Giorgia Meloni, une post-fasciste aux portes d’une victoire aux élections italiennes
À 10 jours des élections générales italiennes, Giorgia Meloni s’impose comme la favorite pour accéder à la présidence du Conseil. Des spécialistes en politique décryptent le programme et l’ascension de la cheffe du parti Fratelli d’Italia.
Des cheveux blonds, une communication travaillée, des critiques acerbes vis-à-vis de l’Europe, de l’immigration et de l’Islam. Mais surtout, un rêve commun : devenir la première femme à gouverner son pays. À de nombreux égards, Giorgia Meloni s’apparente à Marine Le Pen. Si la seconde a échoué au second tour des élections présidentielles françaises en avril dernier, Giorgia Meloni est bien partie pour mener sa coalition à la victoire aux prochaines élections générales italiennes. Qui est cette femme, taxée de fasciste par certains, et qui a comme volonté de changer les choses au sein de l’Union européenne ?
Engagement dès 15 ans et record de précocité
Giorgia Meloni naît à Rome en 1977 et grandit dans un quartier populaire de la capitale. D’origine aisée, elle voit son père quitter très tôt le foyer, ce qui marque profondément la jeune femme. À 15 ans, elle rejoint le Front de la jeunesse, une organisation étudiante liée au parti du Mouvement Social Italien (MSI). Il s’agit d’un rassemblement de fascistes créé à la suite de la dissolution publique du parti de Mussolini en 1946. Le MSI deviendra l’Alliance Nationale, et Giorgia Meloni se verra confier la tête de l’organisation étudiante dans les années qui suivent.
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S’en suit en parallèle une fulgurante ascension politique avec le parti : élue conseillère de la province de Rome en 1998 à 21 ans, députée dans le Latium et vice-présidente de la Chambre des députés en 2006, nommée ministre de la Jeunesse par Silvio Berlusconi en 2008. Elle devient alors à 31 ans, la plus jeune ministre de l’histoire italienne.
Naissance et percée du parti
En 2012, Giorgia Meloni quitte le parti du Peuple de la Liberté, issu d’une fusion entre le parti de Berlusconi Forza Italia et l’Alliance Nationale. Elle crée alors un nouveau parti : Fratelli d’Italia. Cette formation se revendique comme étant de centre-droit, à tendance conservatrice et au programme économique libéral.
Ce qui apparaissait à l’époque comme un parti minoritaire, presque folklorique avec une femme comme présidente dans un monde politique italien encore très machiste, a aujourd’hui bien grandi. Là où Fratelli d’Italia avait obtenu 4% des votes en 2018, les derniers sondages indiquent qu’il recueille près de 25% des intentions de vote à 10 jours des élections. Une coalition de partis de centre-droit a déjà été formée et devrait, sauf surprise majeure, former le prochain Gouvernement. Cette alliance regroupe Fratelli d’Italia, La Ligue du Nord de Matteo Salvini, Forza Italia de Silvio Berlusconi ainsi que des partis centristes minoritaires. Et si Fratelli d’Italia termine premier parti du pays, c’est bien Giorgia Meloni qui devrait devenir la présidente du Conseil italien.
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Ces élections sonneront certainement la victoire des partis considérés comme populistes, et rien ne semble pouvoir les arrêter à quelques jours du scrutin. « En novembre 2019, il y avait eu une impulsion de la société civile, le Mouvement de sardines« , explique Benjamin Biard, docteur en sciences politiques et chargé de recherches au CRISP. « Cette mobilisation visait à contester le populisme développé par les partis d’extrême droite, notamment la Ligue du Nord à l’époque. On avait vu que cela avait eu un impact concret sur les élections régionales. Je suis surpris que ce mouvement ne reprenne pas de l’ampleur dans cette campagne électorale. »
Post-fascisme et dédiabolisation
L’une des raisons qui explique le succès de Fratelli d’Italia, c’est le fait que le parti appartienne à l’opposition depuis sa création. « Durant toutes ces années, Giorgia Meloni a pu rassembler les mécontents, ceux en difficulté sociale qui en veulent au gouvernement », explique Marc Lazar, sociologue et historien français spécialiste de la vie politique italienne. « Depuis le milieu des années 1990, le peuple italien pratique l’alternance, avec des changements de majorité au pouvoir lors de chaque élection. Chaque scrutin marque donc la recherche d’une nouvelle personnalité salvatrice, une alternative au pouvoir actuel, qui est matérialisée aujourd’hui par la personne de Giorgia Meloni.«
« De l’extrême gauche à la Ligue du Nord, tous ont déjà fait partie du Gouvernement à un moment ou un autre », explique Andrea Borello, étudiant italien de 22 ans en science-politique et créateur de contenu sur les réseaux sociaux. « Fratelli d’Italia est le seul qui n’y a pas encore eu accès. Dans l’opposition, elle s’est toujours montrée cohérente dans ses idées, et a désormais de la légitimité pour accéder au pouvoir. »
Si son parti se proclame comme étant traditionaliste, il est parfois taxé de réactionnaire, voire de fasciste. Giorgia Meloni rejette néanmoins avec fermeté cette étiquette. « Fratelli d’Italia est un parti de droite radicale, mais son programme comporte des éléments majeurs de différenciation par rapport au mouvement fasciste historique« , explique Benjamin Biard. « Le parti ne cherche pas à renouveler la société dans son ensemble et entend respecter les bases du système démocratique italien. »
« On peut toutefois les qualifier de post-fascistes« , continue Benjamin Biard. « Il y a bien une forme de continuité avec le Mouvement Social Italien, les héritiers directs de Mussolini. Le logo de la flamme tricolore a par exemple été conservé. Certaines idées du parti menacent la conception libérale que l’on a de la démocratie, notamment les mesures sécuritaires qui concernent la migration et les minorités. »
Tout comme Marine Le Pen l’a fait en France avec le Rassemblement national, Giorgia Meloni cherche à « dédiaboliser » l’image de son parti. La cheffe condamne désormais fermement le régime de Mussolini — ce qui n’a pas toujours été le cas, en témoigne une interview donnée pour France 3 en 1996 où elle le qualifie de « bon politicien ». Elle s’est séparée de certains collaborateurs encore nostalgiques de l’époque du Duce. La communication de la quadragénaire s’est aussi adoucie : là où elle haranguait les foules avec véhémence il y a quelques années, elle cherche désormais à donner l’image d’une mère de famille calme, rassurante et compétente.
