Ses tunnels, ses ruelles, son tissu urbain dense font de Gaza un terrain de combat particulièrement difficile. © getty images

Gaza : les conditions ardues d’une offensive terrestre

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La présence d’un vaste réseau souterrain complique le projet de l’armée israélienne à Gaza. Mais pour atteindre ses objectifs – «l’éradication du Hamas» et la libération d’otages – peut-elle se passer d’y pénétrer?

Entre octobre 2016 et novembre 2017, l’armée irakienne, les peshmergas kurdes, des milices chiites, aidés par la coalition internationale contre le terrorisme, ont livré bataille pour déloger les éléments de Daech de Mossoul, d’où leur chef Abou Bakr al-Baghdadi avait décrété, le 29 juin 2014, l’instauration du califat de l’Etat islamique. Il a fallu neuf mois, la mobilisation de cent mille combattants et de lourdes pertes (quelque 1 500 soldats et dix mille civils tués) pour venir à bout d’une dizaine de milliers de djihadistes retranchés dans la deuxième ville d’Irak. On estime en général qu’un effectif six fois supérieur à celui de ses adversaires est nécessaire à une armée pour reconquérir un territoire urbain. Car celui-ci offre des avantages substantiels à ses défenseurs. Le surnombre en hommes, Israël l’a pour mener une offensive terrestre dans la bande de Gaza après les attaques terroristes du Hamas perpétrées le 7 octobre et les bombardements menés en représailles pendant plusieurs jours. Mais est-il prêt à subir de lourdes pertes dans les rangs de son armée et parmi les otages détenus dans le territoire palestinien après avoir déjà souffert la mort de 1 400 des siens?

La gestion de l’information

En réalité, les objectifs de l’armée israélienne dans la bande de Gaza ne seraient-ils pas différents de ceux de son homologue irakienne à Mossoul et la comparaison serait-elle dès lors invalide? Si elle n’a pas l’intention de reconquérir en tant que tel le territoire palestinien et de le réoccuper, Tsahal ambitionne néanmoins de détruire toute l’infrastructure de l’organisation qui le contrôle, le Hamas, et de récupérer un maximum d’otages que celui-ci détient, ce qui nécessite vraisemblablement de le ratisser jusque dans une grande part de ses méandres. On n’est pas loin d’une forme de conquête temporaire, sauf si les moyens technologiques à la disposition de Tsahal permettent de détruire les infrastructures du Hamas et de lui soustraire les otages sans investir complètement le territoire… Quoi qu’il en soit, le défi est d’envergure pour les Israéliens.

«La ville est un espace privilégié pour le défenseur auquel elle apporte des avantages conséquents», rappelle le général Michel Yakovleff, ancien chef d’état-major de l’Otan, dans «La guerre urbaine. Champ de bataille privilégié des affrontements modernes», sa contribution à l’ouvrage collectif La Guerre au XXIe siècle (1). «Le premier problème pour le combattant, en ville, est la gestion de l’information: où est-il, où sont ses amis, où sont ses adversaires? Le chaos inhérent au combat urbain et la multiplication de ses dimensions (par rapport au 2D du combat classique, dans la campagne) ne seront pas résolus ou simplifiés d’un coup de baguette magique, surtout quand la discrimination entre hostile et non hostile ne dépend pas de critères matériels mais des circonstances. Une foule n’est pas en soi hostile mais peut le devenir instantanément. Aucun système d’information ne sait prédire ce moment», résume le militaire.

(1) La Guerre au XXIe siècle. Le retour de la bataille, sous la direction de Thibault Fouillet, éd. du Rocher, 300 p.
(1) La Guerre au XXIe siècle. Le retour de la bataille, sous la direction de Thibault Fouillet, éd. du Rocher, 300 p. © National

Dans une ville en guerre, la menace peut venir d’un toit, de l’arrière d’un bâtiment, de décombres, d’un sous-sol. La progression des soldats israéliens au sol se fera sous la protection d’avions et d’hélicoptères de combat. Mais il est certain que le réseau de tunnels et de souterrains que compte Gaza, le «métro», offre un avantage opérationnel au Hamas et au djihad islamique palestinien. Illustration de la sophistication de ce réseau souterrain, l’armée israélienne a affirmé, le 27 octobre, qu’un centre de commandement du Hamas était caché sous l’hôpital Al-Shifa, le plus important de la bande de Gaza, ce qu’a démenti un dirigeant du groupe islamiste. Les Israéliens disposent, semble-t-il, de moyens de détection tectoniques, thermiques et autres pour localiser ces souterrains.

Une foule n’est pas en soi hostile mais peut le devenir instantanément. Aucun système d’information ne sait prédire ce moment.

Mines et explosifs

Dans la nuit du 25 au 26 octobre et au cours de la journée du 26, Tsahal a mené deux incursions à Gaza, la première avec des chars, la seconde uniquement avec des hommes au sol. Elles n’étaient pas les premières. Ces actions, outre qu’elles ciblent parfois directement des positions du Hamas, préparent soit l’offensive générale, soit des expéditions censées libérer des otages. «Les défis posés par l’entrée physique des troupes en zones urbaines sont innombrables, rappelle Raphaël Jerusalmy, ancien officier du renseignement militaire israélien, au média israélien i24News. A commencer par les mines et explosifs en tous genres, les tireurs d’élite embusqués sur les toits ou parmi les ruines, obligeant les soldats à une avancée lente qui les met en danger. Les terroristes connaissent chaque coin et recoin du périmètre qu’ils défendent tandis que l’attaquant y met les pieds pour la première fois, souvent de nuit. Tsahal emploie des unités canines de détection, des minidrones, des robots démineurs, des bulldozers blindés et des “munitions intelligentes” pour faire face à ces pièges.»

Autre défi, l’indispensable infrastructure logistique que requiert une action au sol, «très spécifiquement confrontée au problème du dernier kilomètre», souligne le général Michel Yakovleff dans La Guerre au XXIe siècle. «La médicalisation du combattant est compliquée en ville, ne serait-ce que pour éloigner et évacuer le blessé, en l’absence d’hélicoptères et, souvent, d’ambulances.» Ce qui explique que «le taux de morts par rapport au personnel atteint est considérablement aggravé en ville». Autant de difficultés que les décideurs politiques et militaires israéliens ont dû évaluer consciencieusement avant de décider de la suite des opérations de lutte contre le Hamas à Gaza.

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