Guerre en Ukraine: derrière une façade européenne enjolivée, l’arrière-cour est moins réjouissante
L’unité affichée par les ministres des Affaires étrangères à Kiev cache mal les dissensions que la politique du nouveau gouvernement slovaque risque d’approfondir.
Il fallait bien un happening inédit pour masquer les dissensions qui émergent et qui risquent de s’affirmer de plus en plus à propos de l’aide à l’Ukraine. Aussi, les ministres européens des Affaires étrangères ont-ils pris le chemin de Kiev, le 2 octobre, pour afficher leur solidarité avec le pays agressé par la Russie depuis bientôt vingt mois. Une démarche saluée avec emphase par le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kuleba: «C’est un événement historique. Car pour la première fois, l’Union européenne se réunit en dehors […] de ses frontières mais à l’intérieur de ses futures frontières.»
Cette perspective sera discutée au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté politique européenne – le sas transitoire imaginé par Emmanuel Macron – et à celui des Vingt-Sept ces 5 et 6 octobre à Grenade, en Espagne. En regard des avancées engrangées notamment en matière de lutte contre la corruption, Kiev espère obtenir rapidement l’ouverture officielle de négociations d’adhésion à l’Union.
Voilà pour la façade enjolivée de l’édifice européen en temps de guerre. La visite de l’arrière-cour est moins réjouissante. A Kiev, tous les ministres des Vingt-Sept n’étaient pas présents. Des raisons techniques pouvaient expliquer l’absence de certains. Il était en revanche difficile de ne pas juger que celle du chef de la diplomatie hongroise n’avait pas une motivation politique. Le gouvernement de Viktor Orban reste le plus rétif à un soutien plein et entier aux Ukrainiens en raison du tropisme prorusse qui prévaut en son sein. Or, si on a pu considérer un temps, comme l’eurodéputé français Bernard Guetta, que Viktor Orban se démarque des positions de l’Union «quand il rentre à Budapest, parce que lorsqu’il est à Bruxelles, il vote comme tout le monde», les réticences hongroises à toute décision sur la guerre se font de plus en plus grandes. Budapest met ainsi son veto au déblocage de 500 millions d’euros d’aides.
En Slovaquie, il y a le discours électoral et puis, il y a ce que la responsabilité gouvernementale imposera de faire.
De surcroît, l’obstructionnisme de Viktor Orban risque de se sentir renforcé par la formation du nouveau gouvernement dans la Slovaquie voisine. Les élections législatives du 30 septembre ont consacré la victoire du parti social-démocrate Direction-Démocratie sociale (Smer-SD) de l’ancien Premier ministre prorusse Robert Fico (2006-2010 et 2012-2018), avec 22,94% des voix et 42 des 150 sièges du Conseil national de la république. Il est en position idéale pour fédérer une alliance de formations politiques en vue du prochain gouvernement, sans doute le parti HLAS (Voix), une dissidence de Smer-SD, fort de 27 élus, et le Parti national, nationaliste et populiste, qui en compte dix. Or, Robert Fico n’a pas caché pendant la campagne électorale sa volonté de mettre fin à l’aide militaire à l’Ukraine… «Il y a le discours électoral et puis, il y a ce que la responsabilité gouvernementale imposera de faire», nuance Etienne Boisserie, professeur d’histoire de l’Europe centrale à l’Inalco, à Paris, cité dans une note de la Fondation Robert Schuman. «Evidemment, [les dirigeants de Smer-SD] sont moins “ukrainophiles” et moins engagés que le gouvernement sortant. Mais, en même temps, il n’y a pas eu de remise en cause de l’accueil [des réfugiés] et de l’aide humanitaire. Ce dont il est question, c’est la fourniture d’armes.»
Il n’empêche, avec la prolongation de la guerre, la lassitude des citoyens, et des préoccupations électoralistes qui s’éloignent du souci de la cause ukrainienne, la relation de l’Union européenne à l’Ukraine risque de s’enfoncer durablement dans une période troublée.
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