Face au gouvernement radical israélien, quelle réaction des Palestiniens? (analyse)
Ciblés par le programme du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël mais dopés aussi par la solidarité arabe exprimée lors du Mondial au Qatar, comment les Palestiniens vont-ils réagir? 2023 s’annonce lourde de menaces.
Le contexte
Premier acte notable du gouvernement Netanyahou VI, la visite, le 3 janvier, du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, a donné le ton des relations qu’il envisage avec les Palestiniens. D’autant que les dirigeants du parti d’extrême droite auxquels Netanyahou doit son retour au pouvoir sont aux manettes de ministères qui ont une compétence sur le contrôle des territoires palestiniens. Attention, danger.
Avant, est-ce que tout allait bien? A la mise en place, le 29 décembre, du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël, certains Palestiniens opposent un fatalisme mâtiné de découragement. Difficile pour eux de distinguer dans la classe politique israélienne un interlocuteur mieux disposé à leur égard quand l’année 2022, sous un gouvernement du centre dirigé par Naftali Bennett et Yaïr Lapid, s’est clôturée sur le bilan en pertes humaines le plus lourd depuis 2014.
En Cisjordanie, 167 Palestiniens ont été tués lors des douze derniers mois, selon le ministère palestinien de la Santé. En réponse à une série, elle aussi inusitée ces derniers temps, d’attentats palestiniens en Israël qui ont fait 31 morts, argue le pouvoir israélien. Dans la bande de Gaza, c’est essentiellement l’offensive de Tsahal, du 5 au 7 août contre le groupe Jihad islamique, qui a contribué à fixer le bilan annuel à 53 morts. Dans les deux cas, difficile de considérer que les plus de 45 enfants tués constituaient des cibles à haut intérêt militaire ou antiterroriste.
«Du point de vue palestinien, les catégories politiques – gauche, centre, droite, extrême droite – n’ont aucun sens, analyse Bichara Khader, professeur émérite à l’UCLouvain et fondateur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain (Cermac). C’est le Parti travailliste qui a entamé la colonisation des territoires occupés. C’est le gouver- nement centriste Bennett-Lapid qui s’est distingué par “la mort – la neutralisation”, selon le jargon israélien – de plus de deux cents Palestiniens en 2022. Pour les Palestiniens, un gouvernement israélien de gauche ou de droite, c’est Coca-Cola et Pepsi-Cola. De fait, aucun gouvernement israélien n’a accepté le principe d’auto- détermination du peuple palestinien et aucun n’a qualifié la Cisjordanie de territoire occupé. Pour les gouvernements israéliens, au mieux, c’est un territoire “administré”, au pire un “territoire libéré”.»
L’annexion formelle des territoires palestiniens serait considérée comme une trahison par les pays qui ont normalisé leurs relations avec Israël.
Des postes sensibles
Le pire, pour les Palestiniens, risque cependant de devenir une cruelle réalité si l’on se fie au programme du gouvernement Netanyahou VI et aux convictions des ministres suprémacistes juifs qui en sont membres. Le Likoud, parti du Premier ministre, dispose certes de seize ministres parmi les 29 qui le forment, contre cinq pour le parti séfarade Shas, un pour son pendant ashkénaze, le Judaïsme unifié de la Torah, deux formations ultraorthodoxes. Mais les deux partis d’extrême droite, le Parti sioniste religieux et Force juive, qui, avec Noam, d’Avi Maoz, ont constitué l’alliance qui a remporté quatorze sièges à la Knesset lors des élections législatives du 1er novembre 2022, occupent, chacun, trois ministères, dont l’un, au moins, aura un impact sur la politique israélienne dans les territoires palestiniens. Itamar Ben Gvir, chef de Force juive, hérite du porte- feuille de la Sécurité nationale, avec une compétence sur la police des frontières qui est notamment chargée du maintien de l’ordre en Cisjordanie, et Bezalel Smotrich, leader des sionistes religieux, est le nouveau ministre des Finances, et responsable de la branche de l’armée qui gère l’administration des civils dans les territoires occupés. «Ce sont ces trois partis (NDLR: le Parti sioniste religieux, Force juive et Noam) qui ont permis à Netanyahou de former son gouvernement. Il a cédé à toutes leurs exigences. Il faut donc s’attendre à l’annexion de fait de la zone C, soit 60% de la Cisjordanie (NDLR: selon la délimitation prévue par les accords d’Oslo), à une expansion de la colonisation, à la multiplication des routes de contournement et à une répression accrue», avertit Bichara Khader.
«Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouver- nement encouragera et développera l’expansion de la présence juive dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée et Samarie», – appellation israélienne de la Cisjordanie –, énonce le nouveau gouvernement israélien en tête de ses lignes directrices. Réagissant à cette déclaration d’intention, l’Association belgo-palestinienne a estimé le lundi 2 janvier qu’«Israël assume ainsi ouvertement son objectif de coloniser le territoire occupé et d’en dénier à sa population palestinienne ses droits internationalement reconnus».
«Ce qui change avec le nouveau gouvernement israélien, souligne Bichara Khader, c’est que le discours raciste, suprémaciste et homophobe s’étale au grand jour sans pudeur et sans crainte, renouant avec le discours raciste d’Abba Ahimeir de l’Alliance des zélotes de 1928 ou celui du rabbin Meir Kahane du parti Kach des années 1980, dont Itamar Ben Gvir est un grand admirateur. Le tandem Gvir-Smotrich prône l’expulsion des Palestiniens de Cisjordanie, considère les Palestiniens d’Israël (22% de la population totale) comme une cinquième colonne, promeut la «souveraineté juive» sur la Judée et la Samarie, se propose de reconstruire le temple sur l’esplanade des Mosquées. Tout cela n’augure rien de bon pour l’avenir du Moyen-Orient et pour la sécurité internationale», poursuit le spécialiste du conflit israélo-palestinien à l’UCLouvain.
Provocation de Ben Gvir
Les intentions de l’extrême droite israélienne, qui peuvent certes être révisées à l’aune de l’exercice du pouvoir et de la pression stratégique de Benjamin Netanyahou, inquiètent jusqu’au sommet de la hiérarchie militaire. Le chef d’état-major de l’armée israélienne, le lieutenant-général Aviv Kohavi, s’est entretenu fin décembre avec le Premier ministre pour exprimer sa préoccupation sur les décisions du gouvernement touchant à l’autorité militaire, en particulier sur les attributions de Bezalel Smotrich et d’Itamar Ben Gvir.
Dans ce contexte, 2023 s’annonce lourde de menaces, d’autant qu’aux projets du gouvernement sur la colonisation, s’ajoutent les tensions attendues à propos de la gestion de la vieille ville de Jérusalem. Le roi Abdallah de Jordanie, en tant que gardien des lieux saints, a mis en garde contre toute altération du statu quo. Le groupe islamiste palestinien Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, a promis «une riposte destructrice» si le gouvernement israélien persistait, malgré tout, dans cette volonté.
La visite impromptue, à l’aube du mardi 3 janvier, d’Itamar Ben Gvir, en tant que ministre de la Sécurité nationale, sur l’esplanade des Mosquées, lieu de prière des musulmans, a donné le ton des relations à venir entre Israéliens et Palestiniens, sur le mode provo- cations-réactions. «Notre gouver- nement ne cédera pas aux menaces du Hamas. Le mont du Temple (NDLR: dénomination israélienne de l’esplanade) est l’endroit le plus important pour le peuple d’Israël. Nous y maintenons la liberté de mouvement pour les musulmans et les chrétiens, mais les juifs aussi y monteront et ceux qui profèrent des menaces seront traités d’une main de fer», a indiqué à cette occasion le leader du parti Force juive. Le 28 septembre 2000, la venue sur la même esplanade d’Ariel Sharon, alors simple député nationaliste du Likoud, avait été à l’origine de la deuxième intifada palestinienne…
Pour les Palestiniens, un gouvernement israélien de gauche ou de droite, c’est Coca-Cola et Pepsi-Cola.
Dirigeants arabes sous pression
Près d’un quart de siècle plus tard, le contexte a sensiblement changé. La communauté internationale et les Etats-Unis se sont détournés de la recherche d’une solution négociée au conflit israélo- palestinien. Certains Etats arabes (Emirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan) ont même semblé abandonner les Palestiniens à leur sort en signant, à l’automne 2020, les accords d’Abraham avec Israël. Pourtant, les manifestations de solidarité avec les Palestiniens, observées à l’occasion de la Coupe de monde du football au Qatar du 20 novembre au 18 décembre en parallèle avec l’étonnant parcours de l’équipe du Maroc, ont rappelé que l’opinion des populations n’est pas nécessairement en phase avec celle des dirigeants. La cause palestinienne reste donc bien une préoccupation pour le citoyen arabe.
Cette piqûre de rappel et l’exacerbation des tensions consécutives à l’installation du gouvernement Netanyahou VI peuvent-elles modifier l’appréhension du conflit? «Les pays arabes se montrent inquiets de cette évolution, décrypte Bichara Khader. Une frappe israélienne contre les installations nucléaires iraniennes mettrait la région à feu et à sang. L’ annexion formelle des territoires palestiniens serait considérée comme une trahison par les pays qui ont normalisé leurs relations avec Israël. Et une répression sauvage dans les territoires palestiniens dresserait davantage les populations arabes contre leurs dirigeants.»
«Les pays occidentaux ont leur part de responsabilité dans l’évolution politique en Israël, complète le professeur émérite de l’UCLouvain. La complicité américaine, la complaisance européenne ont donné à Israël un sentiment d’impunité. On l’a trop choyé, gâté. On a trop fermé les yeux sur sa politique d’apartheid. On a criminalisé la politique de boycott à son égard et on a trop exalté «les valeurs communes», tout en condamnant du bout des lèvres sa politique de colonisation et de répression, de sorte qu’Israël est devenu presque intouchable.» Avec un gouvernement aussi extrémiste, la communauté de valeurs entre les démocraties occidentales et la démocratie israélienne risque d’en être d’autant plus réduite. Pareil constat justifierait a minima un examen de conscience des dirigeants européens.
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