Guerre en Ukraine : jusqu’où ira Poutine?
Les Ukrainiens et les Occidentaux semblent momentanément impuissants à contrer les offensives militaires russes, la russification des territoires occupés et la rhétorique mensongère du maître du Kremlin.
Conquête totale de la région de Louhansk après la chute de la ville de Lyssytchansk, spectre d’une entrée en guerre de l’allié biélorusse en représailles à une supposée attaque sur son sol, russification à marche forcée des territoires occupés du sud de l’Ukraine: la Russie fait flèche de tout bois pour asservir les parties du pays qu’elle occupe ou convoite.
Face à cet apparent rouleau compresseur, que vient seulement gripper un possible épuisement de la chaîne d’approvisionnement en matériel militaire, les pays occidentaux, malgré l’apport en armements et le soutien politique, apparaissent impuissants à éviter que l’Ukraine sorte d’une façon ou d’une autre perdante du conflit. Relayées par CNN, des informations faisant état des doutes que de hauts dirigeants américains auraient exprimés sur la capacité des Ukrainiens à reprendre les territoires conquis par les Russes ont ajouté une couche au pessimisme du moment. Il ne serait toutefois pas encore question, selon la chaîne d’information, que les Etats-Unis prévoient d’exercer une pression sur le gouvernement de Kiev pour qu’il fasse des concessions territoriales formelles à la Russie afin de mettre fin à la guerre…
La Russie ne pourra pas ingérer l’Ukraine comme s’il s’agissait de territoires reconquis, surtout après les destructions et les massacres.
L’ été pourrait s’avérer crucial pour la suite du conflit en fonction des réponses à quelques questions majeures. La ligne de front reconstituée par l’armée ukrainienne sur l’axe Sloviansk-Kramatorsk-Bakhmout dans l’oblast de Donetsk résistera-t-elle longtemps à la pression russe dans le Donbass? Les Ukrainiens pourront-ils regagner du terrain dans la région de Mykolaïv pour espérer reprendre la ville de Kherson et la résistance dans ces territoires du sud de l’Ukraine affaiblira-t-elle l’occupant russe? L ’armée de Kiev, intensivement mobilisée sur plusieurs fronts, pourrait-elle faire face à une attaque partie du Bélarus? Et en définitive, où et quand pourrait s’arrêter Vladimir Poutine?
Russification forcée
A Kherson, Berdiansk ou Melitopol, villes conquises dans les premières semaines de la guerre, la russification est en marche. A l’emploi de la langue russe et du rouble, à la révision des manuels scolaires, à l’octroi de passeports russes, se sont ajoutées la délivrance de certificats de fin de scolarité selon le mode d’enseignement dispensé en Russie et l’ouverture de lignes de bus reliant les centres urbains à la Crimée, annexée il y a huit ans. En opposition à ce processus de négation de l’identité ukrainienne, une partie de la population s’organise. Attentats contre des notables prorusses, actions de sabotage, affichage des symboles de la nation ukrainienne, participent de cette résistance.
«L’ affirmation de l’identité, de la culture, de la langue ukrainiennes et l’orientation proeuropéenne prise par le pays rend très difficile l’assimilation, note Cyrille Bret, philosophe et chercheur associé à l’Institut Jacques Delors (lire en page 29). L’ attraction de la Russie pour certains Ukrainiens est réelle. Mais la Russie ne pourra pas ingérer l’Ukraine comme s’il s’agissait de territoires reconquis, surtout après les destructions et les massacres. Il sera très difficile de les russiser comme ils l’ont été à partir du XVIIIe siècle.»
D’aucuns prêtent l’intention aux dirigeants russes de vouloir restaurer le gouvernorat de Tauride, établi entre 1802 et 1921, dont les premiers jalons furent posés sous l’empereur Alexandre Ier. Il couvrait alors les régions actuelles de Kherson et de Zaporijia. Un tel dessein correspondrait au tropisme pour la Russie impériale développé par Vladimir Poutine (lire en page 30).
Machiavel, vraiment?
Mais le président russe est-il ce Machiavel du XXIe siècle, un talent que lui reconnaîtraient même ses adversaires les plus affirmés? interroge Sergueï Jirnov, l’ancien agent du KGB qui l’a rencontré à quatre reprises, dans son livre L’Engrenage (1). Le documentaire Un président, l’Europe et la guerre, de Guy Lagache, que France 2 a diffusé le 30 juin et qui retrace les démarches diplomatiques d’Emmanuel Macron pour prévenir la guerre et, ensuite, pour forger un front uni européen contre la Russie, démontre que Vladimir Poutine n’est pas le moins malin sur la scène internationale.
Apprendre à mentir, devenir un caméléon, sont les armes de ceux qui n’ont pas les moyens d’user de la violence physique pour asseoir leur pouvoir.
Le film donne à voir et à entendre une partie de l’entretien téléphonique que le président français a eu avec son homologue le 20 février 2022. Vladimir Poutine y donne l’impression d’être ouvert à une proposition de Macron prévoyant des gestes susceptibles d’empêcher un conflit, parmi lesquels une rencontre Poutine-Biden. Le lendemain, le Russe reconnaissait l’indépendance des républiques séparatistes prorusses de Louhansk et de Donetsk. Le 24 février, il lançait «l’opération militaire spéciale» contre l’Ukraine. Ce qui tend à accréditer le commentaire prémonitoire du chef de la cellule diplomatique de l’Elysée, Emmanuel Bonne, qui assure que Poutine «ment toujours».
Seul pour décider?
Pour Sergueï Jirnov, cette disposition au mensonge remonte au temps où Vladimir Poutine, «trop petit pour son âge, chétif, sans défense», avait du mal à se faire respecter des bandes de jeunes délinquants côtoyées dans les rues de Saint-Pétersbourg lorsqu’il était livré à lui-même. «Pour survivre dans un tel environnement, il faut user de la force, ou de la ruse quand la force vous manque. Apprendre à mentir, devenir un caméléon sont les armes de ceux qui n’ont pas les moyens d’user de la violence physique pour asseoir leur pouvoir», commente Sergueï Jirnov. Un artifice qu’il saura entretenir quand il sera recruté comme agent du KGB, le principal service de renseignement de l’Union soviétique.
Ce difficile rapport à la vérité est confirmé par les discours de justification de la guerre en Ukraine prononcés par le président russe. Un constat qui désarme les Occidentaux dans une négociation et qui inquiète sur l’évolution du conflit. «Je connais la façon qu’il a de s’exprimer, son caractère, écrit encore Sergueï Jirnov dans L’Engrenage. Les informations que j’ai provenant de sources russes le disent isolé, entouré de personnes qui n’osent plus lui dire la vérité si elle dérange. Il prend toutes les décisions seul, cela rend la situation d’autant plus effrayante.»
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici