Guerre Israël-Hamas: pourquoi un cessez-le-feu n’aura pas lieu
La libération d’otages par le Hamas et les préoccupations sur la situation humanitaire à Gaza perturbent les plans de l’armée israélienne.
A l’assassinat de 1 400 Israéliens dans l’attaque terroriste du Hamas, a succédé, en moins de trois semaines, la mort de quelque 6 500 Palestiniens dans les bombardements par Israël de la bande de Gaza. Or, rien n’indique que ce déchaînement de violences est susceptible de prendre fin. Le projet d’une offensive terrestre de Tsahal, la détention de quelque deux cents otages par le Hamas et le risque d’extension du conflit font craindre que de nombreuses vies seront encore sacrifiées... Etat des lieux de la situation sur les plans militaire, humanitaire et diplomatique.
Pourquoi l’offensive terrestre d’Israël a-t-elle été retardée?
Une intensification des bombardements israéliens sur la bande de Gaza dans la nuit du 21 au 22 octobre était-elle un énième indice de l’offensive terrestre promise en représailles de l’attaque terroriste du Hamas deux semaines plus tôt? Il n’était pas irréaliste de le penser. Mais en milieu de semaine, les chars israéliens n’avaient pas pénétré en territoire palestinien. On savait la question des otages détenus par le Hamas de nature à compliquer et donc, le cas échéant, à différer la deuxième phase de la guerre de Tsahal contre le groupe djihadiste. Un nouvel épisode du conflit l’a démontré de manière évidente. En libérant, le 20 octobre, deux otages à la double nationalité américaine et israélienne, Judith Tai Raanan et sa fille Natalie Shoshana, et en répétant ce scénario trois jours plus tard avec deux Israéliennes, le Hamas a réussi à remettre la question des personnes détenues à Gaza au rang de priorité absolue. Aux yeux des Etats-Unis, dont huit ressortissants seraient encore détenus, et aux yeux de ceux qui, en Israël, considèrent que la résolution de cette question est plus importante que celle de l’éradication du Hamas promise par le Premier ministre Benjamin Netanyahou.
Hors des libérations par leurs ravisseurs, les otages ont sans doute peu de chances de réchapper à cette épreuve.
Ces libérations démontrent, en outre, que les médiations du Qatar et de l’Egypte produisent des résultats. De quoi inciter le président américain, Joe Biden, à faire pression sur le gouvernement israélien, dont le degré de dépendance à son allié en matière de sécurité s’est sensiblement accru en raison de cette crise, pour qu’il donne une chance à la résolution, fût-elle partielle, de la question des otages. Le Hamas a dit vouloir mettre en œuvre sa décision de «clore le dossier des otages civils quand les circonstances sécuritaires le permettront». Dans l’entendement du groupe djihadiste, cette intention est suspendue à un arrêt, illusoire, de l’agression israélienne. Mais l’élargissement de quatre otages entretient l’idée qu’il n’est pas vain d’attendre avant de risquer la vie des autres dans une offensive terrestre.
Car hors des libérations par leurs ravisseurs, les otages ont sans doute peu de chances de réchapper à cette épreuve. L’une des libérées, l’Israélienne Yocheved Lifschitz, 85 ans, a évoqué l’«énorme réseau» de souterrains assimilable à «une toile d’araignée» dans lequel elle a été détenue. Battue lors de son rapt, elle a affirmé avoir été bien traitée ensuite par ses geôliers. Les otages sont nourris, examinés régulièrement par des médecins, et ils reçoivent, si besoin, des médicaments.
Pourquoi un cessez-le-feu n’aura-t-il pas lieu?
