Guerre en Ukraine: vers une nouvelle crise migratoire?
D’après les chiffres de l’ONU, 500.000 personnes ont déjà fui l’Ukraine afin de se mettre en sécurité face à la guerre sur le territoire. L’Europe va-t-elle connaître une nouvelle crise migratoire ? Tous les réfugiés sont-ils logés à la même enseigne ?
À l’aube de l’invasion Russe, l’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, a alerté sur une potentielle « nouvelle crise de réfugiés » : « Si la Russie continue sur cette voie, elle pourrait – selon nos estimations – créer une nouvelle crise de réfugiés, l’une des plus importantes auxquelles le monde soit confronté aujourd’hui, avec jusqu’à 5 millions de personnes supplémentaires déplacées par la guerre choisie par la Russie et sa pression exercée sur les voisins de l’Ukraine », a-t-elle affirmé. Face à cette vague migratoire, les pays voisins de l’Ukraine ont déclaré être prêts à accueillir les Ukrainiens : la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie et même la Hongrie – où le Premier ministre Viktor Orban n’est pas connu pour sa politique d’accueil des réfugiés – ouvrent leur frontière.
Dimanche, le HCR (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), a affirmé que le nombre d’Ukrainiens fuyant l’invasion russe s’élève à 368.000 personnes. Ce nombre ne cesse d’augmenter puisque dans le dernier rapport du HCR, le nombre de personnes qui fuient l’Ukraine pour se mettre en sécurité dans les pays voisins s’élève à 500.000.
Une crise majeure se dessine-t-elle ? François Gemenne, interrogé par Le Vif, explique : « En termes de chiffre, on reste sur une crise comparable à celle des réfugiés syriens : six millions de personnes ont fui la Syrie et plus d’un million est arrivé en UE. Avec la crise ukrainienne, il y aura encore plus d’arrivées dans l’Union européenne vu que les Ukrainiens fuient vers l’Union. Si l’on continue dans cet ordre de grandeur, il s’agira du plus grand afflux migratoire que l’Union européenne a connu. C’est un véritable test auquel va devoir faire face l’UE ».
Un réfugié = un réfugié ?
Alors qu’une politique d’accueil plutôt généreuse a été mise en place par les pays frontaliers de l’Ukraine – Pologne, Slovaquie, Roumanie, Moldavie – certains Etats sont pointés du doigt. Comme la Pologne, où semble être appliquée la règle de « deux poids, deux mesures » concernant les réfugiés. Une politique de tri aurait été mise en place à la frontière, ce que dénonce l’Union africaine préoccupée par les informations selon lesquelles des Africains en Ukraine se verraient refuser le droit de traverser la frontière pour se mettre en sécurité, peut-on lire sur le site de la BBC. L’organisme a exhorté tous les pays à respecter le droit international et à offrir une assistance à toute personne fuyant la guerre, quelle que soit sa race.
Même son de cloche dans un reportage à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne du média Brut, où Johanna, une étudiante en médecine d’origine nigériane à l’Université VN Karazin de Kharvir en Ukraine, explique son périple et témoigne : « Quand je suis arrivée là-bas, je n’ai pas aimé l’expérience. Ils nous ont gardé sans raison, je ne sais pas pourquoi. Et ils laissaient passer les autres Ukrainiens. On est restés là plus de cinq heures. Une Ukrainienne est arrivée, elle n’a rien eu à dire et ils l’ont laissé passer. Quand ils ont vu l’Ukrainienne arriver, ils nous ont même frappé pour qu’on la laisse passer. Ils ont frappé en disant : ‘Partez, partez, partez, laissez-la passer’. » Un autre étudiant explique toujours à Brut : « Une fois à la frontière, ils ont réuni tous les Noirs, ils nous ont mis ensemble dans un coin. Pendant plus de trois heures, nous sommes restés debout sans bouger. » Cette situation a duré deux jours avant que la frontière leur soit ouverte.
Face à ces faits, François Gemenne, spécialiste des migrations dénonce « des mécanismes de racisme à l’oeuvre tout à fait inacceptables qui jettent un voile sur les manifestations de solidarité » et estime « scandaleuse la situation avec les étudiants africains en Pologne » en précisant qu’il ne semblerait pas avoir de tri aux frontières en Moldavie, Slovaquie et en Roumanie. Selon l’expert, il est également « scandaleux de ne reconnaitre que ceux que l’on considère comme proches ». Et de déplorer le racisme structurel dans nos sociétés en établissant un parallèle avec la crise migratoire de 2015 : « On ne reconnait pas les Afghans ou les Syriens comme nos semblables. »
Cette guerre, un bien pour la politique européenne de migration ?
