Géorgie: l’avenir géopolitique de Tbilissi au cœur des manifestations
La Russie d’un côté, l’Union européenne de l’autre, la guerre en Ukraine à sa porte et la démocratie en question: les manifestations en Géorgie illustrent les tourments d’un pays polarisé sur son destin.
Le gouvernement géorgien est accusé par certains d’avoir proposé une législation inspirée du modèle russe pour classer comme « agents de l’étranger » les organisations critiques du pouvoir. Le texte, jugé répressif, a été retiré mais l’opposition appelle à poursuivre les manifestations.
Démocratie ou parti unique ?
Les luttes politiques de la Géorgie, située sur la rive Est de la mer Noire, sont historiquement marquées par leur extrême polarisation. Le parti en place est accusé de durcir son pouvoir et de museler l’opposition. « Il y a des inquiétudes sur le fait que le Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012, veuille transformer le pays en un système à parti unique« , explique Thomas de Waal, du groupe de réflexion Carnegie Endowment for International Peace.
« La société civile et les médias sont très actifs et fonctionnent comme des chiens de garde de la démocratie, freinant ainsi les aspirations autoritaires », confirme Magdalena Dembinska, du Centre d’études et de recherches internationales de l’université de Montréal (Cerium). Depuis 2021, l’ex-président et figure de l’opposition Mikhaïl Saakachvili est détenu pour « abus de pouvoir », ce qu’il qualifie de vengeance politique. Le texte contesté par les manifestants « aurait permis de faire taire la société civile et, par exemple, l’affaire Saakachvili » avant les élections législatives de 2024, estime Mme Dembinska.
L’UE dans le viseur
La Géorgie veut depuis des années rejoindre l’UE. Mais Bruxelles demande notamment à Tbilissi des réformes de la justice et du système électoral, une authentique liberté de la presse et la lutte contre les oligarques. Or, le gouvernement souffle le chaud et le froid vis-à-vis de l’UE, qui lui a refusé en juin dernier le statut de candidat à l’intégration, alors qu’elle l’accordait à l’Ukraine et à la Moldavie.
Les autorités « déclarent qu’elles sont pro-UE. Mais leurs actions démontrent un autre scénario », déclare à l’AFP Natia Seskuria, de l’institut britannique Royal United Services Institute (RUSI). « Si cela avait été le cas, elles se seraient concentrées (…) sur l’exécution des recommandations » de Bruxelles. La rupture est forte avec la rue: « les sondages montrent régulièrement que les Géorgiens veulent faire partie de l’Europe, même si leur compréhension de ce que cela veut dire peut être assez naïve », analyse Thomas de Waal.
Le dossier russe
La Géorgie ne saurait pourtant effacer son passé d’ex-république soviétique. Le russe est une des langues officielles de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, territoires qui ont proclamé leur indépendance en 2008 après une guerre éclair entre Moscou et Tbilissi. « Sans perspective européenne, la Géorgie n’aura d’autre avenir que de devenir l’arrière-cour de la Russie« , craint sur Twitter la militante des droits de l’Homme Ana Aptsiauri.
Moscou a d’autres urgences à gérer en Ukraine pour manipuler la politique géorgienne, selon les experts contactés par l’AFP. Mais « elle a besoin de s’assurer qu’elle maintient sa sphère d’influence » dans la région, assure Natia Seskuria. Magdalena Dembinska décrit pour autant une « situation complexe ». Même pro-européens, les Géorgiens « sont attachés aux valeurs conservatrices de l’église orthodoxe géorgienne », note-t-elle, évoquant un pays dépendant économiquement de la Russie, avec qui le commerce a récemment augmenté.
La guerre en Ukraine
Cette polarisation de la politique géorgienne s’est encore accentuée avec l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, que le gouvernement n’a pas condamné. Et le souvenir de la confrontation russo-géorgienne de 2008. La Géorgie ambitionne de rejoindre l’Otan mais les discussions ont été interrompues par la guerre de 2008. Le pays est pour autant un partenaire de l’Alliance et un bureau de liaison existe en Géorgie depuis 2010.
« L’impératif géopolitique est clair. Les Géorgiens soulignent que la Russie a déjà occupé plus de terrain en Ukraine en 2022 que l’intégralité de leur territoire », souligne Thomas de Waal, rappelant que la Russie avait en 2008 « stationné quelque 7.000 soldats à un peu plus d’une heure de Tbilissi ». L’issue du conflit pèse donc bien lourd. « Nous assistons déjà à la formation d’une nouvelle architecture de sécurité dans la région », relève Mme Seskuria, qui juge essentiel « de voir quelle Russie va émerger du conflit, si elle en sera affaiblie ou modifiée ».