L’attaque de son quartier général à Sébastopol, le 22 septembre, désorganisera-t-elle la flotte russe de la mer Noire? © belgaimage

Guerre en Ukraine: pourquoi les Russes sont de plus en plus fragilisés en Crimée

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’armée ukrainienne multiplie les attaques contre la péninsule et contre les centres de commandement de l’armée russe. Guerre d’usure.

Le grand changement, c’est que nous avons reçu de nouveaux missiles et des renseignements. Dès que nous avons un objectif et que nous sommes en mesure de l’atteindre, c’est exactement ce que nous faisons.» Ce propos sibyllin d’un membre de l’état-major ukrainien à l’hebdomadaire The Economist peut expliquer la montée en grade des actions de l’armée de Kiev dont la Crimée est le théâtre principal.

Base arrière des opérations des troupes russes déployées dans le sud occupé de l’Ukraine et port d’attache de la marine russe qui entend contrôler la circulation sur la mer Noire et la mer d’Azov, la péninsule est un enjeu stratégique crucial. Sa reconquête aurait une dimension symbolique fondamentale puisqu’elle représente le premier territoire dont se sont emparés les «petits hommes verts» lors de la phase initiale de l’intervention russe en Ukraine en mars 2014. Les attaques qui y sont menées avec succès ont aussi un effet psycho- logique sur l’armée à laquelle est opposée une forte résistance de la part des Russes sur les fronts terrestres de Robotyne et Bakhmout.

La destruction du QG de la flotte russe de la mer Noire n’a pu être réalisée que grâce à du renseignement humain.

Guerre de l’information

Ainsi, l’opération menée le 22 septembre contre le quartier général de la flotte russe de la mer Noire à Sébastopol a tous les aspects d’un «coup de maître», si toutefois le bilan qu’en a tiré l’état-major ukrainien en début de semaine est confirmé. Kiev soutient que la frappe a tué pas moins de 33 officiers et 105 membres du personnel de l’administration. Parmi les hauts gradés décédés figurerait le commandant de la flotte de la mer Noire en personne, l’amiral Viktor Sokolov. Mais à l’annonce de la nouvelle, le 25 septembre, une véritable guerre de l’information s’est engagée entre Russes et Ukrainiens.

Vingt-quatre heures plus tard, le ministère russe de la Défense, après que le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov eut affirmé n’avoir reçu aucune information à ce sujet en provenance de celui-ci, a catégoriquement démenti la mort de l’amiral. Pour conforter son propos, il a assuré que ce dernier participait en direct à une réunion en visioconférence du «conseil d’administration» du ministère de la Défense. Les images le montrent effectivement parmi d’autres officiers sur un écran disposé dans une salle où trône le ministre Sergueï Choïgou. La virtualité de cette présence aurait-elle pu être purement fabriquée? Difficile à imaginer sachant que son éventuel décès pourrait difficilement être gardé longtemps secret, vu l’exposition médiatique inhérente à son statut. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que l’Ukraine diffuserait, sur des faits de guerre, des informations démenties par la suite.

La réplique de Moscou à l’annonce de la mort de son haut gradé militaire a, en tout cas, suffisamment ébranlé les services ukrainiens pour qu’ils envisagent une révision de leurs conclusions. «Les Russes ayant été contraints de publier en urgence une réponse censée montrer Sokolov vivant, nos services clarifient l’information», ont-ils prévenu, pas spécialement beaux joueurs. Et d’ajouter que, selon «les sources disponibles», Viktor Sokolov fait partie des morts mais que l’identification des victimes est difficile parce que les corps sont abîmés. Comme si les renseignements ukrainiens disposaient d’agents à la morgue de l’hôpital central de Sébastopol…

Commandement déstabilisé?

Cette possible erreur jette évidemment le doute sur l’ampleur de l’impact de l’opération contre le QG de la flotte de la mer Noire. Qu’en est-il du sort du lieutenant-général Oleg Tsekov, le commandant de la 200e brigade de fusiliers motorisés, et de son collègue, le colonel-général Alexander Romanchuk, le commandant du groupement des forces armées russes de l’oblast de Zaporijia que le lieutenant-général Kyrylo Budanov, de la direction principale du renseignement militaire ukrainien (GUR), a donné pour blessés dans l’opération? Le mystère demeure.

En toute hypothèse, si le nombre d’officiers disparus dans l’attaque est, lui, confirmé, le coup serait rude pour l’état-major russe. Et si les informations originelles des services ukrainiens étaient finalement confirmées, «la mort […] de Viktor Sokolov et d’autres officiers russes créerait d’importantes perturbations dans le commandement et le contrôle de la flotte russe de la mer Noire», a commenté l’Institut pour l’étude de la guerre, de Washington, dont l’analyse du conflit est réputée.

Le constat serait d’autant plus pertinent que le 13 septembre, une autre frappe des forces d’opérations spéciales ukrainiennes a endommagé le navire de débarquement Minsk dans le port même de Sébastopol, attaque qui n’a pas été démentie, faisant 62 tués. La répétition des actions en Crimée occupée met en outre en exergue la fragilité de la défense antiaérienne russe et les défaillances des services de renseignement. Selon de nombreux experts, la destruction du quartier général de la flotte russe de la mer Noire, au moment où s’y tenait une réunion avec plusieurs officiers, n’a pu être réalisée que grâce à du renseignement humain sur le terrain. L’importance du rôle des réseaux de partisans en territoire occupé serait ainsi confirmée, alors qu’elle est souvent ignorée.

Le nouveau ministre de la Défense Roustem Oumierov, un Tatar de Crimée, garant des progrès de l’offensive ukrainienne.
Le nouveau ministre de la Défense Roustem Oumierov, un Tatar de Crimée, garant des progrès de l’offensive ukrainienne. © reuters

De nouvelles armes

A côté de l’élévation de la Crimée au rang de cible privilégiée, une autre constante de la stratégie militaire de l’Ukraine est de chercher, comme on l’a vu à Sébastopol, à atteindre des postes de commandement. L’armée ukrainienne en a donné un nouvel exemple, à effet plus mesuré, en annonçant cyniquement, le 26 septembre, qu’un lance-roquettes multiple Himars «a participé» à une date indéterminée à la réunion quotidienne des officiers russes du 24e régiment de la 70e division de fusiliers motorisés dans la région de Kherson. Huit d’entre eux auraient été tués. Et depuis le début du conflit, quinze hauts gradés russes ont été tués par les Ukrainiens, principalement entre mars et juillet 2022, la mort de cinq d’entre eux ayant été confirmée par Moscou.

Un lance-roquettes multiple Himars «a participé» à la réunion quotidienne des officiers russes dans la région de Kherson.

A Kherson, c’est du matériel américain qui a servi aux Ukrainiens. Cet emploi pourrait confirmer la réticence affichée des Américains à le voir utilisé en Crimée. Sauf que le recours aux missiles de croisière Scalp français et Storm Shadow britanniques dans les opérations ukrainiennes dans la péninsule, comme cela semble avoir été le cas à Sébastopol le 22 septembre, aurait finalement convaincu l’administration américaine de faire preuve de plus de souplesse. Une évolution qui expliquerait aussi le blanc-seing finalement accordé, au terme de la récente visite de Volodymyr Zelensky aux Etats-Unis, par Joe Biden à la fourniture des missiles de longue portée Atacms. La Crimée sous occupation russe n’en a pas fini avec les représailles ukrainiennes.

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