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Guerre en Syrie : « Il y a un gouffre béant entre la télévision arabe et la télévision occidentale »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Dans une opinion parue dans le quotidien néerlandais NRC Handelsblad, le sociologue et écrivain néerlandais Mohammed Benzakour raconte à quel point il a été frappé par le déferlement d’images atroces de la guerre en Syrie sur les chaînes arabes, diffusées dans les établissements publics de Molenbeek et de Borgerhout.

Fatigué par les opinions, les commentaires et les propos d’experts omniprésents dans les médias après les attentats de Paris, Benzakour a décidé de se rendre compte lui-même de la situation à Molenbeek et à Borgerhout. « J’espérais que, de retour chez moi, je comprendrais le monde un peu plus qu’avant » écrit-il.

Curieux, l’écrivain a exploré les deux quartiers. « J’ai bu du café libanais, j’ai lu des journaux arabes, j’ai joué aux dames et aux échecs, j’ai fumé la chicha, j’ai mangé des anchois et des pattes de boeuf aux pois chiches – le tout à prix doux. Même si je n’ai pas vu de traces de Saint-Nicolas ou de décorations de Noël dans les étalages, l’atmosphère était joyeuse. J’ai bavardé avec plein d’habitants du quartier, des propriétaires de café, des habitués, des commerçants, des bouchers, des tailleurs, des pâtissiers, j’ai bu du thé avec des Marocains, des Syriens, des Afghans et des Irakiens de tout poil » écrit-il.

Mais il a surtout regardé les chaînes satellites diffusées dans pratiquement tous les établissements : Al-Jazeera, Syria TV, Al Arabiya, Al Sharqiya et Al Alam News Channel. Il raconte n’avoir jamais passé autant d’heures à regarder les images de la guerre en Syrie, des bombes larguées sur Raqqa, mais aussi des territoires occupés en Palestine et des atrocités commises en Irak et en Afghanistan. « J’ai vu des quartiers entiers et des hôpitaux en cendres, des corps carbonisés, des marchés transformés en mares de sang, ici et là un bras, une jambe encore entourée d’un lambeau de pantalon, des femmes avec un bébé mort dans les bras qui s’effondrent en pleurant, des petits enfants en larmes à la recherche de leur mère dans les décombres ».

En regardant ces images atroces, absentes de chaînes de télévision comme RTL, CNN et NOS, Mohammed Benzakour s’est rendu compte des effets concrets des drones et bombes larguées par les Américains, les Français et les Britanniques sur « les terroristes » et les « objectifs de l’EI ». Autour de lui, colère, indignation et stupéfaction face aux actualités montrées à la télévision. « Pourquoi ? C’est très simple : parce que ces peuples martyrisés qu’on voit à la télévision ont les mêmes cheveux frisés, les mêmes yeux sombres, parlent la même langue ou qui présente les mêmes sonorités, s’adressent au même Dieu. Parce que cette femme avec cet enfant mort sur les genoux ressemble fort à leur soeur, leur fille, leur mère » explique-t-il .

Un gouffre béant entre les chaînes occidentales et arabes

Selon lui, il y a un écart gigantesque entre la réalité présentée sur les chaînes arabes et les images d’avions et de porte-avions diffusées sur les chaînes occidentales. Interrogé par le quotidien De Standaard, le sociologue explique que les images de lieux publics bombardés par la coalition internationale ne font qu’attiser la haine envers l’Occident, accusé dans les cafés de prêcher une « double morale » à l’égard d’Israël et de « la plus grande poche de perfusion de l’EI » : l’Arabie saoudite.

« Enrôleurs, lectures djihadistes ronflantes, imams qui prêchent la haine, kalachnikovs, gilets explosifs, ce sont sans aucun doute des choses laides qu’il faut résolument combattre. Mais les choses laides sont engendrées par un monde laid » estime Benzakour.

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