
Guerre au Proche-Orient: comment Israël asphyxie Gaza et, espère-t-il, le Hamas
Le territoire palestinien est rendu invivable par l’instauration de zones occupées pour traquer les combattants islamistes et pour défendre la frontière. A quoi mènera cette bantoustanisation?
Depuis la reprise, le 18 mars, de son offensive contre le Hamas après la trêve qui a permis la libération de 33 otages en dix semaines, l’armée israélienne a pour mission d’atteindre des objectifs intermédiaires indispensables à la réalisation des deux principaux fixés après le massacre de quelque 1.200 Israéliens le 7 octobre 2023, l’éradication du Hamas et le retour au pays de tous les captifs. Il s’agit pour Tsahal d’isoler les groupes de combattants islamistes palestiniens les uns des autres pour faciliter leur anéantissement, de susciter des mouvements de contestation populaire contre le Hamas, et d’établir des zones tampons, sans doute durables, pour prévenir de nouvelles attaques.
L’opération la plus spectaculaire depuis la relance des combats est le bouclage de la région de Rafah au sud du territoire palestinien. Les Israéliens ont pris possession, au nord de la ville, d’un couloir de terre d’est en ouest, le corridor de Morag, pour couper les connexions entre la brigade de Rafah du groupe palestinien et les autres unités. Six kilomètres d’une route qui doit en compter douze auraient été bitumés en un temps record. Deux tunnels reliant Rafah à Khan Younès, l’autre ville importante du sud de la bande de Gaza, auraient été localisés et détruits. Le maillage israélien contiendrait donc les combattants islamistes dans une nasse réduite et hermétique, puisque la frontière de Gaza avec l’Egypte est toujours fermée. Leur traque en serait facilitée. Mais on connaît la difficulté que Tsahal a rencontrée depuis un an et demi pour réduire à néant les activités de ses ennemis, qui, selon plusieurs sources y compris israéliennes, auraient reconstitué, en nombre du moins, des forces quasi égales à celles dont ils disposaient avant le 7-Octobre.
Face à l’étau de plus en plus resserré que lui oppose Tsahal, le Hamas pourrait être à la recherche d’une porte de sortie.
Famine «délibérée»
La même sanctuarisation de territoire est opérée par Israël dans le nord, au-delà de la ville de Gaza, et dans le centre autour du corridor de Netzarim. La bande de terre palestinienne se retrouve donc morcelée entre des zones humanitaires, où les populations ont été déplacées, et d’autres de facto occupées par Tsahal, au nord, au centre, au sud, et tout le long de la frontière avec Israël sur une bande de terre initialement de 300 mètres de large, mais étendue depuis le 18 mars sur 800 à 1.500 mètres. Il est difficile d’établir à ce stade si ce remodelage de la bande de Gaza qui implique un contrôle israélien sur 50% à 65% de sa superficie est durable ou provisoire, tant les intentions du gouvernement israélien pour son avenir sont peu claires. Mais les moyens engagés pour fixer ce dispositif suggèrent qu’il pourrait s’inscrire dans le long terme. En l’état, il exclut un retour à une vie «normale» de la population gazaouie.
Cette tentation de l’occupation dans la durée signifie-t-elle que le gouvernement israélien a fait une croix sur son objectif d’éradication du Hamas de Gaza? Cela ne semble pas être le cas puisque sa traque continue et qu’Israël ne cache pas sa volonté de susciter une insurrection de la population contre lui. C’est du 25 au 27 mars qu’ont eu lieu jusqu’à présent les plus importantes manifestations contre les dirigeants islamistes, à Beit Lahia, localité du nord du territoire, puis à Gaza-Ville, à Jabalia, et à Khan Younès. Des slogans «Hamas dehors, Hamas terroriste» ou «Le Hamas ne nous représente pas» ont été vus sur des banderoles de manifestants. Le blocage de l’aide humanitaire contribuerait aussi à cette opposition. Selon un plan étudié par Israël? «La faim s’étend et s’aggrave de manière délibérée et provoquée par l’homme», a dénoncé le 22 avril Philippe Lazzarini, le chef de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). Mais, outre que le mouvement reste limité, le Hamas ne manque pas de moyens pour le contenir: les pressions individuelles ou les accusations de faire le jeu de l’ennemi israélien plutôt que la répression frontale qui pourrait le doper. Il n’est donc pas acquis que cette contestation fragilise réellement ceux qui restent pour l’heure les maîtres des lieux. Avant un bouleversement des équilibres?
Un retrait du Hamas?
Quelques éléments suggèrent une possible évolution de la situation. L’administration américaine presserait le Premier ministre Benjamin Netanyahou de revoir ses priorités et de relancer les négociations pour libérer les derniers otages. Certains ont en effet la double nationalité israélo-américaine. Et, après tout, en rompant la trêve de début d’année, le dirigeant israélien a balayé un des rares succès de politique internationale de Donald Trump.
Face à l’étau de plus en plus resserré que lui oppose Tsahal, le Hamas, lui-même, pourrait être à la recherche d’une porte de sortie pour assurer sa survie. Les médiateurs égyptiens et qatariens travailleraient sur un plan prévoyant un cessez-le-feu de cinq à sept ans, un retrait complet d’Israël de Gaza contre la libération de tous les otages et le transfert par le groupe islamiste palestinien du contrôle du territoire à «toute entité palestinienne acceptée au niveau régional». Ses modalités, objets de possibles discussions au Caire, rencontreraient les deux objectifs initiaux d’Israël, pas ceux que le gouvernement Netanyahou s’est assignés en cours de conflit, notamment le contrôle de territoires. Mais à tout le moins, il lui serait beaucoup plus difficile de le rejeter d’un revers de la main devant les grandes puissances.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici