Sylvie Bermann révèle dans son livre des aspects méconnus de la Chine d'aujourd'hui. © M.LABELLE/SIGNATURES/SDP

« Il ne faut pas craindre la Chine »

Première femme ambassadeur de France à Pékin, Sylvie Bermann signe avec La Chine en eaux profondes (Stock) un livre passionnant, aussi vivant qu’éclairant, et balaie les idées reçues.

La Chine peut-elle encore se développer à un rythme aussi soutenu que celui qu’on lui connaît depuis trois décennies ?

On assiste à un ralentissement, qui paraît assumé. Nous sommes dans une nouvelle phase, qui met l’accent sur une croissance qualitative plus que quantitative, que les autorités nomment la  » nouvelle normalité  » : davantage d’innovations et une économie à la fois fondée sur la consommation intérieure et résolument tournée vers l’extérieur, pas seulement grâce aux exportations, mais aussi au moyen des investissements effectués dans le reste du monde.

On voit néanmoins les problèmes sociaux se multiplier…

Le pays doit résoudre tous ses problèmes fondamentaux de manière concomitante, c’est pourquoi j’ai intitulé mon livre La Chine en eaux profondes. Effectivement, les signaux de tension se multiplient : les étudiants sont désormais menacés par le chômage, les inégalités sociales augmentent fortement, les responsables chinois sont obsédés par le coefficient de Gini, qui mesure l’inégalité des revenus… Le sentiment d’injustice est très présent avec, parfois, une nostalgie de l’époque maoïste, où tout le monde était pauvre.

Par-dessus tout, vous rappelez notamment que la Chine dispose de 9 % des terres arables de la planète pour un quart de la population mondiale…

D’où la nécessité d’approvisionnements considérables en énergie. Les autorités parlent désormais officiellement de  » guerre  » contre la pollution et la position internationale de la Chine a fortement évolué sur le sujet. On l’a vu avec la COP 21 : les Chinois se sont montrés très coopératifs et ont été les premiers à ratifier l’accord, donnant l’exemple à d’autres pays. C’est une prise de conscience indispensable, car un grand nombre de mouvements sont nés à partir des préoccupations environnementales des individus. Dans un pays qui n’accordait qu’un enfant par famille, la dégradation de l’environnement fait peser un risque accru sur la santé de chacun ; le souci de l’air que l’on respire ou de l’eau que l’on boit a une traduction directe sur le seul enfant qu’un couple peut avoir.

Comment expliquez-vous la coexistence durable entre une économie capitaliste ultradynamique et un appareil politique communiste a priori archaïque ?

Le Parti communiste chinois (PCC) a des capacités d’adaptation incroyables : l’oxymore que constitue l' » économie socialiste de marché  » permet toutes les souplesses. Les références culturelles et intellectuelles de la Chine reposent sur le yin et le yang, la dualité de toute chose, ce qui résout le problème des contradictions fondamentales : le PCC est un parti caméléon, qui prône l’enrichissement individuel, ce qui paraissait inimaginable à la Chine que j’ai connue lors de la Révolution culturelle. La pensée chinoise est fortement dialectique, il n’y a pas de contradiction. Le PCC compte aujourd’hui près de 90 millions de membres ; chez nous, ce serait à la fois un parti politique, une association de tous les anciens des grandes écoles, un cercle de décideurs et davantage encore… C’est une élite et un moyen de faire carrière ; dans le parti, on enseigne la gestion bien plus que le marxisme-léninisme. C’est une forme de nouveau mandarinat, réminiscence de la Chine impériale, dont les dirigeants sont renouvelés tous les dix ans.

Faut-il voir dans cette redoutable efficacité une menace pour le reste du monde ?

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Je ne crois pas qu’il faille avoir peur de la Chine. C’est un pays qui est un monde en soi, je ne crois pas que sa priorité soit l’expansionnisme. La Chine veut effectivement contrôler ses frontières, y compris maritimes, elle veut conquérir sans cesse des marchés à l’exportation, mais l’essentiel de ses ambitions n’est pas là. Le plus important reste le développement intérieur, car il n’est pas achevé. Quand on va à Pékin ou à Shanghai, on est frappé par le nombre de gratte-ciel, la transformation ultrarapide des villes, la modernité des centres commerciaux qui poussent partout ; mais, dans les provinces plus reculées, par exemple dans le Xinjiang, vous aurez une tout autre impression. En visite dans le Yunnan, j’ai découvert des populations troglodytes qui vivaient des siècles en arrière.

Néanmoins, l’agressivité chinoise, notamment en mer de Chine méridionale, ne fait pas de doute…

Oui, mais la Chine ne recherche pas le conflit. J’ai vécu en direct la crise majeure entre Pékin et Tokyo ; à chaque fois que la tension montait de façon très dangereuse, les autorités veillaient méthodiquement à la faire baisser. Je crois qu’il en ira de même en mer de Chine méridionale. Je ne pense pas que la liberté de navigation dans la zone – c’est le point qui nous concerne le plus – sera menacée.

Donald Trump a ouvertement ciblé la Chine. Va-t-on assister à une dégradation des relations américano-chinoises ?

Je ne sais pas ce que Trump a en tête, mais, malgré son discours offensif et sa menace de remettre en cause le principe politique d' » une seule Chine  » (qui supposait depuis Nixon et Kissinger la mise en sourdine de Taïwan), il est un peu revenu en arrière. Le ton sera peut-être moins cordial entre les deux pays, mais leurs intérêts réciproques sont convergents et ne vont pas dans le sens d’un conflit.

La Chine est une très ancienne civilisation, pourquoi n’a-t-elle pas davantage de « soft power » ?

Cela ne se décrète pas comme le  » hard power « , à coups d’investissements – ce qui serait le penchant volontariste chinois. Cela dit, il existe plus de 400 instituts Confucius dans le monde. Dans l’autre sens, les étudiants occidentaux sont de plus en plus nombreux à vouloir apprendre le chinois ou à suivre les cours d’une université, à Shanghai ou ailleurs. A cela s’ajoutent des vogues très occidentales, comme le qi gong, la médecine chinoise, l’acupuncture… Enfin, Pékin commence à s’investir dans le maintien de la paix et l’action humanitaire. La Chine n’est pas figée, elle a une capacité à se réinventer de manière permanente.

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