Hantée par la grippe espagnole, une petite ville d’Arizona craint que l’histoire ne se répète
« Parti mais pas oublié », peut-on lire sur la tombe de Carl Axel Carlson, mort en 1918 de la grippe espagnole. C’est son corps, rapatrié depuis la côte est des Etats-Unis, qui avait diffusé le virus mortel dans la région de Bisbee, à l’époque une prospère ville minière d’Arizona. Un siècle plus tard, la commune tremble désormais devant la pandémie de Covid-19, qui menace sa population de retraités et de hippies tout autant que son industrie touristique.
La grippe espagnole « est arrivée par le train » avec Carl Carlson, explique à l’AFP l’historien local Mike Anderson. Le militaire avait été renvoyé à Bisbee pour y être enterré et « deux ou trois jours après, il tuait déjà des gens », poursuit Mike Anderson en désignant d’autres tombes datées de 1918 situées autour de la sienne.
Au total, on estime que le virus de la grippe a fait 180 victimes à Bisbee, qui comptait plus de 25.000 habitants en 1910 selon le site internet de la ville.
Aujourd’hui, la manne minière (cuivre, argent, or) du tournant du siècle n’est plus qu’un lointain souvenir pour la ville, nichée dans les montagnes proches de la frontière mexicaine. Elle n’affiche plus qu’une population de 5.200 personnes vivant essentiellement du tourisme, les visiteurs étant attirés par ses pittoresques bâtiments d’époque en briques rouges et bois.
Mais l’économie est paralysée depuis des mois par la pandémie de Covid-19, qui a déjà contaminé 57 personnes et fait un mort, au sein d’une population âgée et donc vulnérable. Et la ville se retrouve à présent face à un dilemme: ordonner le confinement pour juguler la propagation de ce nouveau virus et protéger ses habitants, ou continuer à accueillir des touristes pour éviter la faillite.
Les premiers cas de coronavirus ont été signalés peu après l’arrivée en nombre de touristes à l’occasion d’un long week-end férié, fin mai, explique le maire, David Smith. « Les bars étaient pleins. Certaines personnes s’en fichent complètement », dit-il.
Embrassades interdites
Dans les archives de journaux, Mike Anderson a pu se rendre compte qu’en 1918, Bisbee avait décrété le confinement et même interdit les embrassades pour tenter de stopper la progression de la grippe espagnole, qui a fait au moins 50 millions de morts dans le monde.
Les mines, elles, n’ont jamais fermé. La Première Guerre mondiale avait dopé la demande et fait tripler les cours du cuivre, mais beaucoup ont payé de leur vie l’appât du gain. « La grippe n’a pas fait dans le détail, elle a tué des enseignants, des médecins, des mineurs », relève Mike Anderson.
L’arrivée du Covid-19 en ville a rappelé à Peter Bach, mineur à la retraite, une histoire que lui racontait sa grand-mère. La grippe espagnole avait tué son bébé âgé de seulement un an et presque emporté son mari. Lorsque ce dernier a retrouvé ses forces, « il a construit un petit cercueil et a enterré son fils dans le jardin », dit M. Bach. Peter Bach travaille aujourd’hui comme guide dans une mine de cuivre, transformée en attraction touristique et qui n’accueille plus que des petits groupes de visiteurs dans ses wagonnets en raison de l’épidémie de coronavirus.
Les bars de la ville ont été fermés par précaution et certains commerces ne reçoivent plus que sur rendez-vous. Cela n’a pas empêché le week-end dernier de nombreux touristes de venir à Bisbee en provenance de Tucson ou Phoenix, grandes villes d’Arizona particulièrement touchées par le Covid-19.
Signe des temps, chez ces visiteurs, le masque fait désormais souvent partie de la panoplie, au même titre que les bottes et le chapeau de cowboy, accessoires très populaires dans la région.
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