Sébastien Boussois
Faut-il achever la Ligue arabe ?
La création de la Ligue arabe en 1945 pouvait-elle laisser espérer une unité des pays arabes face au reste du monde, notamment pour en résoudre les crises ? Rien n’est moins sûr.
Alors qu’elle dispose d’un statut d’observateur aux Nations Unies, la Ligue arabe semble parfois tout aussi impuissante que son coreligionnaire face aux turpitudes d’un Moyen-Orient qui n’en finit pas de ne pas réussir sa transformation démocratique et sociale. Et la déstabilisation régionale de ces dernières années n’a pas aidé.
Alors que 22 membres la composent, elle est clairement aujourd’hui sous l’emprise du pays qui l’héberge et qui aspire encore à maintenir le plus longtemps possible son leadership régional et qui a mis aussi sous dépendance l’Egypte : nous parlons bien entendu de l’Arabie Saoudite. Dans ces poupées gigognes d’influence et de manipulation, on trouve au sein de la Ligue arabe l’opération de force saoudienne qui vise à tout contrôler dans la région.
Le trentième et dernier sommet en date de la Ligue arabe, qui s’est tenu ces jours-ci à Tunis, interroge sur l’utilité de ce type d’organisations régionales à l’avenir. Non seulement la Ligue arabe ne s’est jamais remise totalement de son déplacement en Tunisie, après la signature de la paix entre Tel-Aviv et Le Caire en 1978, mais elle n’est pas parvenue à régler d’importantes questions litigieuses au sein du monde arabo-musulman : question palestinienne, guerres du Liban, signature de la paix entre Israël et d’autres pays membres comme la Jordanie, Printemps dit-arabes, guerre en Libye, guerre en Syrie, guerre au Yémen, etc. Ni guérir ni prévenir pourrait être le credo de la Ligue. Sous l’emprise claire de l’Arabie Saoudite, la Ligue arabe ne peut non seulement pas cacher ses dissensions, mais encore moins son impuissance. C’est Riad qui décide et qui donne le ton avec l’aval de son grand-frère américain.
Il faut reconnaître que le contexte régional récent se prêtait mal à une quelconque unification des désirs nationaux : 21 pays étaient présents au sommet de Tunis et l’idée complexe d’un retour de la Syrie n’arrangeait guère tout le monde.
Que peut faire l’égyptien Ahmed Aboul Gheit, le Secrétaire général de la Ligue devant un tel chaos ? Rien qu’un homme puisse faire seul contre la volonté des hommes. Rien qu’un Egyptien ne peut faire face au mécène saoudien. Rien de plus que de s’agiter, car en réalité Riad est à la manoeuvre derrière tout. On entendait que l’Emir du Qatar aurait donc quitté prématurément le Sommet pour dénoncer le manque d’unité. L’hyperprésence saoudienne à Tunis était avant tout une opération de communication et une démonstration de force malgré une image détestable. Pas plus à la Ligue, qu’au Conseil de Coopération du Golfe que Riad a fait imploser depuis 2017 et le début de la crise avec le Qatar, on ne voit d’issue à l’impuissance de ces ensembles régionaux qui semblent porter malheur sur la région. A moins que ce ne soit l’inverse.
Idem pour la Conférence islamique dont beaucoup contestent de plus en plus que le siège se trouve en Arabie Saoudite, pays qui n’est désormais plus protégé de la critique, et qui par la voie de son futur dirigeant en gestation, Mohamed Ben Salmane, oeuvre depuis des années à diviser le monde musulman : attaquer les pays qui s’éloignent de sa sphère d’influence, diffuser wahhabisme et salafisme à grand renfort de communication et d’envoi d’imams low cost partout dans le monde arabe, alliance contre nature avec Israël, bannissement de l’Iran qui lui permet de passer pour un pays modéré, assassinat du journaliste d’opposition Jamal Khashoggi dont on attend toujours une véritable enquête internationale qui punirait le commanditaire, etc.
Alors faut-il achever la Ligue arabe ? Au début de la crise, l’Emir du Qatar avait appelé à la création d’une organisation alternative pour contrer l’emprise saoudienne sur la région. Nous ne voyons guère quelles réformes pourraient la sauver, tant que l’on ne canalise pas avec force les velléités impérialistes saoudiennes, mais aussi son désir inconscient de nihilisme et d’implosion d’une région qui peut basculer à tout moment.
Sébastien Boussois – Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du CPRMV (Centre de Prévention de la Radicalisation Menant à la Violence/ Montréal) – Dernier livre paru: « Pays du Golfe, les dessous d’une crise mondiale » (Armand Colin), 2019
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