Anthony Gardner © Jelle Vermeersch

« Gardez Michelle Obama à l’oeil »

Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

« Un président Trump destitué ne serait pas une bonne nouvelle. Ce serait plus salutaire qu’on lui demande des comptes à la fin de son mandat de quatre ans » trouve Anthony Gardner. L’homme était ambassadeur des États-Unis à l’Union européenne jusqu’à ce que Trump le dégomme. Interview à Bruges.

Anthony Gardner (53) a travaillé main dans la main avec Obama durant ses deux mandats. « J’étais l’un de ses principaux récolteurs de fonds à l’étranger. Comme c’était un boulot tellement chronophage, j’ai promis à ma femme de ne plus faire de politique. Il y a quelques jours j’ai pourtant déjà du briser cette promesse. Je suis dans l’obligation de replonger dans la politique américaine. C’est mon devoir quand je vois dans quoi mon pays est en train de sombrer ».

Nous l’avons rencontré à Bruges, un jour après qu’il y ait déménagé. Il est « Fellow » au collège de l’Europe. Il y a deux semaines, il a dû brusquement quitter son ambassade à Bruxelles. Cinq heures avant la prestation de serment de Trump, il a été limogé avec effet immédiat. « Ce n’est pas très délicat de la part du nouveau gouvernement. Généralement les ambassadeurs ont plusieurs mois pour arranger leur départ. » Il blêmit un peu lorsqu’on lui dit que même ses déclarations ont disparu du site de l’ambassade.

Pourtant, lorsqu’on égrène les attaques sur Trump, il lève les épaules : « Je ne vise pas l’homme, il y en a déjà assez qui le font. Ce à quoi je vais m’atteler dans les prochains mois, c’est de convaincre un maximum de gens en Europe et aux USA de l’importance d’une Union européenne forte et d’une bonne relation entre les deux continents.

Vous savez déjà qui va vous succéder ?

ANTHONY GARDNER: Non, mais selon les rumeurs, cela pourrait être Ted Malloch, un académicien américain qui vit à Londres. Une figure controversée. Il a notamment conseillé à Jean-Claude Juncker d’être le bourgmestre de la ville de Luxembourg, a comparé l’UE à l’Union soviétique et a prévu la chute de l’Euro. Mais cela peut prendre des mois avant que l’on puisse s’assurer de sa fiabilité. Il doit être interrogé par le FBI et le Sénat américain. Ce n’est qu’alors que son nom pourra être transmis à l’Europe. C’est peu connu, mais chaque état membre peut refuser une candidature.

Que pensez-vous des deux premières semaines de Trump ?

(Profond soupir) Rien ne se passe de la façon dont nous sommes habitués. J’espère sincèrement que son gouvernement gardera l’esprit ouvert envers l’Europe. Mais la plupart de ses conseillers lui distillent l’idée que l’Europe n’est qu’un foutoir sans règles, que l’Union va se désintégrer et que c’est mieux de discuter avec chaque membre indépendamment. Une vision pour le moins caricaturale.

Le journal Financial Times a écrit que quelqu’un de l’équipe de Trump vous a appelé pour savoir qui était le prochain à sortir de l’Europe. C’est vrai ?

(Long silence) Le fond est vrai. Mais en même temps à quoi s’attendre d’autre lorsqu’on sait que Donald Trump écoute Nigel Farage (un eurosceptique notoire). Mais je suis optimiste. Le Brexit a réveillé le soutien envers l’Europe de certains pays membres.

Certains comparent Donald Trump à Ronald Reagan. À juste titre ?

Pas du tout ! Ce président n’a rien à voir avec les autres présidents américains. Il a été élu d’une très drôle de façon. Le parti républicain a été totalement mis de côté, tout comme les médias américains. Il ne faut pas oublier que Reagan avait d’abord été gouverneur d’un de plus grands états américains, la Californie. Et que lorsqu’il est devenu président il s’est entouré d’une équipe d’experts qui avaient déjà servi sous d’autres présidents. Il était pour le changement, mais pas pour une volte-face radicale.

Trump remet subitement tout en doute. Comment en est-on arrivé là?

Il surprend tous les experts, mais il ne comprend comme nul autre le mécontentement d’une large partie défavorisée de la population. Il joue sur leurs angoisses et le fait d’une manière très conséquente. Beaucoup d’Américains pensent que la politique à Washington a besoin d’être sérieusement secouée.

Cela peut sembler une question étrange, mais est-ce que Trump représente une menace pour la paix dans le monde ?

Que vous posiez cette question est déjà significatif. Contrairement à ce que beaucoup d’Européens pensent, il y a quelques esprits brillants dans l’équipe de Trump. Comme le ministre des Affaires étrangères Rex Tillerson et le ministre au Commerce Ross Wilbur. J’espère que Trump va davantage les écouter, tout comme certains des influents sénateurs et des représentants de la vie civile qui font entendre leur voix.

Y a-t-il assez de mécanismes de contrôle à Washington?

Certainement. Le Congrès doit jouer son rôle démocratique, les nouvelles lois doivent être constitutionnelles. Trump a nommé un nouveau juge à la Cour suprême. Ce n’est pas sans importance, mais les Européens ne doivent pas l’exagérer non plus. La plupart des choses se règlent à un niveau moins élevé. À côté de cela un certain activisme se met en place. Je crois qu’il n’y a plus eu autant de manifestations aux États-Unis depuis la guerre du Vietnam.

Quel est le rôle du parti républicain ?

