Fonte des glaces en Arctique : nouvel enjeu géopolitique
Le 22e Conseil de l’Arctique débute ce mercredi à Reykjavik, en Islande. L’occasion pour la Russie de mettre en garde les Occidentaux contre une incursion sur son « territoire » arctique. De son côté, Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, commence une tournée dans la région. Entre problématiques diplomatiques et commerciales, le professeur en relations internationales à l’UCLouvain Tanguy Struye explique ce que font surgir ces mutations.
La fonte des glaces de l’Arctique relance les cartes des enjeux géopolitiques du territoire, bouleversant l’avenir de cette zone polaire.
L’Arctique, le nouvel eldorado ?
D’un point de vue environnemental, l’arctique est l’illustration d’un des problèmes majeurs de la planète : le réchauffement climatique. Économiquement parlant, le territoire est riche d’opportunités.
Le Conseil de l’Arctique, organe diplomatique intergouvernemental, se réunit ce mercredi dans l’idée de mettre l’accent sur la gouvernance et coopération. Dans le cadre du droit de la mer, huit États revendiquent pacifiquement la zone arctique et coopèrent via ce Conseil : la Russie, les États-Unis, le Canada, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège et l’Islande. 39 territoires non arctiques complètent cette liste en tant qu’observateurs. En principe, les affaires militaires sont exclues des discussions de ce sommet bisannuel, « ce qui ne veut pas dire que cela ne va pas être abordé dans les couloirs », complète Tanguy Struye,. Selon lui, il est plus facile de se focaliser officiellement sur des questions environnementales ou de sécurité maritime, plutôt que sur les questions d’actions militaires qui « fâchent un peu plus ».
L’intérêt pour le développement de l’Arctique n’est pas apparu avec la fonte des glaces. Il y a 500 ans, cette zone était déjà un enjeu stratégique pour les pêcheurs russes, anglais, néerlandais, norvégiens et français. Mines, poissons, bois, les ressources du territoire sont prisées depuis bien longtemps. Le pétrole est exploité en Arctique depuis les années 1930 et les mines depuis plus de 150 ans. Avec ou sans réchauffement climatique, le gaz, le pétrole, l’uranium et le tourisme auraient attiré les puissances étrangères. « Pendant la Guerre froide il y avait des tensions importantes entre Américains et Soviétiques, notamment avec la présence de sous-marins nucléaires » raconte le professeur.
Les fonds marins, nouvel or bleu
La plupart des réserves de gaz et de pétrole de l’Arctique se trouvent dans les zones économiques exclusives. Chaque état du Conseil de l’Arctique possède au moins une zone dédiée dans laquelle il peut exploiter ses ressources. Les zones disputées se trouvent au centre du pôle arctique, région quasiment inexploitable pour des raisons économiques et environnementales. « Le coût financier et les technologies ne sont pas encore à la hauteur » explique le professeur. Pour Tanguy Struye, sur le court-terme, ce sont plutôt les zones économiques exclusives du sud, donc exploitables, qui seront sources de conflit. Jusqu’a aujourd’hui, tous les différends ont été résolus de façon diplomatique.
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Hydrocarbures, gaz, pétrole… Sous la glace, environ un million de km² de fonds marins arctiques et de leurs richesses restent inexplorés. Pour le moment, la connaissance de la topographie et les moyens mis en place restent encore très limités. Mais d’ici 20 à 30 ans, le professeur suppose que nous aurons découvert un panel de nouvelles ressources sous-marines. Une prévision également calculée par Copenhague, Moscou, Oslo et Ottawa. Pour s’assurer des droits sur le fond marin, ces quatre des états du Conseil de l’Arctique ont récemment demandé à étendre leur « plateau continental » au-delà de leur zone économique exclusive.
De nouvelles « autoroutes polaires » vont-elles concurrencer les routes commerciales traditionnelles?
En faisant émerger de nouvelles routes maritimes, la fonte des glaces a mis en lumière une série de nouvelles opportunités. Le changement climatique permettra sur le long terme de relier l’Asie à l’Europe en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut actuellement. Mais le développement de ces nouvelles routes à un coût : navires à doubles coques, poste de sécurités, assurance. « Beaucoup de compagnies maritimes observent le développement de la région, mais n’ont pas encore investi », insiste le professeur. Pour l’instant, une nouvelle autoroute arctique n’est pas considérée comme rentable par tous les acteurs économiques.
