Carte blanche
Gestion du coronavirus par la Chine : « Il y a transparence et transparence »
À l’heure où le nombre de décès dus au coronavirus a dépassé le cap des 250, « il apparait dès maintenant que la gestion interne s’est faite avec une légèreté peu admissible dans ce type de crise où chaque instant compte », écrivent trois scientifiques. Ils font le point sur la gestion du virus par la Chine.
Début décembre 2019, quelques personnes se présentent à l’hôpital de Wuhan avec des symptômes particuliers. Le 31 décembre, la représentation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Chine est informée de cas de pneumonie inconnue détectés dans la ville de Wuhan, province du Hubei en Chine. Le 3 janvier 2020, 44 patients atteints de pneumonie d’étiologie inconnue sont signalés à l’OMS par les autorités nationales chinoises. Au cours de cette période, l’agent causal n’a pas été identifié. Le 7 janvier 2020, les autorités chinoises identifient un nouveau type de coronavirus. Le 12 janvier 2020, la Chine partage la séquence génétique du nouveau coronavirus à la communauté internationale pour développer des kits de diagnostic spécifiques. Le 20 janvier 2020, 282 cas de coronavirus 2019-nCoV sont confirmés, essentiellement en Chine mais aussi quatre dans les pays limitrophes.
Réunie en urgence le 22 janvier 2020, l’OMS joue les prolongations pour décider si l’épidémie de coronavirus 2019-nCoV constitue une urgence de santé publique de portée internationale ou non. L’enjeu est de taille : cette décision aurait des conséquences considérables en termes de restrictions de commerce et de circulation…
Au même moment, l’annonce inédite des autorités chinoises de construire des hôpitaux en une dizaine de jours et de placer en quarantaine des dizaines de millions de personnes dans la région du Wuhan, épicentre de l’épidémie, de manière à mieux contrôler l’épidémie en Chine et de diminuer les risques de propagation mondiale a été saluée par l’OMS. Il se joue ici une double opération de communication car la fonction première de ces mesures n’est-elle pas avant tout un message politique? En interne, d’abord, il s’agit de rassurer la population en lui donnant l’illusion que l’autorité a la capacité de maîtriser la crise et de marteler que tout est sous le contrôle du pouvoir de Xi Jinping ; celui-là même qui surveille sa population dans ses faits et gestes grâce aux 600 millions de caméras à reconnaissance faciale installées dans l’espace public chinois. A l’international, ensuite, car la Chine – en pleine expansion économique sur tous les continents via le développement tsunamiesque des routes de la soie et au coude à coude avec les Etats-Unis pour assurer sa suprématie planétaire – veut démontrer qu’elle n’a besoin de personne et qu’elle peut contenir ce type de crise sans aucune assistance ; le contraire serait un signe de vulnérabilité ou de faiblesse du Parti communiste chinois. « La formation et la pérennité de l’Etat reposent surtout sur ses capacités à maîtriser les risques qui menacent la collectivité ou les individus qui en font partie » (Fallon et al., 2008). Pour ces raisons, donc, la Chine tire profit de cette situation de crise pour poser des actions vues auparavant uniquement dans des blockbusters américains. Et cela a certainement influencé la prise de décision du comité d’experts de l’OMS qui, le 23 janvier 2020 à Genève, a décidé de ne pas considérer l’épidémie comme étant une urgence de santé publique de portée internationale mais plutôt comme un risque « très élevé en Chine, élevé au niveau régional et modéré au niveau international ». A ce moment, le nombre de cas de coronavirus 2019-nCoV confirmés est de 639 en Chine et de 14 ailleurs dans le monde.
