaudir, des moulins pour signifier qu’on tourne en rond, des bras en croix pour dire son désaccord.
Embarrassé par ce mouvement bénéficiant d’un large soutien populaire, le gouvernement socialiste de l’époque ne donne aucun ordre d’évacuation. La « Spanish revolution » s’intensifie, d’autres campements fleurissent.
Héritage
Mi-juin, les indignés plient bagages et promettent qu’ils ne se tairont pas. Cette fronde essaimera en France, où Nuit Debout et les Gilets Jaunes s’en revendiqueront, en Grèce et jusqu’aux Etats-Unis avec le mouvement « Occupy Wall Street » en septembre 2011.
Trois ans plus tard, Podemos, un nouveau parti de gauche radicale, catalyse une partie de leurs aspirations, même si nombre d’Indignés refusent de le considérer comme leur seul héritier.
Créé par des universitaires, Podemos devient rapidement la troisième force politique du pays et met fin au bipartisme socialistes/conservateurs qui régissait la vie politique espagnole depuis des décennies.
Son ancien leader, Pablo Iglesias, lui-même un ancien Indigné, a été de janvier 2020 à mars 2021 vice-président du gouvernement espagnol.
« Tous les partis ont repris à leur compte les revendications du 15-M », analyse Pablo Simón, professeur de Sciences politiques à l’université Carlos III de Madrid, selon lequel ce mouvement est né d’un « désenchantement à l’égard de la politique traditionnelle ».
Pour lui, « le phénomène aura politisé toute une génération d’Espagnols, en particulier ceux nés après les années 80 ».
Dix ans après, l’indignation est-elle éteinte ? Alors qu’Iglesias vient d’annoncer son retrait de la vie politique après un revers électoral, les frondeurs de la Puerta del Sol estiment avoir semé les graines de la lutte contre le changement climatique ou des gigantesques mobilisations féministes.
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