Guerre en Ukraine: « Établir s’il y a des crimes de guerre avant de parler de génocide »
La Cour pénale internationale (CPI) va d’abord devoir établir si des crimes de guerre et contre l’humanité ont été commis en Ukraine. Il est un peu prématuré de parler de génocide, estime Damien Vandermeersch, professeur de droit pénal international à l’UCLouvain.
La ville de Boutcha, au nord-ouest de Kiev, où ont été découverts début avril des dizaines de corps de civils après le retrait des troupes russes, est devenue un symbole des atrocités de la guerre en Ukraine. Près de 300 personnes y ont été enterrées dans des fosses communes, selon les autorités ukrainiennes, qui accusent les Russes de massacres, ce que Moscou dément en bloc, dénonçant une « manipulation ». L’Ukraine a dénoncé un « génocide », récemment suivie par le président américain Joe Biden.
« Il ne faut pas galvauder un terme qui est lourd d’un point de vue historique. On ne qualifie pas n’importe quel crime de génocide », soutient M. Vandermeersch.
On parle de génocide à partir du moment où il y a une intention particulière d’exterminer un groupe, en tout ou en partie, à partir des quatre critères suivants: la race, la religion, la nationalité ou l’appartenance ethnique.
« Soyons raisonnables. On ne peut pas à l’heure actuelle dire que l’agresseur russe est en train d’éliminer chaque Ukrainien qu’il croise, jusqu’au dernier », ajoute le juriste. « Nous n’avons pas encore d’éléments à ce stade pour pouvoir déterminer s’il y a une intention, dans le chef de dirigeants russes, de détruire le peuple ukrainien en tant que tel. Il est plus crédible aujourd’hui de parler de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ce qui n’est déjà pas rien. »
Selon Eric David, qui enseigne le droit international à l’ULB, il n’est pas nécessaire d’attendre une décision judiciaire pour qualifier une action ou un comportement.
« Il semble assez clair que les victimes qui ont été massacrées dans différentes localités en Ukraine et notamment à Boutcha, l’ont été simplement parce qu’elles étaient ukrainiennes. Ce n’était pas des combattants. On peut donc parler de génocide. Par ailleurs, il ne faut pas nécessairement qu’il y ait anéantissement de toute la population. Il n’y a pas de critère de nombre. Il faut qu’il y ait une intention morale de tuer ces gens parce qu’ils ont telle nationalité. Il semble qu’ici, c’est ce qui a fondé les massacres de civils dans différentes bourgades. »
M. David entrevoit un « ‘concours idéal d’infractions » pesant sur les autorités russes. « On peut parler de génocide puisque l’appartenance nationale semble visée, mais aussi de crime de guerre puisque les personnes ont été tuées alors que c’était des civils non combattants, et de crime contre l’humanité car elles ont été tuées dans le cadre d’une politique d’attaque systématique ou généralisée contre une population. »
La Cour pénale internationale a ouvert des enquêtes peu après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Bien que l’Ukraine n’est pas État partie de la CPI, elle a fait une déclaration volontaire d’acceptation de compétence en 2014, sans limite de temps. La CPI est donc compétente pour enquêter sur les crimes de guerre, contre l’humanité et éventuellement un génocide commis sur le territoire ukrainien, explique Damien Vandermeersch.
Les dirigeants russes pourraient donc faire l’objet de mandat d’arrêt de la CPI. Doivent-ils craindre d’éventuelles sanctions? « Je ne pense pas que les responsables russes vont se livrer à la Cour », estime Eric David. « Le premier président du TPI, Antonio Cassese, avait qualifié l’organe qu’il présidait de ‘géant sans bras ni jambes’. L’instance n’a pas de force de police à sa disposition. La répression éventuelle dépend de la collaboration des États partenaires. Poutine et la hiérarchie militaire russe ne risquent pas grand-chose tant qu’ils restent chez eux, ou qu’ils vont dans des pays qui ne reconnaissent pas la compétence de la CPI », avance M. David.
Aujourd’hui, 123 pays sont États parties au Statut de Rome de la CPI (sur les 193 pays membres des Nations unies). « Si ces dirigeants condamnés sont surpris sur le sol belge, nous sommes tenus de les arrêter », ajoute son collègue de l’UCLouvain.
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