France : un gouvernement en sursis?
Faute de coopération avec des partis d’opposition, le gouvernement d’Elisabeth Borne fait la part belle aux fidèles et aux experts. Il tentera de trouver des majorités texte par texte. Un cheminement très hasardeux.
Après la perte de sa majorité absolue à l’issue des élections législatives des 12 et 19 juin, Emmanuel Macron pouvait, sur le papier, écrire plusieurs scénarios pour surmonter cet écueil, inédit par le nombre de voix manquant pour faire passer de nouvelles lois (une quarantaine). L’ idée à peine susurrée d’une union nationale, à laquelle les extrêmes – «les ennemis», a commenté, le 5 juillet, le toujours ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin – du Rassemblement national et de La France insoumise n’auraient pas été associés a vite été oubliée. Républicains, socialistes, écologistes et autres communistes pouvaient difficilement y consentir. Le projet d’une coalition, uniquement viable mathématiquement et idéologiquement avec Les Républicains, a été presque aussi rapidement abandonné face au refus de la droite de «sauver» le soldat Macron. Restait la possibilité d’une coopération préalablement négociée sans participation au gouvernement. Même ce partenariat fragile n’a pas pu être mis en place. Le roi Macron II se retrouve seul dans sa tour d’ivoire. Son gouvernement reflète cet isolement.
La Première ministre ne pourra guère tabler que sur la peur du discrédit infligé à tout groupe politique de l’opposition qui ne voterait pas des lois bénéfiques aux citoyens, pour espérer forcer des soutiens ponctuels.
La composition de la nouvelle équipe suit trois lignes directrices. Primo, des experts ont été adoubés pour leur compétence technique. L’ancien président de l’association Samu – Urgences de France, François Braun, devient ministre de la Santé. L’ ex-président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, Olivier Klein, accède au poste de ministre de la Ville et du Logement. Deuzio, l’équipe gouvernementale se resserre sur ses fondamentaux. Les composantes de la macronie sont mieux servies que dans la version Elisabeth Borne 1. Le MoDem de François Bayrou hérite de quatre ministères ; Horizons, de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, de deux. Des fidèles parmi les fidèles sont rappelés ou installés à des postes clés: Olivier Véran, l’ancien ministre de la Santé, au porte-parolat ; Franck Riester comme ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, où son expérience de député et d’ancien membre des Républicains pourra être utile.
Les Républicains ont résisté
Enfin, tertio, il s’agissait pour Elisabeth Borne de remplacer les ministres qui avaient échoué à se faire élire aux législatives, Amélie de Montchalin, Brigitte Bourguignon, et Justine Benin, et d’exfiltrer celui qui risquait d’empoisonner la vie du gouvernement à la suite des accusations de viol portées contre lui, y compris récemment, Damien Abad. Emmanuel Macron perd donc la seule prise politique d’envergure qu’il avait attirée dans le premier gouvernement de son second mandat, l’ancien président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. L’ équipe Borne 2 n’enregistre pas de transferts spectaculaires issus de la gauche ou de la droite. Le contexte ne s’y prête plus. «Les nouveaux ministres sont politiquement modestes pour ne provoquer aucun camp, et techniquement bien disposés», a résumé le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Franc-Tireur, Christophe Barbier.
Il est à noter en effet que, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, les Républicains ont remarquablement résisté à la tentation de la macronie et du pouvoir. Le groupe des députés reste soudé. Il est en position de jouer un rôle pivot dans l’adoption de certains textes. Et aucune personnalité n’a rejoint le gouvernement.
Economie et intérieur renforcés
Dans l’analyse des équilibres plus globaux du gouvernement, deux tendances apparaissent. Les pôles «économie» et «questions régaliennes» sont renforcés. Le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, voit sa position confortée par l’apport désormais de quatre ministres délégués (l’un pour les comptes publics, un autre à l’industrie, un troisième en charge de la transition numérique et des télécommunications, la dernière responsable des PME, du commerce, de l’artisanat et du tourisme). Et son collègue comme lui anciennement du parti Les Républicains, Gérald Darmanin, voit son ministère de l’Intérieur élargi à l’Outre-mer. Les deux hommes sont confirmés au premier et deuxième rangs dans l’ordre protocolaire après la cheffe du gouvernement. Elisabeth Borne, de sensibilité de gauche, sera donc solidement encadrées par deux figures de droite.
L’ autre tendance de fond est une forme de dévalorisation du pôle «environnement». Amélie de Montchalin, qui le formait comme ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires avec sa collègue Agnès Pannier-Runacher en charge de la Transition énergétique, n’ayant pas été reconduite faute d’avoir été élue, est remplacée par Christophe Béchu, l’ancien ministre délégué chargé des Collectivités territoriales. Mais celui-ci est rétrogradé au dixième rang protocolaire alors que sa prédécesseure occupait le cinquième, ce que n’ont pas manqué d’épingler les associations de défense de l’environnement. Oublié, le grand élan vers la transition écologique porté par Emmanuel Macron entre les deux tours de la présidentielle? Les législatives sont passées par là et ont consacré une droitisation de la scène politique. Faut-il y voir une relation de cause à effet qui pénaliserait la lutte contre le dérèglement climatique pendant le quinquennat? L’hypothèse devra être validée.
Si elle l’était, cette inflexion réduirait un peu plus les chances d’Elisabeth Borne de trouver des alliés du côté des écologistes ou des socialistes pour faire passer les nouvelles lois. Fragilisée au point d’avoir renoncé à soumettre sa déclaration de politique générale à un vote de confiance perdu d’avance, le 6 juillet, à l’Assemblée nationale, la Première ministre ne pourra guère tabler que sur la peur du discrédit infligé à tout groupe politique de l’opposition qui ne voterait pas des lois bénéfiques aux citoyens, pour espérer forcer des soutiens ponctuels ou des abstentions libératrices.
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