Gaza: quelle aide humanitaire sans cessez-le-feu ?
Le refus d’Israël de consentir à un cessez-le-feu complique la recherche d’une solution à la catastrophe que vivent les civils palestiniens.
Comment secourir la population civile de la bande de Gaza malgré le refus d’Israël de consentir à un cessez-le-feu? Tel est le dilemme auquel sont confrontés les dirigeants des Etats concernés par les conséquences de la guerre entre Israël et le Hamas, plus d’un mois après l’attaque terroriste dévastatrice du mouvement islamiste contre des militaires et des civils israéliens. En cinq actes, état des lieux de l’enjeu de la question humanitaire.
1. La disproportion de la réplique
Au droit d’Israël à se défendre après le pogrom du 7 octobre, invoqué dans toutes les langues des pays occidentaux, a succédé, au sein de la plupart des mêmes Etats, la revendication du droit de la population gazaouie à bénéficier d’une aide vitale en temps de guerre. Si cette seconde préoccupation a pris le dessus, c’est aussi parce que le conflit connaît un moment de bascule entre la tolérance d’une réaction jugée proportionnée au traumatisme subi par les Israéliens et l’opposition à des représailles considérées comme disproportionnées. Pour établir la réalité de ce retournement, le bilan des pertes humaines est une jauge utile, même si elle n’est pas imparable. Le ministre palestinien de la Santé dans la bande de Gaza a évalué, le 7 novembre, à 10 328 le nombre de morts depuis le déclenchement de la réplique israélienne. Dans ce conflit qui est aussi une guerre de l’information, l’exactitude des chiffres fournis par un organisme dépendant du Hamas est sujette à caution.
Cependant, même s’il n’est pas tout à fait conforme, le bilan des morts palestiniens révèle un grand écart avec celui des morts israéliens (1 400 le 7 octobre, et trente dans les affrontements à Gaza). Le porte-parole du Pentagone, Patrick Ryder, a paru accréditer cette idée le 6 novembre, malgré le prescrit des Etats-Unis de ne pas donner crédit aux décomptes du Hamas: «A propos des victimes civiles de Gaza, […] nous savons qu’il faut compter en milliers. C’est la raison pour laquelle nous avons souligné auprès des Israéliens et d’autres dans la région l’importance de faire parvenir l’aide humanitaire dans Gaza.»
2. Significative, la position belge
La position de la Belgique est emblématique de l’évolution de l’approche des Occidentaux. Elle a été actualisée, le 6 novembre, à l’occasion de la réunion annuelle des ambassadeurs à Bruxelles. «Ce qui se passe au Proche-Orient est honteux. […] Le droit humanitaire, le droit de la guerre et le droit international sont les mêmes pour tout le monde», a d’abord rappelé la ministre de la Coopération au développement, Caroline Gennez (Vooruit). Plus surprenant vu son appartenance à la composante néerlandophone de la famille libérale, le Premier ministre, Alexander De Croo, a estimé que «ce qui se passe à Gaza n’est pas proportionnel, c’est un pont trop loin». Un exemple? «Si l’on bombarde un camp de réfugiés entier dans l’intention d’éliminer un terroriste, je ne pense pas que ce soit proportionné», a-t-il argumenté.
Il faisait référence au bombardement, assumé par Israël le 31 octobre, d’un immeuble du camp de Jabaliya qui a causé, selon Tsahal, la mort d’un chef militaire du Hamas responsable du massacre du 7 octobre, Ibrahim Biari, et certains de ses lieutenants. D’après le ministère palestinien de la Santé, cinquante personnes sont mortes dans l’opération. Il n’y a pas eu d’attaque d’«un camp de réfugiés entier», même si le caractère pertinent et proportionné de la riposte pour un Etat agressé peut être questionné…
3. Pourquoi pas de cessez-le-feu?
Seuls en mesure de forcer Israël à l’accepter, les Etats-Unis ne réclament pas – encore – un cessez-le-feu à leur allié. Pour eux, le droit d’Israël à se défendre n’a pas été supplanté par le droit des Gazaouis à être secourus, même s’ils multiplient les efforts pour conjuguer les deux objectifs.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahou maintient son refus de concéder un cessez-le-feu général. Dans l’entendement israélien, c’est le seul instrument à sa disposition pour obtenir la libération des otages aux mains du Hamas, hormis les opérations armées potentiellement coûteuses en pertes humaines. Or, les familles des captifs en Israël exercent légitimement une pression sur le gouvernement pour qu’il ne néglige pas cette dimension du conflit. Le voir céder à cette demande de cessez-le-feu humanitaire serait considéré par eux comme une trahison et un satisfecit indu accordé au Hamas. Un cessez-le-feu général est donc à ce stade impossible. Mais d’autres dispositifs sont envisageables.
4. Des alternatives
Benjamin Netanyahou, dans une interview à ABC News le 6 novembre, a évoqué la possibilité de «pauses tactiques». «Nous en avons déjà fait par le passé, et nous allons vérifier les circonstances afin de permettre aux marchandises, aux produits humanitaires d’entrer, ou à nos otages, aux otages individuels, de partir», a-t-il expliqué. «Aujourd’hui, il n’y a que des signes d’humanité en trompe-l’œil et des discussions dilatoires», a répliqué, parlant de ces projets de pauses tactiques, la directrice de Médecins sans frontières, Claire Magone.
Alors, quelle serait la vraie alternative? «Nous travaillons très activement pour obtenir davantage d’aide humanitaire à Gaza et nous avons des moyens très concrets pour y parvenir. Je pense que vous verrez, dans les jours à venir, que l’aide peut être étendue de manière significative», a soutenu le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, lors d’une visite en Turquie. Le 9 novembre, à l’initiative de la France, des Etats, institutions internationales et autres organisations non gouvernementales se sont réunis à Paris pour tenter de trouver des solutions à ce défi. Il est de taille et de diverses natures maintenant que la bande de Gaza est scindée en un sanctuaire relatif pour les habitants et les déplacés au sud et une zone militaire, théâtre des principales opérations de Tsahal, au nord autour de Gaza City. La Jordanie, par exemple, a proposé des largages par avion de matériel médical et de nourriture. Surtout, est trop souvent négligé dans ce dossier l’attentisme de l’Egypte dans l’acheminement de l’aide aux Gazaouis, «sous la coupe» de son ennemi, le Hamas.
5. L’activisme de l’ONU
Relativement absente de la guerre en Ukraine, hormis dans la recherche d’une solution dénoncée depuis par la Russie à l’exportation des céréales ukrainiennes, l’Organisation des Nations unies est très active dans la guerre entre Israël et le Hamas pour forcer la mise en place d’une assistance humanitaire durable à destination de la population civile gazaouie. Logique, c’est elle qui a pris à bras-le-corps depuis des années le sort des réfugiés palestiniens.
Son secrétaire général, António Guterres, multiplie les déclarations pour dénoncer la catastrophe qui se déroule dans le territoire palestinien. Le 5 novembre, une vingtaine de chefs d’agence des Nations unies et d’ONG partenaires, dont les directeurs de l’Unicef, de l’OMS ou du Programme alimentaire mondial, ont estimé que «trop, c’est trop» et ont appelé les différentes parties à respecter «toutes les obligations qui leur incombent en vertu du droit international humanitaire et des droits de l’homme». A coup sûr, c’est une certaine idée de la cohabitation entre communautés humaines qui est en jeu aujourd’hui dans la bande de Gaza et en Israël.
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