George Forrest, le magnat du Katanga
Des rebelles ont voulu l’exécuter, des ONG l’ont accusé de plusieurs trafics, l’arrivée des Chinois a bousculé son empire: le magnat George A. Forrest a bâti l’une des plus grandes fortunes d’Afrique dans les crises qui secouent encore « son pays », la République démocratique du Congo (RDC).
A 2.000 km de la capitale Kinshasa et ses lourdes incertitudes politiques, c’est un septuagénaire élégant -veste bleu à col Mao, pochette ton sur ton- qui reçoit dans ses bureaux de Lubumbashi (sud-est), la relativement paisible capitale du Katanga minier.
Un drapeau français flotte à l’entrée: ce fils d’un Néo-Zélandais né en 1940 dans l’ex-Congo belge a été consul honoraire de France, titre qu’il a transmis à son fils, comme son groupe aux activités multiples (mines, énergie, banque, agro-alimentaire). En 1995, Forrest a opté pour la nationalité belge. Mais de nombreux Congolais le considèrent encore comme l’un des leurs, tant sa vie se confond avec l’histoire du pays depuis l’indépendance de 1960.
En 1965, Mobutu Sese Seko prend le pouvoir, rebaptise le Congo Zaïre et instaure une dictature rongée par la corruption. Au Katanga, les Forrest oeuvrent dans les travaux publics et une fabrique de cigarettes.
En 1974, Mobutu nationalise l’économie et la famille Forrest, installée au Congo depuis 1922, perd tout. « Sans indemnité. Peu après, mon père est décédé. Un choc ».
La « zaïrinisation » se traduit vite par une banqueroute. Mobutu bat le rappel des étrangers. Forrest reprend la gestion des affaires familiales dans son fief de Kolwezi, l’autre grande ville du Katanga.
En 1978, Kolwezi est envahie par des rebelles qui massacrent des Congolais et des Blancs. « J’étais visé. Ils disaient que j’étais l’ami de la France et de Mobutu. J’ai été mis au mur pour être exécuté. Ce sont mes travailleurs qui m’ont sauvé ». Mobutu se tourne vers la France, qui lui envoie des parachutistes pour libérer Kolwezi, suivis par des troupes belges.
Dans les années 1980-90, Forrest diversifie ses activités dans les ciments et l’extraction minière, dopée par l’explosion mondiale des téléphones portables.
L’histoire du Congo s’emballe de nouveau. Avant son assaut final contre Kinshasa et le vieux maréchal Mobutu en mai 1997, le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila marque une étape à Lubumbashi.
« C’est vous Forrest? « , aurait demandé le disciple de Mao Tse-Toung et du Che Guevara lors des présentations avec le grand industriel, qui n’en mène pas large.
Kabila ne spoliera pas Forrest, se contentant de réquisitionner son parc automobile.
En 1999, le « Mzee » (sage, en Swahili) le propulse même à la tête du joyau du Congo, la Générale des carrières et des mines (Gécamines), qui exploite les fabuleuses richesses du pays et remplit les caisses de l’Etat. « J’avais passé un accord avec Kabila père. La Gécamines versait tous les mois officiellement quatre millions de dollars à la Banque centrale ».
Après l’assassinat en 2001 du père et l’avènement du fils Joseph Kabila, Forrest se retire de la Gécamines pour reprendre ses propres activités, libéré de tout soupçon de conflit d’intérêts.
Au fil des années 2000, des ONG l’accusent de pillages de minerais et la presse évoque des trafic d’armes. « J’ai toujours été blanchi. Les ONG, c’est du business. Si vous ne les financez pas, elles vous attaquent ».
A l’époque, Forrest se présente comme le « premier investisseur et employeur privé » de RDC, où les capitaux étrangers débarquent.
En 2007, Kinshasa et Pékin signent un « contrat du siècle », mines contre infrastructures. Forrest est prié de céder aux Chinois des gisements de cuivre et de cobalt.
« Les Chinois font des propositions très intéressantes pour le pays, mais contre combien de milliards de matières premières? Proportionnellement, ce n’est pas juste ».
A 78 ans, le patriarche a cédé son groupe à son fils Malta, en gardant un oeil sur la banque BCDC – rachetée au Français BNP – et ses élevages de 38.000 bêtes.
La RDC traverse une nouvelle crise, avec le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila dans l’attente d’élections annoncées pour décembre.
L’un des principaux opposants est une vieille connaissance des Forrest, l’ex-gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, en exil de fait à Bruxelles. Katumbi, Forrest: les deux noms sont aussi associés au TP Mazembe de Lubumbashi, gloire du football africain (Katumbi est président du club, Forrest fils, premier vice-président).
Ces liens n’ont « rien de politique. Le pouvoir le sait très bien », commente prudemment Forrest, qui botte en touche toute question sur « Moïse », candidat déclaré à la succession de Kabila.
« On a passé beaucoup d’événements et beaucoup de crises parce qu’on ne se mêle pas de politique. On est bien avec tout le monde ». Forrest pointe à la seconde place des fortunes de l’Afrique francophone sub-saharienne, selon le magazine ‘Forbes’ qui avançait le chiffre de 800 millions de dollars fin 2016.