Une patrouille de véhicules de la Finul à Naqoura. Pourquoi la force de l’ONU est-elle prise pour cible par l’armée israélienne? © GETTY IMAGES

Guerre Israël-Hezbollah: comment Netanyahou arrive à exaspérer même ses alliés

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En menaçant le Liban de destructions similaires à celles de Gaza et en s’en prenant à la Finul, le Premier ministre israélien s’isole un peu plus. Les Américains lui mettent un coup de pression.

Un an après le déclenchement de la guerre à Gaza par Israël en représailles au massacre du 7-octobre par le Hamas et un mois après les explosions de bipeurs et talkies-walkies de responsables du Hezbollah, prélude à une offensive par bombardements et incursions terrestres au Liban, la pression s’accentuera-t-elle réellement sur le gouvernement israélien pour autoriser la perspective d’un apaisement et l’arrêt des affrontements? Si c’était le cas, elle consacrerait aussi l’exaspération que suscitent de plus en plus les actions du Premier ministre Benjamin Netanyahou, y compris auprès de ses alliés. Les tensions de ces derniers jours avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) en ont fourni une nouvelle illustration.

C’est Emmanuel Macron qui, le premier de manière manifeste dans le camp occidental allié d’Israël, a soulevé la question d’un embargo sur les armes. Le moment n’était pas idéalement choisi. Le propos –«qu’on cesse de livrer des armes pour mener les combats à Gaza»– avait été enregistré l’après-midi du 1er octobre dans le cadre d’une émission de France Inter qui ne serait diffusée que le 5, à l’occasion du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) organisé à Villers-Cotterêts.

Mais le soir du 1er octobre, l’Iran attaquait Israël en tirant quelque 200 missiles, la plupart interceptés. Et deux jours après la diffusion de l’émission, les Israéliens commémoraient le 7-Octobre dans une souffrance encore très présente. «Honte» à Emmanuel Macron, avait tout de suite réagi Benjamin Netanyahou. L’idée était néanmoins posée sur la table. Le président français l’a resservie, élargie aux armes utilisées dans l’offensive israélienne contre le Liban, lors du sommet MED9 rassemblant les pays du sud de l’Union européenne à Chypre, le 11 octobre. «La France a appelé de ses vœux à cesser les exportations d’armes qui sont utilisées sur ces théâtres de guerre. D’autres dirigeants, ici, ont fait de même. Nous le savons tous, c’est l’unique levier qui pourra aujourd’hui y mettre un terme», a expliqué Emmanuel Macron…

Les Américains enjoignent à Israël de résoudre la crise humanitaire dans la bande de Gaza dans les 30 jours.

Problème de munitions

Après avoir eu une explication de texte avec Benjamin Netanyahou par téléphone le 6 octobre, l’a-t-il répétée à Joe Biden avec plus de chance d’être écouté? Le 15 octobre, le média israélien N12 a rapporté que les Etats-Unis avaient à leur tour mis un coup de pression sur le gouvernement israélien. Dans une lettre du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken et du secrétaire à la Défense Lloyd Austin à leurs homologues israéliens en charge des Affaires stratégiques, Ron Dermer, et de la Défense, Yoav Gallant, ils enjoignent à Israël de résoudre la crise humanitaire dans la bande de Gaza dans les 30 jours. «L’échec dans la mise en œuvre de ces mesures pourraient entraîner des conséquences sur la politique américaine conformément à la loi américaine», est-il précisé. Une de celles-ci serait un impact sur les livraisons d’armes à Israël. Washington avait déjà menacé de suspendre des fournitures en mai de cette année. Il n’y avait pas eu de suites.

On sait le peu d’estime que Benjamin Netanyahou inspire à Joe Biden, rappelé dans le livre du journaliste Bob Woodward, War (Simon & Schuster, 448 p.), où il le traite de «putain de menteur». L’ultimatum posé par Washington porte sur la situation des Palestiniens à Gaza, thématique à laquelle une partie de l’électorat potentiel de Kamala Harris, la candidate démocrate à la Maison-Blanche, est particulièrement sensible. Le président américain, en «tordant le bras» du Premier ministre israélien qui n’a jusqu’à présent tenu aucun compte de ses avertissements, veut-il donner un dernier coup de pouce à sa dauphine?

Même si cette donnée ne concerne pas les armements du champ d’application de la menace américaine, une enquête du Financial Times indique que l’Etat hébreu commence à être affecté par une pénurie de moyens pour poursuivre la guerre, et notamment de missiles intercepteurs. «Le problème des munitions d’Israël est sérieux. Si l’Iran riposte à une attaque israélienne et que le Hezbollah s’y joint, les défenses aériennes d’Israël seront étirées», pronostique Dana Stroul, une ancienne haute fonctionnaire du Pentagone. Ceci explique-t-il la relative mesure affichée par les dirigeants israéliens dans la réponse à apporter à l’attaque iranienne du 1er octobre? A voir. Le ministre de la Défense a promis une réplique «mortelle, précise, et surprenante».