Dans deux ans des élections cruciales prendront place pour le Congrès. Aujourd’hui, le Sénat et la maison des représentants sont dominés par les républicains. Cela facilite la vie du président Trump, mais en 2019, la balance pourrait bien s’inverser. Cela peut vraiment changer les choses. Beaucoup de choses seront alors en jeu.

Et vous, qu’allez-vous faire ?

Dans deux ans, la campagne va commencer pour le prochain mandat à la présidence. Je le vois comme une obligation morale de venir en aide à mes amis démocrates. En cherchant par exemple le candidat idéal à soutenir financièrement. J’étais le principal récolteur de fonds à l’étranger pour Obama. J’aimerais essayer de refaire cela.

Avez-vous des nouvelles de Barack Obama?

Pas depuis qu’il a quitté la Maison-Blanche. Mais nous restons en contact. Surtout avec Michelle Obama. Une femme formidable, redoutablement intelligente. Quelqu’un à garder à l’oeil…

Elle a tout pour être la première femme présidente des États-Unis .

Michelle est pour beaucoup la candidate rêvée. Pour les démocrates, mais aussi pour les républicains modérés. Elle est maligne, modeste et très communicative. Je ne sais si elle va se présenter un jour comme candidate, mais je pense qu’elle va tout de même rester active dans la vie publique. Les États-Unis savent comme nul autre pays se renouveler. Qui aurait pu croire qu’un homme comme Obama aurait pu devenir président ? J’étais l’un de ses premiers conseillers. Beaucoup de mes amis européens ne comprenaient pas. « Obama, président ? Mais tu es naïf, il n’a pas la moindre chance », me disaient-ils .

Un candidat démocrate inconnu aurait-il une chance face à la machinerie Trump ?

Les voix modérées n’ont pas disparu. Elles se sont juste fait oublier, mais elles reviendront. Hillary a obtenu trois millions de fois supplémentaire et dans certains états qui ont vu gagner Trump, la différence était minime. Si Joe Biden s’était présenté, il serait aujourd’hui président. Mais je ne veux pas Critiquer Hillary Clinton en disant cela.

Voyez-vous une similitude avec ce qui s’est passé dans les années 30 ?

(Soupir) Oui et non. Non, car nos mécanismes de contrôle démocratique sont encore solides et qu’on ne risque pas une guerre. Pas encore. Mais je vois des signes inquiétants.

Lesquels ?

J’étais à Londres, un jour après que la Cour suprême britannique a décidé que la Brexit devait passer devant le parlement. J’ai eu peur en voyant certaines une de journaux. Pas seulement des tabloïds, mais aussi des journaux plus classiques comme The Daily Telegraph qui montraient les juges qui avaient « trahis ». Le plus choquant n’était pas tant ces « une » que le fait que le gouvernement n’a pas directement condamné ce genre de propos. Si nous vivons dans une société ou pour les politiques la vérité ne compte plus et que les juges deviennent les ennemis du peuple, je sens le malaise monter en moi et cela me rappelle effectivement les années 30. ( …) Et puis croire qu’en fermant les frontières et en optant pour le protectionnisme on va s’enrichir est aberrant. On a vu où ce genre de politique à la fin des années 20 et 30 a mené. À un incroyable appauvrissement des USA. L’Ironie c’est que beaucoup de gens qui ont voté pour Trump vont découvrir dans les années qui viennent qu’ils ont voté contre leurs propres intérêts économiques. Ils vont perdre en richesse lorsque les produits seront plus chers suite à des taxes d’importations plus élevées.

Certains espèrent que Trump ne finira pas son mandat…

J’espère que ce ne sera pas le cas. Une destitution est longue et difficile et risque de déchirer encore plus le pays. Il va se faire passer pour un martyr. C’est beaucoup mieux s’il doit expliquer ses actes au bout de son mandat de quatre ans.

2017 pourrait être une année charnière pour l’Europe à cause des élections qui auront lieu aux Pays-Bas, France, Danemark et Allemagne.

Ce sont surtout les élections en France qui vont être importantes. Les populistes risquent d’y gagner beaucoup d’électeurs. Mais vont-ils en obtenir assez pour être élus ? Je ne pense pas que l’Europe puisse survivre sans la France. Il est presque impossible de croire que Marine Le Pen devienne présidente de la France ; en même temps on pensait aussi que Trump ne serait jamais président des États-Unis .

Est-ce que les hommes politiques doivent être irréprochables s’ils veulent avoir une chance contre les populistes ? Soit ne pas avoir de conflits d’intérêts ou payer des membres de leur famille ?

Vous avez tout à fait raison. Les valeurs morales des hommes politiques doivent être tirées vers le haut. Leur langage est devenu beaucoup trop agressif et vulgaire. La politique ce n’est pas du divertissement.

Federica Mogherini, haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la Commission, dit craindre que la Russie tente de manipuler les élections européennes de la même manière qu’elle l’a fait aux États-Unis…

Je crois que c’est une crainte légitime. J’ai vu comment la Russie a tenté d’influencer le débat sur TTIP. La Russie utilise pour cela les JT de Russia Today où on manipule délibérément la vérité. Ils ont déjà des émissions en français et en anglais et l’offre s’étoffe vite. Et il existe de soupçons que ce pays finance des partis des organisations extrémistes.

Quelle doit, ou peut, être la réponse de l’Europe ?

Je ne crois pas qu’une contre-propagande est la meilleure réponse, mais les institutions européennes doivent veiller à mieux véhiculer leur message.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire