
Guerre à Gaza: «Israël prépare le terrain pour un nettoyage ethnique massif»
«Il n’y a aucune retenue dans l’usage de la force» par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, dénonce le géopolitologue Pascal Boniface. «Quand, en plus, on empêche l’accès à l’aide humanitaire…»
«Je défends la position du droit international. Je ne me définis pas comme propalestinien mais bien comme pro-droit international et pro-droit des peuples à disposer d’eux-mêmes quelles que soient les circonstances», précise Pascal Boniface. Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, est qualifié non seulement de «propalestinien» mais aussi, par certains de ses détracteurs, d’«antisémite». L’ostracisation qu’il dit subir de ce fait de la part de certains médias et milieux politiques est développée dans son nouveau livre Permis de tuer (1). Au-delà de ce débat franco-français, il importe surtout d’écouter sa parole de géopolitologue sur la situation à Gaza.
Y a-t-il un feu vert donné par les autorités politiques et militaires israéliennes aux troupes sur le terrain pour agir sans considération pour les civils?
Oui. C’est documenté par les différentes déclarations des responsables israéliens, par les témoignages de soldats, y compris certains qui n’ont pas voulu continuer à servir en réaction à ces tueries, et par l’ensemble des ONG et du système des Nations unies. On a vu plusieurs fois des civils être tués sans aucune raison, par des frappes indiscriminées. Il n’y a aucune retenue à l’usage de la force. Chaque fois, l’armée israélienne dit qu’elle mènera une enquête. Soit on n’a jamais les conclusions, soit elle déclare qu’elle a visé des terroristes sans pour autant en apporter la preuve. Donc, il y a bel et bien un feu vert pour détruire le maximum de Palestiniens de façon indiscriminée.
«Israël bombarde beaucoup plus les civils que la Russie en Ukraine.»
Quel est l’objectif des Israéliens en utilisant cette stratégie? Après le massacre du 7-Octobre, il s’agissait d’éradiquer le Hamas et de libérer les otages.
Il semble bien –et c’est ce que de nombreux Israéliens reprochent à Benjamin Netanyahou– que l’objectif de la libération des otages a été abandonné au profit d’une poursuite du conflit dans la mesure où ses deux alliés extrémistes (NDLR: Force juive d’Itamar Ben-Gvir et le Parti sioniste religieux de Bezalel Smotrich) ont dit qu’ils voulaient continuer le conflit et qu’en cas de cessez-le-feu, ils quitteraient la coalition, ce qu’Itamar Ben-Gvir a fait avant de revenir sur sa décision. On peut désormais penser que l’objectif de Netanyahou est de vider la bande de Gaza de ses habitants. Quand on empêche l’accès de l’aide humanitaire et qu’on continue les bombardements, on prépare le terrain pour un nettoyage ethnique massif. On voit bien qu’il n’y a aucune retenue, que la trêve n’est plus respectée, que les bombardements continuent… L’arrêt de l’acheminement de l’aide humanitaire revient à affamer la population gazaouie, même si Israël soutient qu’il y a assez de nourriture pour alimenter la population. Vu que l’aide est stoppée depuis le 2 mars, on se rend compte que c’est inexact. Le système onusien et les ONG internationales le démontrent.
Estimez-vous que des actes de génocide ont été commis dans la bande de Gaza?
De plus en plus d’ONG en parlent. On peut à tout le moins dire qu’il existe un risque génocidaire. La Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale l’ont évoqué et ont demandé à Israël d’adopter des mesures de prévention qu’il n’a pas prises. Il faut rappeler que la Convention de 1948 sur le génocide est non seulement une convention d’interdiction mais également de prévention du génocide. En tout cas, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité sont documentés. Sur le génocide, il y a encore un débat juridique non tranché. Mais le risque génocidaire semble bel et bien démontré.
Que dit des Etats occidentaux et en particulier européens le soutien presque indéfectible apporté à Israël?
Il y a des nuances dans l’attitude des pays européens. Plusieurs, comme l’Espagne, l’Irlande, la Slovénie, soutiennent les droits des Palestiniens et ont reconnu l’Etat palestinien. D’autres l’ont aussi reconnu mais du temps où ils étaient communistes alors qu’ils sont désormais très pro-israéliens, comme la République tchèque et la Pologne. La France proteste officiellement mais ne mène pas d’action directe contre Israël, et hésite toujours à reconnaître l’Etat palestinien alors qu’elle était très en pointe sur ce dossier auparavant. L’Allemagne, au nom de la mémoire du génocide des Juifs, ne veut prendre aucune mesure qui puisse offenser Israël. Les Palestiniens sont les victimes indirectes de cette position. C’est problématique puisque au nom d’un génocide passé, les dirigeants allemands sont muets aujourd’hui par rapport à des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou à un éventuel risque génocidaire. Les Etats européens sont très divisés. Cette situation révèle une grande contradiction puisque tout le discours du monde occidental sur la guerre en Ukraine est pris à rebours sur le conflit à Gaza. Nous n’avons cessé de marteler face aux pays du Sud qu’il fallait condamner la Russie pour les bombardements de civils en Ukraine et pour l’acquisition par la force de territoires alors qu’Israël occupe des territoires palestiniens par la force depuis 1967 et qu’il intensifie encore cette politique. Israël bombarde beaucoup plus les civils que la Russie en Ukraine. Par ailleurs, la population ukrainienne n’est pas soumise à un blocus. On voit bien que le discours moral que les Occidentaux ont mis en avant par rapport à la guerre en Ukraine est pris à contrepied comparé à leur attitude beaucoup plus compréhensive à l’égard d’Israël face aux civils de la bande de Gaza, alors que le droit international devrait être le même pour tous.
Comment voyez-vous évoluer la situation à Gaza?
On voit mal Donald Trump exercer des pressions sur Benjamin Netanyahou. Il y a recouru une fois. Il a obtenu une trêve et celle-ci n’a pas tenu. On ne peut donc pas être optimiste, même si de nombreuses voix s’élèvent contre ce qui se passe. Si Israël continue de bombarder tout en empêchant l’envoi de l’aide, cela ne peut que se terminer par un massacre ou un nettoyage ethnique.
(1) Permis de tuer. Gaza: génocide, négationnisme et hasbara, par Pascal Boniface, Max Milo, 288 p.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici