Financement de l’Unrwa: pourquoi il ne faut pas infliger une nouvelle punition collective aux Palestiniens de Gaza
L’implication d’employés de l’agence des Nations unies pour les réfugiés dans le massacre du 7 octobre entraîne la suspension de financements. En quoi une diminution de l’aide peut-il répondre à la crise?
Les Gazaouis subiront-ils les conséquences d’une nouvelle entrave à l’acheminement de l’aide humanitaire, déjà erratique depuis les représailles israéliennes à l’attaque du Hamas le 7 octobre? Les accusations d’Israël quant à la participation d’agents de l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) aux massacres en question ont conduit une douzaine de pays (Etats-Unis, Canada, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Finlande…) à suspendre leur financement à l’agence dans l’attente des résultats de l’enquête de l’ONU. Selon le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, cette décision pourrait produire des effets préjudiciables à la population palestinienne dès ce mois de février… Or, l’Unrwa est un pilier de l’assistance internationale à la bande de Gaza. Une nouvelle punition collective?
Le gouvernement israélien devrait se demander si une bande de Gaza sans perfusion onusienne serait plus facilement gérable.
On peut se demander en quoi l’inspection onusienne influencera l’issue du bras de fer. L’agence d’aide aux réfugiés palestiniens ne conteste pas les faits dénoncés par Israël. Selon des informations relayées par The New York Times sur la base d’un dossier transmis aux autorités américaines, le gouvernement de Benjamin Netanyahou incrimine spécifiquement douze membres du personnel de l’Unrwa, qui en emploie quelque treize mille rien que dans la bande de Gaza. Grâce à la géolocalisation de leur téléphone, les services de renseignement israéliens auraient établi que six hommes auraient participé à l’opération meurtrière en territoire israélien. L’implication des autres aurait été démontrée sur la base d’écoutes téléphoniques ou en vertu de l’examen de SMS évoquant soit une invitation à un point de rassemblement, soit la livraison par au moins un d’entre eux de roquettes entreposées à son domicile. Les Israéliens relatent également des faits plus précis et plus incriminants. Un agent aurait participé directement au massacre commis dans le kibboutz de Be’eri où 97 résidents ont été assassinés. Un travailleur social de Nuseirat employé par l’Unrwa aurait distribué des munitions, coordonné l’utilisation de véhicules et ramené à Gaza le corps d’un soldat israélien. Enfin, un conseiller scolaire de Khan Younès aurait organisé directement, avec son fils, le rapt d’une Israélienne.
Un risque inévitable?
Les accusations sont graves. S’ils sont avérés, les faits sont inacceptables. Ils seraient encore plus accablants si l’enquête démontrait que des responsables de l’Unrwa avaient connaissance des liens de certains de leurs employés avec le Hamas et le Djihad islamique et qu’ils n’ont rien fait pour les dénoncer, et écarter les agents en question. Mais on n’en est pas encore là. L’Unrwa a indiqué que neuf des douze personnes incriminées avaient été licenciées, le cas des trois derniers étant suspendu à un examen plus approfondi. En l’état actuel de connaissance du dossier (sans implication plus directe de cadres de l’organisation) et aussi scandaleuse qu’elle soit, cette affaire n’est pas surprenante. «Aujourd’hui, on tente de faire croire que c’est très nouveau, mais c’est très ancien. Israël le sait très bien», souligne Jalal al-Husseini, chercheur à l’antenne d’Amman de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) interrogé par Radio France international (RFI). «Depuis les années 1960, il y a une règle de neutralité au sein de l’Unrwa: tous les employés, quelles que soient leurs affiliations politiques, sont tenus à ce que cette affiliation n’empiète pas sur la neutralité de l’agence. Cela figure dans leur contrat. Mais dans certains cas, en période de crise politique ou de guerre, certains des employés franchissent cette limite. Il y a eu des enquêtes, puis des sanctions.»
Sur treize mille agents recrutés dans un territoire sous la domination omnipotente du Hamas depuis 2007, comment s’étonner que l’Unrwa, à laquelle Israël a quelque part sous-traité l’assistance aux réfugiés palestiniens de 1948, ait dans son personnel des militants du groupe islamiste? Ancien directeur des opérations de l’institution en Cisjordanie, le Suisse Yves Besson ne disait pas autre chose dans «Ma mission UNRWA (1990-1995)», texte publié dans la revue Relations internationales en 2017. «Il y avait à l’époque environ 400 000 réfugiés inscrits à l’agence et cinq mille employés en Cisjordanie, presque tous palestiniens, à part quelques expatriés. La force de travail était donc essentiellement palestinienne avec ses syndicats, leurs élections et revendications, sous l’influence de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) omniprésente, et celle naissante et en progression du Hamas.» Cette réalité ne rend évidemment pas moins inacceptable la participation des agents de l’Unrwa au massacre du 7 octobre. Mais cela pose question sur la mise en cause générale de l’agence onusienne qui les emploie.
Mesurer les conséquences pour Gaza
On peut aisément comprendre la stupeur des autorités israéliennes, et leur volonté que l’ONU s’explique, que des sanctions soient prises, et que des dispositions évitent la répétition de tels actes. La révélation du scandale survient, en outre, à un moment opportun, quelques heures après l’ordonnance de la Cour internationale de justice appelant l’Etat hébreu à empêcher tout acte de génocide. Moins compréhensible est l’attitude des pays qui ont décidé de suspendre leur financement à l’Unrwa. Ils prennent ainsi le risque d’aggraver encore la situation humanitaire des Palestiniens de Gaza alors que ceux qui en avaient les moyens, les Etats-Unis au premier chef, n’ont déjà pas beaucoup œuvré pour que l’aide indispensable à leur survie leur parvienne.
A cette aune, l’attitude des Etats qui ont opté pour le maintien de leur contribution au budget de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens de Gaza, comme la Belgique, apparaît plus responsable. Elle a été expliquée par le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide. «Si je partage l’inquiétude suscitée par les allégations très graves concernant certains membres du personnel de l’Unrwa, j’invite instamment les autres donateurs à réfléchir aux conséquences plus larges d’une réduction du financement de l’Unrwa en cette période de détresse humanitaire extrême.» Il n’empêche, l’affaire des employés complices présumés du massacre du 7 octobre va accroître un peu plus encore les tensions, déjà considérablement exacerbées depuis le début de la guerre, entre Israël et l’ONU. Il est vrai que l’administration de l’organisation apparaît comme la seule garante de la défense des intérêts d’une population gazaouie de plus en plus abandonnée à son sort. Le gouvernement israélien, qui y voit une remise en question de sa toute-puissance, devrait se demander si une bande de Gaza sans perfusion onusienne serait plus facilement gérable.
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