«Fatshi» sort gagnant des urnes au terme d’un scrutin contesté. © getty images

Félix Tshisekedi triomphe en RDC: « Dans une élection à la régulière, il n’aurait pas gagné »

François Janne d'Othée

Le président sortant, Félix Tshisekedi, a remporté les élections en RDC. Une victoire annoncée qui fait suite à un scrutin chaotique, dans une ambiance toujours plus délétère.  

C’était inscrit dans les astres: le quatrième scrutin en République démocratique du Congo (RDC), remporté haut la main – 73% des suffrages, selon les résultats provisoires – par le président sortant Félix-Antoine Tshisekedi, 60 ans, ne serait pas un long fleuve tranquille, mais bien un parcours tempétueux. «Un gigantesque désordre organisé», a même qualifié l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, dans ce pays où la puissante Eglise catholique est aux avant-postes de l’observation électorale. La prestation de serment est prévue le 24 janvier.

La galère électorale de la RDC

«Fatshi», au bilan fort maigrichon, avait pour principal challenger l’homme d’affaires et ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi. Or, cet homme à la popularité indéniable arrive loin derrière avec 18%, tandis que Martin Fayulu, qui s’était fait voler la victoire dans les urnes en 2018 par l’actuel président, dégringole à 5%.

La vingtaine d’autres candidats sur les rangs ne récoltent que des miettes, guère plus de 1%, à l’instar du docteur Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix pour son action en faveur des femmes violées, dont beaucoup se demandent ce qu’il est allé faire dans cette galère électorale.

RDC: « Un simulacre d’élections »

Déposer un recours? Moïse Katumbi ne s’y essaie même pas, vu que des proches du président sortant gardent la main sur la Cour constitutionnelle, chargée de valider les résultats, comme sur la Commission électorale (Ceni), l’ensemble étant qualifié par le Katangais de «structure officielle de fraude».

«Nous n’accepterons jamais ce simulacre d’élections et ces résultats», a renchéri Martin Fayulu, alors que la police venait de réprimer un premier rassemblement de contestation postélectorale.

Si Denis Mukwege s’est refusé à se ranger derrière la candidature de Moïse Katumbi, il fait à présent cause commune avec lui pour exiger l’annulation du scrutin. Avec des organisations de la société civile et des mouvements citoyens, ils ont annoncé le lancement officiel de mobilisations pacifiques «afin de faire échec à ceux qui tentent de conserver le pouvoir par la force».

Des électeurs… sans carte d’électeur

Le célèbre gynécologue trouve saumâtre que dans son fief de Panzi, au Sud-Kivu, 90% des voix soient prétendument allées au président sortant. En attendant, le pouvoir a interdit tout rassemblement.

De nombreux accrocs ont émaillé les jours du scrutin, qui était également législatif, provincial et communal: violation du secret de vote, tabassage d’une observatrice à Kananga, dans le Kasaï, ou celui de la cheffe d’antenne de la Ceni dans le territoire de Luilu (province de Lomami), pour avoir refusé de participer à une réunion avec des hommes politiques locaux, ou cette technicienne de la Ceni molestée par ses collègues énervés de ne pas avoir été payés.

Autant d’événements rapportés par la mission d’observation congolaise Regard citoyen (plus de neuf mille bureaux de vote visités), qui relève aussi que, dans 13% des bureaux observés, des individus sans carte d’électeur et qui n’avaient pas leur nom sur la liste électorale ont été autorisés à voter.

Dans une élection à la régulière, il n’aurait pas gagné.

Incidents en pagaille

Face aux multiples problèmes logistiques, le scrutin a été prolongé jusqu’à six jours par la Ceni, afin de pallier le déploiement tardif du matériel électoral sur le territoire du deuxième plus grand pays d’Afrique, où les routes et l’électricité font cruellement défaut.

De leur côté, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et l’Eglise du Christ au Congo (ECC, une coalition de 64 Eglises protestantes et évangéliques), qui n’ont cessé de dénoncer les manquements tout au long du processus électoral, ont épinglé 1 185 rapports d’incidents, sur 25 000 bureaux visités: lieux de vote non ouverts, dispositif électronique déficient, violences…

Leurs suspicions étaient donc fondées. Sans parler des cartes d’électeurs devenues progressivement illisibles à cause de l’impression thermique.

Corneille Nangaa a choisi l’opposition frontale au président réélu.
Corneille Nangaa a choisi l’opposition frontale au président réélu. © belgaimage

Des irrégularités « localisées »

Le dépouillement fut du même acabit: des résultats ont été annoncés pour des circonscriptions au Katanga alors que la compilation des résultats n’y avait pas encore commencé, et d’autres chiffres ont été diffusés pour des bureaux jamais ouverts, avec des scores largement favorables au président sortant.

Il n’empêche que la mission Cenco-ECC, qui a mis en place un dispositif de comptage parallèle des voix, a très vite constaté qu’ «un candidat s’est largement démarqué des autres avec plus de la moitié des suffrages à lui seul». Tout en ajoutant que la Ceni serait bien inspirée d’étudier l’impact des incidents sur la tenue du scrutin avant de proclamer les résultats définitifs…

«Nous avons discuté des irrégularités et nous avons tous reconnu qu’elles étaient localisées, pas généralisées», a réagi Denis Kadima, président de la Ceni, à l’issue d’une rencontre avec les représentants des Eglises.

Une opposition impuissante

Dans un scrutin sans tache, Félix-Antoine Tshisekedi serait-il malgré tout sorti vainqueur des urnes? «Je ne pense pas, répond Bob Kabamba, politologue à l’ULiège et coauteur de la loi électorale congolaise. C’est la prolongation du vote qui a permis ce résultat. Or, la loi est claire. Les bureaux de vote peuvent rester ouverts jusqu’à douze heures après l’ouverture, et le dépouillement doit intervenir dans la foulée. Le but est d’éviter des ruptures du processus propices au bourrage d’urnes. Ici, on a prolongé de six jours! S’ils n’étaient pas prêts, ils auraient dû décaler le scrutin.»

Au-delà, le président sortant avait face à lui une opposition en ordre dispersé et donc impuissante à peser sur le scrutin, surtout dans une élection à un tour.

En outre, il a pu utiliser tous les moyens de l’Etat pour faire campagne, même avant que celle-ci ne débute. D’après la mission Regard citoyen, Félix Tshisekedi a bénéficié à lui seul de 51% de la couverture médiatique observée, contre 17% à Moïse Katumbi.

En Belgique, en Afrique du Sud, au Canada, en France et aux Etats-Unis, où la diaspora a pu voter pour la première fois, Fatshi l’a emporté haut la main. «Mais dans ces ambassades, il n’y avait aucun contrôle», précise Bob Kabamba.

Nouvelle menace de partition

On retiendra aussi que la campagne a été empoisonnée par la situation sécuritaire dans l’est du pays, soumis à l’état d’urgence depuis le retour en force de la rébellion du M23. Ce regain de tension a exercé une influence directe sur le vote.

Les populations des territoires de Masisi, Nyiragongo et Rutshuru (province du Nord-Kivu) n’ont ainsi pas pu prendre part aux présentes élections, ni celles de Kwamouth, au bord du fleuve Congo, ici à cause de violences intercommunautaires entre les Tekes et les Yakas.

Les tensions engendrées par la période électorale pourraient-elles déboucher sur une nouvelle phase de violences? Cinq jours avant le scrutin, l’ancien président de la Ceni, Corneille Nangaa, a choisi l’opposition frontale au président Tshisekedi, dans un retournement de veste dont la RDC est friande. Depuis Nairobi (Kenya) où il vit en exil, cet expert en élections a lancé une nouvelle coalition politicomilitaire appelée Alliance fleuve Congo. La trahison est d’autant plus forte qu’on y retrouve les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda de Paul Kagame, auquel Fatshi impute tous les maux du Congo.

«Tshisekedi n’est plus président de la RDC»

«Dans cette alliance, Corneille Nangaa a réussi à fédérer plein de groupes armés, pas seulement le M23», précise Bob Kabamba. Le politologue estime plausible un retour à la situation de la fin des années 1990, quand le RCD-Goma contrôlait l’est du pays. «Cette partition a déjà commencé, et le Katanga pourrait suivre. Cela reviendrait à étouffer Kinshasa, car 70% de la richesse du Congo vient du Katanga

Corneille Nangaa a récemment dénoncé l’accord secret de 2019 qui a permis à Tshisekedi de succéder à Joseph Kabila, alors que Martin Fayulu était sorti vainqueur des urnes. Cet accord – dont Nangaa avoue être le coauteur – devait permettre une passation de pouvoir sans effusion de sang. Il enrage que Fatshi persiste à nier ce tour de passe-passe. Son ambition aujourd’hui est de «sauver le Congo» et de garantir un retour à la paix. Il a déjà déclaré que «Tshisekedi n’est plus président de la RDC».

Le virus de l’ethnisme

Les discours ethniques ont, eux aussi, connu une forte recrudescence. A l’est, la haine anti-Tutsi bat des records, à telle enseigne que Moise Katumbi, déjà décrit comme un candidat étranger à cause de l’origine gréco-juive de son père, a préféré faire campagne sans son épouse, une Burundaise tutsie. En plusieurs lieux, la mission Regard citoyen a noté le recours à des propos haineux et incitatifs à la violence.

Les observateurs ont rapporté des cas de personnes décédées directement ou indirectement. Dans 32% des incidents observés, la police n’était pas présente, et dans 44% des cas, «son comportement n’était pas adapté».

Une des scènes les plus choquantes s’est passée à Kananga, dans le Kasaï, fief du président Tshisekedi. Une femme a été dénudée et violentée car elle a affirmé avoir voté pour Katumbi et n’a dû son salut, non à des policiers présents, mais à des femmes qui lui sont venues en aide en la recouvrant d’un pagne.

« Quelle image de la RDC! »

«Quelle image donnons-nous de notre pays sur la scène internationale? Comment pouvons-nous descendre aussi bas dans ce pays?», s’est ainsi indigné le cardinal Ambongo. L’archevêque de Lubumbashi, Mgr Muteba, a diffusé la même vidéo avec ce commentaire: «La folie de l’intolérance politique. Révoltant! Comble de la barbarie. J’ai tellement honte…»

Dans ce sombre tableau, l’Union européenne a connu une de ses pires missions d’observation, alors qu’elle était présente à l’invitation des autorités de Kinshasa. Les 42 observateurs long terme n’ont pu se déployer comme prévu, parce que les services de sécurité ont mis la main sur leurs téléphones satellitaires.

Plus de 41 millions d’électeurs

Réduits à la portion congrue, et analysant le processus électoral uniquement depuis Kinshasa, les Européens ont vécu un drame le soir du 23 décembre, avec la chute depuis le douzième étage du Hilton d’un des experts de l’équipe-cadre, un Belge. Un suicide? Nos sources au sein de la mission européenne l’attestent, expliquant que le bar de l’hôtel, endommagé par la défenestration volontaire, est fermé depuis lors. Mais le fait qu’il était expert en informatique, et donc en transmission de résultats, a ouvert la porte à toutes les rumeurs hostiles à Tshisekedi.

Seule lueur dans ce tableau chaotique: au Congo, l’aspiration à la démocratie est forte.

Seule lueur dans ce tableau chaotique, on retiendra aussi qu’au Congo, l’aspiration à la démocratie est forte: plus de 41 millions d’électeurs, sur environ cent millions d’habitants, étaient inscrits et les candidats étaient en nette augmentation par rapport aux scrutins précédents, soit cent mille candidats pour les 2 200 positions électives pour les quatre scrutins.

«Le taux de participation a été de 43,25%, soit 18 045 348 participants sur 41 738 628 électeurs inscrits», a annoncé la Ceni, pour qui ce fut «une bonne élection», avec des critères de transparence élevés.

Les femmes bien présentes

D’autre part, les observateurs de la mission Regard citoyen saluent les efforts de la Ceni pour avoir adopté «une stratégie de genre qui lui permet de prendre en compte la femme à tous les niveaux de son organisation». Les femmes ont été nombreuses à remplir des fonctions dans les bureaux de vote. Sur le fichier électoral, c’était même la parité. Elles furent tout aussi nombreuses à voter, «même si, note délicatement le rapport, nous avons constaté que les femmes enceintes et celles qui allaitent n’ont pas toujours bénéficié d’un traitement privilégié».

En réalité, ce sont des millions de citoyens qui mériteraient un traitement privilégié dans cet Etat congolais qui, depuis des décennies, les laisse croupir dans la misère.

Pour la Ceni, le scrutin a respecté les critères de transparence.
Pour la Ceni, le scrutin a respecté les critères de transparence. © belga mage

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