La majorité du trafic maritime se fait au sein même de l’océan Arctique, « d’un port russe arctique vers un autre port russe arctique ». Le nombre de navires qui partent du Japon ou de la Corée pour arriver à Hambourg ou à Anvers via l’Arctique reste très limité, « cela représente une centaine de navires par an, contre 30 000 pour le canal de Suez et plus de 100 000 pour le détroit de Malacca » précise Tangue Struye.
« Lorsqu’une puissance développe de nouvelles routes maritimes, elle investit dans la défense militaire pour les défendre, ce qui entraine des réactions chez d’autres pays » explique le professeur. Les investissements militaires de la région sont en pleine augmentation, notamment du côté de la Russie.
La nouvelle arme russe
Modernisation militaire, développement de nouvelles bases militaires, présence des sous-marins, installation de nouveaux radars, exercices militaires : avec l’ouverture de l’Arctique la Russie a mis en place un nouveau moyen de pression sur l’OTAN.
Poséidon. C’est le nom du dernier investissement russe en matière d’armement. Pour Tanguy Struye, cette torpille à tête nucléaire « pourrait changer toute la donne en matière de dissuasion nucléaire ». Contrairement aux sous-marins, elle pourrait circuler de façon totalement autonome et frapper à un moment précis. Selon la littérature scientifique, cette arme serait présente sur de nouvelles bases militaires arctiques russes. Mais le professeur émet des réserves, très peu d’informations sont disponibles sur ce nouveau dispositif, « on ne sait pas s’il fonctionne ». Dans la course à l’armement, un Poséidon fonctionnel pourrait donner un avantage considérable aux Russes face aux États-Unis.
Cela fait partie du jeu entre grandes puissances
Mis à part les sous-marins nucléaires et les bases militaires en Alaska dirigées vers l’Océan Pacifique, les investissements militaires américains sont encore modestes. C’est depuis le développement des nouvelles routes que les États-Unis commencent à s’intéresser à cette région du monde. « Les Russes possèdent une vingtaine de brise-glace nucléaires, contre deux datant des années soixante pour les Américains », explique Tanguy Struye. Comparée à la présence militaire russe, celle des États-Unis est limitée.
Le pari du gaz minier
Contrairement aux pays du Golfe qui essaient de développer des économies alternatives au gaz et au pétrole, la Russie continue de miser sur les matières premières. Sans calculer les potentielles réserves en Arctique, le pays possède 25% des réserves de gaz mondiales et fournit 40% du gaz en Europe. « Les Russes savent très bien que le gaz va continuer à être une ressource importante pour les prochaines décennies », précise Tanguy Struye, « comparée au pétrole et au charbon, c’est l’une des énergies les moins polluantes ».
L’exploitation de gaz miniers représente un coût financier non négligeable en matière de maintenance et sécurité. Le professeur raconte que pendant les vingt dernières années, avant les premières catastrophes écologiques, les Russes n’avaient pas réalisé le risque que représentait le permafrost (ou pergélisol). « Des parties de l’Arctique sont restées gelées pendant des siècles, les Russes y ont donc construit des raffineries et des oléoducs », avec la fonte des glaces ces infrastructures ont bougé et provoqué des fuites d’hydrocarbures. En 2020, 20 000 tonnes de carburant se sont déversées par accident dans un cours d’eau du Grand Nord.
Sur le long terme, les Russes pourraient devenir les principaux fournisseurs de gaz au niveau mondial
Depuis, l’administration Poutine reconnait l’enjeu environnemental de la région. Soutenir la transition énergétique est aussi un moyen de promouvoir le « soft landing ». En persuadant les acteurs mondiaux de faire une transition douce, donc en ne passant pas directement à l’éolien, mais en transitionnant d’abord avec le gaz naturel, les Russes s’assurent un maintien du marché du gaz minier. Les exportations étaient d’abord ciblées vers l’Europe, puis se sont tournées progressivement vers la Chine. « C’est ainsi que l’on observe un début de collaboration entre des multinationales russes et chinoises pour exploiter le gaz de la région et l’exporter vers la Chine » indique Tanguy Struye.
Opportunité économique ou concentration des problèmes environnementaux de la planète ?
Tout dépend de la position des pays. Selon le professeur, la Russie, le Canada ou les États-Unis voient en l’Arctique un enjeu économique. L’intérêt environnemental est lié à l’intérêt économique, « si les Russes s’y intéressent parce qu’ils ont vu leurs pipelines et raffineries bouger ». Tanguy Struye l’affirme, ce sont ces événements qui ont amené la question environnementale au centre des discussions du Conseil de l’Arctique. De leur côté, les organisations non étatiques « mettent évidemment l’accent sur la question environnementale ».
Anaelle Lucina.
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