Un soldat israélien surveille l’entrée d’un tunnel à proximité d’une base de la Finul, à Naqoura. © GETTY IMAGES

Attaques de la Finul

En réalité, les agissements de Benjamin Netanyahou irritent de plus en plus les Occidentaux. Quand il menace le 8 octobre le Liban de connaître «des destructions et des souffrances comme celles que nous voyons à Gaza», il érige en modèle la guerre menée au sud d’Israël et les ravages qu’elle produit et il suscite la consternation et l’effroi de ses «alliés», attachés à la stabilité du Liban et soucieux d’éviter un embrasement plus grand de la région.

Autre source d’incompréhension et d’irritation, l’attitude de l’armée israélienne à l’encontre des forces de la Finul dans la foulée de ses incursions terrestres au sud du Liban. La force onusienne est censée contrôler le respect de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies qui, au terme du précédent conflit israélo-libanais, prévoyait que seule l’armée libanaise était active dans la zone. La mesure n’a pas été respectée. La milice du Hezbollah s’y est incrustée et ce, d’autant plus facilement que la population y est majoritairement chiite comme ses membres.

Depuis le 9 octobre, les incidents se sont multipliés. Cinq casques bleus ont été blessés. Tsahal a argué que le Hezbollah occupait des positions à côté des bases de la force. Non seulement l’argumentation est mise en doute, mais elle est démentie par d’autres actions. Détruire par des tirs les caméras d’une base ou s’y introduire pour menacer les soldats présents, comme cela a été fait sur le site de Ras al-Naqoura, n’est pas une réponse à une menace de miliciens du Hezbollah.

Israël n’a pas intérêt à privilégier le cavalier seul et à se couper d’alliés qui lui seront utiles.

Benjamin Netanyahou, obsédé par la réplique militaire aux attaques des proxys de l’Iran, fait peu de cas des avis de ses alliés. © BELGAIMAGE

Opérer sans retenue

L’objectif des Israéliens est de provoquer le départ des casques bleus. Sans doute pour mener leurs opérations à leur guise au Sud-Liban. Même si leur mission est entravée par les combats, les membres de la Finul ont les moyens de scruter les opérations militaires dans la région et sont tenus d’en faire rapport à New York. Le gain stratégique de leur retrait serait-il si précieux pour Israël? On peut en douter. Mais ses dirigeants sont tellement focalisés sur l’optimalisation de la dimension militaire que rien ne les arrête. En attendant, ils s’aliènent possiblement les 40 pays contributeurs de la Finul, et notamment les principaux, comme l’Italie (900 soldats sur un effectif évalué à 10.000) et la France (700 casques bleus).

Israël n’a pourtant pas intérêt à privilégier le cavalier seul et à se couper d’alliés qui lui seront utiles dans l’épreuve de force engagée avec l’Iran –la France, par exemple, ayant contribué à la défense de l’Etat hébreu lors des deux attaques iraniennes, le 13 avril et le 1er octobre. L’évolution du conflit avec le Hezbollah ne l’y engage pas davantage. La milice libanaise pro-iranienne a réussi quelques opérations notables sur le territoire israélien depuis l’intensification des affrontements.

Le 13 octobre, un drone a explosé sur la base militaire près de la localité de Binyamina, au nord-ouest d’Israël. Quatre recrues âgées de 19 ans, en formation de combattant d’infanterie, ont été tuées, et huit autres militaires ont été grièvement blessés. Deux engins de type Ziad 107 venus de la zone avaient été identifiés par la défense antiaérienne, l’un a été intercepté, l’autre a été repéré puis «perdu». Le 9 octobre, ce sont deux civils israéliens qui ont succombé à leurs blessures causées par des éclats d’obus après un barrage de roquettes du Hezbollah tirés sur la ville de Kiryat Shmona, au nord-est d’Israël. Au Liban même, plusieurs soldats israéliens ont déjà été tués depuis le lancement de l’offensive terrestre le 30 septembre. Huit l’ont été dans une seule opération du Hezbollah, le 2 octobre.

Le tribut de la guerre, qui commence à être élevé (plus de 720 militaires décédés, en comptant ceux assassinés le 7 octobre 2023), et les pressions des alliés pousseront-ils le gouvernement israélien à changer de stratégie? Le doute demeure. Même si la possibilité n’est peut-être plus tout à fait exclue.

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