Quatre jours plus tard, le 27 janvier 2020, le nombre de personnes détectées positives a été multiplié par sept : 4409 en Chine et 65 dans 17 autres pays. L’OMS revoit sa position : le risque est relevé de « modéré » à « élevé » au niveau international ; mais ajoute que « cela ne veut absolument pas dire que nous avons changé notre évaluation du risque, mais qu’une erreur s’est glissée dans les précédents documents officiels de l’OMS ». Un comble. Entre-temps, l’urgence de santé publique de portée internationale a été déclarée. Cependant, on le sent bien : l’OMS marche sur des oeufs et – clairement – n’adopte pas la même posture face à la Chine que – dans un passé récent – à l’encontre de pays africains. Autant dire que ces tergiversations seront au coeur des discussions si – d’aventure – l’épidémie de coronavirus 2019-nCoV devait tourner en pandémie dans les jours ou semaines qui viennent…
Il y a transparence et transparence. Certes, il semble que la Chine ait appris des erreurs du passé avec la gestion déplorable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002-2003. Elle a communiqué avec célérité et transparence avec l’OMS et les pays tiers. Par contre, il apparait dès maintenant que la gestion interne s’est faite avec une légèreté peu admissible dans ce type de crise où chaque instant compte. De toute évidence, le système politique pyramidal et fort n’a pas autorisé la divulgation rapide et claire d’informations auprès des populations, ce qui – d’après le peu de témoignages qui filtrent de la ville de Wuhan – a alimenté de nombreuses rumeurs qui – au final – représentent une crise dans la crise. C’est clairement la raison pour laquelle une bonne partie des cinq millions de personnes a quitté précipitamment la région de Wuhan avant la mise en quarantaine ; tout autant de porteurs potentiels du 2019-nCoV maintenant éparpillés sur le vaste territoire chinois pouvant de la sorte être un accélérateur de la propagation du risque.
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Walking around without a protective face mask? Well, you can't avoid these sharp-tongued drones! Many village and cities in China are using drones equipped with speakers to patrol during the #coronavirus outbreak. pic.twitter.com/ILbLmlkL9R
— Global Times (@globaltimesnews) January 31, 2020
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Le confinement – ou la mise en quarantaine – est une mesure de protection de la population qui consiste à inviter celle-ci à rentrer à l’intérieur des bâtiments durant une période déterminée. Alors qu’a priori, le confinement semble simple à réaliser et peu coûteux, sa mise en oeuvre concrète à petite échelle s’avère en réalité extrêmement complexe dans un pays ‘préparé’ tel que la Belgique. Dans le cas qui nous occupe, la mesure de mise en quarantaine est particulière puisqu’elle concerne près de 60 millions d’habitants pour une période indéterminée. L’opérationnalisation de la mesure est beaucoup plus complexe que l’on ne pourrait l’imaginer à première vue et ce non seulement pour les autorités en charge d’établir et de contrôler le périmètre (comment prévoir l’approvisionnement alimentaire, les soins médicaux, etc.) mais également pour les citoyens (restriction des mouvements, sentiment de panique, mélange des patients contagieux et des personnes saines, etc.). En décidant d’une mesure de confinement, le gouvernement fait le choix de ne pas évacuer la population face à un risque… Cependant, quand le risque est diffus comme c’est le cas du coronavirus 2019-nCoV, le confinement n’est pas un choix mais une contrainte. Où peut-on fuir, si ce n’est en dehors du territoire ? Et encore, la fuite dans ce cas n’est qu’un accélérateur de la propagation du risque auquel on tente de se soustraire. La seule fois qu’une large population ait été ainsi mise « sous cloche » remonte à septembre 2014 au Sierra Leone où de l’ordre de six millions de personnes avaient été confinées durant trois jours pour tenter de contrer l’épidémie d’Ebola sans que l’on sache réellement, a posteriori, si cette mesure a été décisive dans la lutte contre ce virus. Par ailleurs, le port du masque rendu obligatoire dans plusieurs villes et provinces chinoises est également controversé lorsqu’il s’agit de prévenir la contamination. Ce qui pose la question de l’efficacité même des mesures de protection de la population qui semblent être des mesures davantage politiques que sanitaires.
Finalement, comme dans chaque crise virant à la catastrophe, l’addition de petites défaillances est importante mais – souvent – il faut un momentum pour que cela devienne hors de contrôle. Ce momentum, nous l’avons bien expérimenté en Europe durant la canicule de l’été 2003 qui a atteint son paroxysme en plein long week-end du 15 août, période pendant laquelle le personnel médical et les gestionnaires de crise étaient en vacances. Au plus fort de la crise, la mortalité en région parisienne a été huit fois supérieure à la mortalité moyenne ; situation unique en période estivale en France… Dans la situation actuelle, c’est le Nouvel An chinois durant lequel les mouvements de population sont extrêmement nombreux, ce qui pourrait participer à l’expansion du coronavirus 2019-nCoV.
Quoiqu’il arrive suite à cette expérimentation de gestion de crise par la Chine, il y aura très certainement un avant et un après coronavirus 2019-nCoV. Et pas uniquement dans le domaine de la santé publique…
Pierre Ozer, Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, ULiège
Aline Thiry, Spiral, Département de Science Politique, ULiège
Harry César Kayembe Ntumba, Unité de Recherche et de Formation en Ecologie et Contrôle des Maladies Infectieuses, Université de Kinshasa
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