Otan
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« Face à une Russie agressive, aucun pays européen n’est prêt » : pourquoi le déploiement géant de l’Otan est plus qu’un simple exercice

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’Otan montre les dents : avec ses 90.000 soldats mobilisés, l’Alliance compte s’exercer pour anticiper une potentielle guerre directe avec la Russie. Une initiative nécessaire, estime Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire (ERM). «L’interopérabilité des armées européennes pose problème. »

Le plus important “depuis des décennies”. L’Otan montre les muscles avec l’annonce d’un exercice de grande ampleur, baptisé Steadfast Defender. Etalé sur plusieurs mois, il commencera dès la fin janvier, s’étalera jusqu’en mai, et impliquera pas moins de 90.000 militaires, dont des Belges. Ce nombre étonne d’abord par sa grandeur, puisque les précédents chiffres évoquaient plutôt un rassemblement de 40.000 hommes. La mise est donc plus que doublée.

« Ce sera une démonstration claire de notre unité, de notre force et de notre détermination à nous protéger les uns les autres », s’est félicité le commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur), le général américain Christopher Cavoli.

Otan : à quoi ressemblera cet exercice de grande ampleur ?

L’ampleur de l’exercice pourrait surprendre à première vue. « Mais plusieurs facteurs l’expliquent, réagit Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire (ERM) et économiste spécialisé dans la Défense. Depuis quelques mois, prolonge-t-il, nous sommes dans une situation assez comparable à celle de la guerre froide. A la différence que nous ne sommes pas du tout préparés ».

C’est dans cette optique d’organisation que l’Alliance atlantique souhaite mettre en place une nouvelle force d’intervention, composée de 300.000 soldats capables d’être mobilisés à 100% en 30 jours. « Mais nous sommes très loin de cet objectif puisque la plupart des armées européennes, pour ne pas dire toutes, ont diminué leurs forces -composantes, personnel, matériel, stocks- de façon drastique, critique Wally Struys. Depuis le début de l’invasion russe, nous essayons de les reconstruire, mais à un rythme trop lent. Car parallèlement, nous fournissons une partie de ces stocks aux Ukrainiens », explique-t-il.

Nous sommes dans une situation assez comparable à celle de la guerre froide. A la différence que nous ne sommes pas du tout préparés.

Wally Struys

L’exercice annoncé en grande pompe devrait engendrer des mouvements de troupes venues d’Outre-Atlantique, dont une partie devrait transiter par la Belgique. Selon des sources militaires, le scénario de Steadfast Defender est celui d’une attaque déclenchée par la Russie, qui entraînerait l’activation de l’article 5 du traité fondateur de l’Otan. Celui-ci stipule qu’une attaque contre un allié serait considérée comme une attaque contre tous.

Exercice Otan: quel but ?

« C’est le genre d’exercice qui était également réalisé pendant la guerre froide », retrace Wally Struys, qui souligne leur grande utilité, étant donné l’inexistence d’entrainement qui implique toutes les armées européennes, en même temps. « On a déjà assisté à des exercices Otan avec quatre ou cinq participants, mais pas plus. Le problème est toujours le même, à savoir l’interopérabilité des armées européennes. D’un Etat à l’autre, le matériel et les méthodes diffèrent. On n’a pas assez l’habitude de travailler ensemble dans le cadre d’une grande opération défensive », avance-t-il.

L’expert défense rappelle en outre que les Russes, en économie de guerre, ont en partie résorbé leur retard logistique « pas qualitativement, mais quantitativement », alors que l’Europe est toujours au ralenti.

Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, n’y va pas par quatre chemins. Il estime que l’Otan « doit se préparer à ce que Vladimir Poutine puisse un jour attaquer un pays membre ». Il est urgent, selon lui, « de rapidement renforcer les capacités de défense » de l’Allemagne, dit-il dans le journal Tagesspiegel. « Nous entendons des menaces du Kremlin presque tous les jours envers nos amis des pays baltes ». Si la probabilité que la Russie s’en prenne à un membre de l’Otan est grande, selon lui, cela ne devrait pas arriver avant « cinq à huit ans ».