« Aujourd’hui, elle sait qu’un parti fasciste restera minoritaire », explique Marc Lazar. « Elle veut désormais s’adresser à un électorat plus large, sans rompre pour autant définitivement avec le fascisme. Même si le parti est en transition, on conserve une certaine identité post-fasciste. »
« Elle s’est bien adaptée aux institutions« , détaille Andrea Borello. « Pendant longtemps, elle s’est moquée des enjeux environnementaux. Aujourd’hui, elle a inclus des points à ce sujet dans son programme pour devenir plus acceptable. »
Migration, droits des LGBT et IVG
La préoccupation majeure des Italiens lors de ces élections 2022 est le pouvoir d’achat. Comme tous les pays d’Europe, l’Italie est confrontée à l’inflation ainsi qu’à la peur d’un black-out énergétique. « Au niveau économique, le programme du parti de Fratelli d’Italia est typique des formations de droite radicale« , explique Marc Lazar. « On propose des idées qui peuvent sembler contradictoires, mêlant inspiration libérale et promesses sociales, avec notamment la baisse des impôts. Ces engagements sont toutefois bien réservés aux Italiens et non aux immigrés. »
Contrairement à Matteo Salvini ou Silvio Berlusconi, Giorgia Meloni se positionne en faveur des sanctions contre la Russie et milite aussi pour l’envoi d’armes en Ukraine. Il s’agit d’un point majeur de différenciation de la cheffe de parti par rapport à d’autres formations d’extrême droite en Europe, comme le Rassemblement national ou le parti de Viktor Orban.
Autre point important des élections : la migration. Giorgia Meloni cherche, tout comme Matteo Salvini, à combattre l’immigration clandestine. Elle se montre extrêmement dure à ce sujet, affirmant régulièrement se défendre contre « l’islamisation ». Début août, elle a lancé un appel à la radio pour instaurer un blocus naval le long des côtes libyennes afin de stopper l’afflux de migrants.
Concernant les populations ayant immigré légalement dans le pays (5 millions de personnes en Italie), la présidente de Fratelli d’Italia refuse de modifier l’accès à la nationalité italienne. La droite italienne défend le droit du sang actuellement en vigueur, contre le droit du sol plaidé par certains politiques de gauche.
En tant que grande protectrice des traditions familiales, la cheffe du parti est aussi en guerre contre ce qu’elle appelle « les lobbys LGBT ». Elle s’oppose ainsi aux droits des minorités sexuelles et de genre, notamment en ce qui concerne le mariage ou l’adoption.
La position de Giorgia Meloni vis-à-vis de l’avortement est quant à elle ambiguë. En juin dernier, elle a affirmé officiellement que si elle accédait au pouvoir, elle ne modifierait pas la loi concernant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Pourtant, celle qui occupe le poste de conseillère communale de Rome avait signé une motion pour le moins hostile vis-à-vis de ce droit en 2019. Celle-ci prévoyait l’inhumation systématique de fœtus issus d’une IVG dans des cimetières, et ce sans l’autorisation des familles concernées. Une proposition qui s’apparente à ce que prônent les organisations anti-avortement aux États-Unis.
« Plusieurs autres membres de Fratelli d’Italia ont soutenu cette proposition », explique Marc Lazar. « Si elle accédait à la présidence du Conseil, peut-être qu’elle ne modifierait pas elle-même la loi sur l’IVG, mais un député ou un sénateur pourrait monter au créneau pour le faire. »
Conséquences pour l’Europe
En ce qui concerne l’Union européenne, Giorgia Meloni a déjà prévenu : avec elle, la fête est finie. Si elle ne cherche plus à quitter les 27, elle cherchera à défendre durement les intérêts de l’Italie avant tout. « Ce qui est sûr, c’est que si elle accède au pouvoir, ça va tanguer un peu au niveau de l’UE », projette Marc Lazar. « Sa marge de manœuvre est limitée, mais elle va essayer de taper du poing sur la table pour obtenir des avantages. On peut légitimement spéculer sur la formation d’un axe Rome-Varsovie-Budapest, bien qu’il existe un contentieux vis-à-vis de la question ukrainienne avec Viktor Orban. Ce trio pourrait lever leur droit de veto, prôner la primauté du droit national sur le droit européen et ne percevoir l’UE que comme un marché permettant une prospérité économique. »
C’est le 25 septembre prochain qu’on connaîtra le verdict de ces élections générales italiennes. Elles permettront d’élire 200 sénateurs et les 400 députés composant le Parlement.
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