La cathédrale orthodoxe de la Transfiguration a été touchée par un des bombardements russes sur Odessa. © belgaimage

Guerre en Ukraine: Odessa à nouveau dans le viseur des Russes

François Janne d'Othée

En toile de fond des nouvelles frappes sur la ville portuaire, l’expiration d’un accord crucial pour l’alimentation mondiale.

Ce sont les pires jours depuis le début de la guerre», témoigne, par téléphone, Alexeï (prénom d’emprunt), un russophone d’Odessa qui ne l’a pas quittée malgré les cinq attaques précédentes. La nuit du 22 au 23 juillet, c’est le centre-ville qui a été visé, et non plus la périphérie. «Une explosion s’est produite à trois cents mètres de mon domicile», raconte Alexeï, qui n’en dira pas plus: «Il nous est interdit de donner des infos de ce genre.» D’après la défense ukrainienne, l’ennemi russe a frappé la région d’Odessa avec au moins cinq types de missiles, dont des Kalibr. On a dénombré deux morts et 22 blessés.

Une grande partie des missiles ont été détruits par la défense ukrainienne. Les autres ont anéanti des infrastructures portuaires, des appartements… Dans cette ville cosmopolite aux multiples influences, 25 sites culturels ont été touchés. Au début de l’année, l’Unesco avait placé le centre historique sur la liste du patrimoine mondial en péril en raison des «menaces de destruction». En vain. L’organisation en est réduite aujourd’hui à condamner les «frappes brutales menées par les forces russes».

Cathédrale à rebâtir

Touchée par un missile, la cathédrale orthodoxe de la Transfiguration s’est à moitié écroulée et devra être rebâtie. C’est l’histoire qui se répète. L’édifice avait été dynamité par les Soviétiques en 1936 avant d’être reconstruit, en 1999, grâce au financement d’oligarques liés à Moscou. Peu d’habitants, même les plus antirusses, accréditent la thèse d’une attaque délibérée contre ce lieu de culte, même s’il avait rompu ses liens en 2018 avec le patriarcat de Moscou, dirigé par Kirill, l’ami de Poutine. Pour Hanna Shelest, qui habite le centre-ville, il s’agit plus probablement d’un tir qui a raté sa cible initiale, à savoir le terminal portuaire tout proche.

Les Russes veulent affecter les rentrées financières de l’Ukraine et disloquer ses infrastructures.

«Une chose est sûre, ajoute Alexeï. Les pro-Ukrainiens sont très énervés contre les Russes et rêvent d’en découdre, encouragés en cela par [le président] Zelensky qui a promis des représailles. Les sympathisants prorusses, eux, se taisent, alors qu’ils sont tout autant sous la menace des attaques.» La défense antiaérienne de la ville a, certes, des failles, mais les habitants se croyaient protégés par l’accord sur l’exportation de céréales via la mer Noire, signé par la Russie et l’Ukraine sous l’égide de la Turquie en juillet 2022. Or, Moscou vient de se retirer de cet accord, ce qui rend soudainement la ville encore plus vulnérable.

Réplique asymétrique

Faut-il voir un lien entre la fin de l’accord céréalier et ces derniers raids russes? «Les attaques sur le port d’Odessa constituent surtout une de ces «réponses asymétriques» privilégiées par le Kremlin. Cette fois, c’est à la suite de la deuxième attaque sur le très symbolique pont de Kertch, qui relie la Russie à la Crimée annexée, analyse l’experte du monde post-soviétique Anne Godart (UMons). Il se fait que cela tombe précisément au moment de l’expiration de l’accord céréalier, que la Russie utilise désormais comme moyen de chantage.»

Ukraine et Russie figurent parmi les principaux exportateurs mondiaux de blé, d’orge et de maïs. «Les Russes veulent affecter les rentrées financières de l’Ukraine mais aussi disloquer ses infrastructures à tous les niveaux, et pas seulement à Odessa, poursuit Anne Godart. Ainsi, ils ciblent les voies alternatives d’exportation, comme les terminaux ukrainiens sur le Danube, dont celui de Reni, qui vient d’être détruit, ce qui amène la guerre aux frontières de la Moldavie et surtout de la Roumanie, membre de l’Otan. L’Ukraine sait déjà que l’hiver sera très difficile

L’accord céréalier pourrait toutefois être remis en vigueur si les Russes reçoivent une contrepartie. Vladimir Poutine, qui ouvre le deuxième forum Russie-Afrique ce 27 juillet, a déjà assuré que Moscou est prêt à le remettre en vigueur si les sanctions qui entravent les livraisons russes de produits agricoles et d’engrais sont levées. Il réclame aussi que la Banque agricole russe (Rosselkhozbank) soit reconnectée au système bancaire international Swift. D’après le Financial Times, l’UE a proposé à cette banque de créer une filiale qui aurait accès au système Swift, mais Moscou estime que ce montage prendrait beaucoup trop de temps.

Dans le port d’Odessa, un drone russe a pulvérisé cet entrepôt de céréales.
Dans le port d’Odessa, un drone russe a pulvérisé cet entrepôt de céréales. © belgaimage

Vivre dans le danger

A Odessa, la pluie de missiles n’a pas pour autant bouleversé la vie des habitants: «Ceux qui ont peur sont déjà partis depuis longtemps, déclare Alexeï. Ce sont les durs qui restent sur place. Je n’ai entendu personne dire «maintenant, c’en est trop, on fout le camp».» Les sacs de sable qui protégeaient l’opéra n’ont pas réapparu, pas plus que les protections qui enveloppaient les statues. Le couvre-feu reste d’application de minuit à cinq heures du matin – l’heure du début a été retardée «sous pression du secteur de la restauration et du divertissement», croit savoir Alexeï –, et ne vise de toute façon qu’à déjouer les opérations de sabotage, pas les raids aériens.

«Il y a comme une sorte d’accoutumance à la guerre», résume Alexeï. Les sirènes retentissent encore, mais brièvement. Lui-même revient d’un séjour en Hongrie: «J’ai traversé toute l’Ukraine depuis la frontière hongroise, et jusqu’à Odessa. Bien sûr, il y a des barrages. Mais je n’ai été arrêté ni fouillé une seule fois.» Les habitants prennent leurs dispositions: «On a tous une paire de grosses chaussures à côté du lit, au cas où, la nuit, il faudrait marcher dans du verre cassé.» Le business du blindage des fenêtres marche à plein régime, du moins pour ceux qui en ont encore les moyens, car l’économie ne tourne plus.

En attendant, les habitants d’Odessa devront se réhabituer à vivre dans le danger. L’onde de choc de la guerre pourrait se propager jusqu’à la Moldavie proeuropéenne, à moins d’une heure de route, et à la Transnistrie, cette partie de la Moldavie administrée depuis 1992 par des séparatistes prorusses. Dans ce territoire sont stockés plus de 50 000 tonnes d’armements soviétiques. La jonction des Russes avec ce territoire prendrait Odessa en tenaille.

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