Le 24 octobre, 54 camions seulement avaient rejoint la bande de Gaza par le poste-frontière avec l’Egypte, à Rafah. Cette aide humanitaire n’est qu’«un filet d’eau», a commenté un porte-parole de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (Unrwa). Aussi, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a-t-il réitéré un appel à l’instauration d’un cessez-le-feu humanitaire. Joe Biden a écarté cette hypothèse qui empêcherait son allié israélien de mener les représailles que lui-même juge légitimes contre le Hamas. Le président américain avait pourtant fait un geste en direction des Palestiniens lors de sa visite en Israël, le 18 octobre, en imposant à Benjamin Netanyahou l’ouverture du corridor humanitaire de Rafah. Mais en regard de l’indéfectible soutien des Etats-Unis à l’égard d’Israël, l’empathie pour les souffrances des Palestiniens a malgré tout des limites.
Les Etats-Unis agissent néanmoins sur le fil du rasoir. Ils n’ignorent pas que de la façon dont Israël se comportera dans la bande de Gaza dépendra la possibilité ou non d’un embrasement général dans la région. Le Hezbollah chiite pro-iranien est prêt à ouvrir un nouveau front au nord de l’Etat hébreu depuis le Liban. Et d’autres forces supplétives de l’Iran manifestent leur disposition à croiser le fer avec Israël et les Etats-Unis. Les rebelles chiites houtis du Yémen en lançant des roquettes vers Israël, interceptées par les Américains. Le groupe irakien Kataïb Hezbollah en attaquant trois bases américaines en Syrie au moyen de drones. Les Etats-Unis disposent encore de neuf cents hommes dans ce pays et de 2 500 autres en Irak.
Emmanuel Macron a eu l’attitude la plus judicieuse en jumelant sa visite en Israël à une rencontre à Ramallah avec Mahmoud Abbas.
Comment les Européens peuvent-ils rectifier le tir?
Survenue au lendemain du bombardement de l’hôpital Al Ahli Arab de Gaza, dont la responsabilité paraît devoir être attribuée à un défaut de tir du groupe Djihad islamique, la deuxième étape de la tournée de Joe Biden au Proche-Orient avait été annulée: il n’avait pas pu rencontrer, à Amman, le roi de Jordanie Abdallah II, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Sur le coup, l’image des Etats-Unis dans les pays arabes n’avait pourtant pas atteint le niveau de désaveu observé à l’égard de celle de l’Europe après la visite de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 13 octobre, en Israël. Son appui aux représailles d’Israël contre le Hamas sans aucune considération pour le respect du droit international et pour la protection des populations civiles de Gaza avait ulcéré les dirigeants et populations arabes et irrité des partenaires européens puisque sa position ne reflétait pas celle des Vingt-Sept. Pas étonnant, dans ce contexte, que son nom ait été copieusement hué par les milliers de manifestants propalestiniens réunis, le 22 octobre, devant les institutions européennes à Bruxelles.
Entre-temps, parce qu’elles ont inclus des rencontres avec des dirigeants de pays arabes, les tournées du chancelier allemand Olaf Scholz, de la Première ministre italienne Giorgia Meloni et de son homologue britannique Rishi Sunak, même si celui-ci n’est plus le représentant d’un Etat de l’Union, ont légèrement atténué cette impression de parti pris par trop déséquilibré associé à l’Europe. C’est toutefois le président français, Emmanuel Macron, qui a eu l’attitude la plus judicieuse, les 24 et 25 octobre, en jumelant sa visite en Israël avec une rencontre à Ramallah avec Mahmoud Abbas et à Amman avec le roi Abdallah II. Cette recherche d’équilibre s’est exprimée aussi dans les propositions qu’il a formulées. En suggérant de mettre au service de la lutte contre le Hamas la coalition internationale contre Daech, en veilleuse en Irak et en Syrie, il range définitivement le groupe islamiste palestinien au rang des infréquentables. En appelant à une «relance décisive du processus politique avec les Palestiniens», il renvoie les interlocuteurs israéliens et palestiniens à la source fondamentale du conflit. Même si l’heure n’est pas au dialogue, il n’est pas inutile de rappeler qu’une solution ne pourra être trouvée qu’avec une Autorité palestinienne dont la crédibilité aura été restaurée.
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