À la question de savoir si le conflit armé sur le territoire ukrainien va changer la donne sur la politique migratoire européenne, François Gemenne explique que cette guerre a modifié deux choses : « D’abord au niveau de l’Union, avec l’application de la directive de 2001 sur la protection temporaire. Cela signifie que les réfugiés peuvent être protégés pendant trois ans sans passer par la traditionnelle procédure d’asile : ils sont considérés automatiquement comme réfugiés. Les 27 Etats-membres ont instauré cette direction. C’est une ligne qui bouge car beaucoup l’avaient demandé pour la crise migratoire syrienne mais elle n’avait pas été appliquée ». Encore faudra-t-il que cette mesure s’applique tant aux Ukrainiens qu’aux personnes qui fuient l’Ukraine…
Bonne mesure. En espérant que cela fasse bouger les lignes vers une véritable politique européenne d’asile. Clairement un pas dans la bonne direction. En espérant que la mesure s’applique à tous ceux qui fuient l’Ukraine et pas seulement aux Ukrainiens. https://t.co/cVv2q8VGlh
— François Gemenne (@Gemenne) February 27, 2022
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L’expert en migration poursuit : « Deuxièmement, les lignes pourraient bouger à terme avec le mécanisme de solidarité proposé par la Commission européenne. Des pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est (le groupe de Visegrad qui rassemble la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie) étaient réticents à ce mécanisme de solidarité car ils ne se sentaient pas concernés mais maintenant que ces pays sont en première ligne, ils pourraient, demain, l’enclencher ». François Gemenne reste toutefois prudent : « Cela dépendra de la manière dont l’accueil va s’organiser. Je pense notamment à la Pologne, qui accueille pour le moment la moitié du flux migratoire et où 90% des accueils se font chez les particuliers par le biais de connaissances. »
Et la Belgique dans tout ça
En Belgique, Sammy Mahdi, secrétaire d’Etat à l’Asile et à la migration estime que l’ensemble des pays européens doivent faire preuve de solidarité et le Belgique, semble, dès lors, prête à accueillir des réfugiés ukrainiens. A contrario, les « Russes ne sont pas bienvenus » sur le territoire, pour l’élu CD&V, qui a affirmé qu’une « interdiction générale de visa pour les Russes ne devrait pas être un tabou », avec des exceptions pour des visas humanitaires à destination d’activistes russes potentiellement en danger.
A l’instar d’autres pays, la SNCB accordera aussi la gratuité aux réfugiés ukrainiens circulant en train en Belgique, ont annoncé mardi le ministre fédéral de la mobilité George Gilkinet et l’entreprise ferroviaire belge. La Pologne, l’Allemagne, l’Autriche, la France et les Pays-Bas avaient déjà enclenché la même mesure, tout comme la compagnie Thalys.
Crise migratoire et climat, indissociables
On doit également à François Gemenne son ouvrage Géopolitique du climat: Les relations internationales dans un monde en surchauffe. Alors que les dernières conclusions du GIEC alertent sur la situation climatique, le spécialiste des migrations et du climat et membre du GIEC, affirme que l’impact géopolitique est important sur le changement climatique : « On ramène la question du climat à l’environnement mais il y a des ramifications géopolitiques importantes. Et dans le cas du conflit en Ukraine, la trame de fond, c’est la politique de l’énergie. Beaucoup de conflit ont sont nés de conflits énergétiques. » Et d’expliquer par rapport à la guerre en Ukraine : « Nous nous sommes mis dans une situation de vulnérabilité par rapport à Poutine parce que nous reposons trop sur les hydrocarbures. Sans cette situation de vulnérabilité, Poutine n’aurait pas envahi l’Ukraine. Si nous avions décarbonné notre économie, nous ne serions pas dans cette situation de vulnérabilité. » Pour finir par conclure : « Certains pays ont finalement décidé de changer leur politique en matière d’énergie, mais quel dommage qu’il ait fallu une guerre. »
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