Le problème est toujours le même, à savoir l’interopérabilité des armées européennes. D’un Etat à l’autre, le matériel et les méthodes diffèrent. On n’a pas assez l’habitude de travailler ensemble dans le cadre d’une grande opération défensive.

Wally Struys

En France, la même inquiétude résonne. « ll n’y a pas d’alternative à une artillerie moderne, nous devons continuer nos efforts et augmenter notre production de munitions », martèle le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, qui a par ailleurs promis l’envoi de douze nouveaux canons Caesar à l’Ukraine. Le Colonel Michel Goya, sur LCI, rappelait sans filtre que la France était « à poil » militairement parlant.

Les exercices Otan ont diminué de fréquence « car nous étions en pleine période de ‘paix chaude’, rappelle Wally Struys. Personne ne pensait qu’une guerre pareille pouvait encore surgir en Europe. Ces exercices ont donc été mis de côté car ils sont très coûteux. »

Quels investissements pour la Belgique ?

Selon la ministre belge de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), l’armée belge participera à cette grande répétition avec « plusieurs centaines de militaires dans les domaines terrestre, aérien et maritime et avec le Special Operations Regiment (SOR, une unité d’élite rassemblant les para-commandos et les force spéciales, NDLR.) dans le cadre d’un exercice américain situé dans l’un des pays baltes », annonce-t-elle.

Pour le budget belge, soutenir des exercices de ce type coûte cher, relève Wally Struys. « Entre 1983 et 2019, le budget alloué à la Défense a fortement diminué. Il a été relevé avec le plan STAR, avant de stagner à nouveau depuis cette année. Et ce alors que tous les autres pays sont en train d’augmenter leurs investissements de façon importante ».

C’est un fait : la contribution financière de la Belgique pour sa Défense est l’une des plus faibles de l’Otan, avec à peine 1,1% du PIB national investi pour les forces armées -un minimum de 2% étant demandé aux membres de l’Alliance. Sur les 31 membres, seul le Luxembourg fait pire avec 0,7%. Pour 2024, Ludivine Dedonder vise les 1,24%. A titre comparatif, la Pologne, première, est à 3,9%. Le Royaume-Uni et la France, en milieu de classement, pointent respectivement à 2,1% et 1,9%.

Un retard de 35 ans

« Le plan STAR de la ministre Dedonder (voté avant le début de la guerre) était une très belle initiative à tous les points de vue -personnel, matériel et surtout financier- mais il n’est qu’un rattrapage de tout le retard qui a été accumulé pendant 35 ans. Et cette mise à niveau ne sera terminée qu’en 2030 », précise Wally Struys.  

Pour faire face aux nouveaux besoins et s’aligner sur nos voisins, il faudrait un « Plan STAR + », plaide le professeur de l’ERM. « On entre en campagne électorale, mais le prochain gouvernement devra s’y atteler sans perdre de temps. »

On doit se préparer à une guerre. Aucun pays européen n’est prêt.

Wally Struys.

Car, dans l’état actuel des choses, « personne n’est suffisamment armé pour tenir dans un vrai conflit. Les autres pays européens ne sont pas aussi mal en point que la Belgique, car la diminution de leur effort militaire a commencé plus tard, mais face à une Russie agressive, la plupart des pays européens ne sont pas prêts. La reconstruction militaire ne se fait pas en un an », estime encore Wally Struys.

Plus qu’un simple exercice ?

Reste à savoir si cet exercice XXL vise réellement à se préparer à une guerre directe, ou plutôt à réaliser une démonstration de force à Vladimir Poutine pour le dissuader d’aller plus loin. Pour Wally Struys, l’Otan vise ces deux objectifs simultanément. « On doit se préparer à une guerre. Mais d’un côté, les Russes ont aussi sous-estimé les Européens. Poutine ne s’attendait pas à ce que l’Europe ose apporter un tel soutien à l’Ukraine. L’exercice est donc aussi un signal qui dit ‘N’attaquez pas un pays membre de l’Otan », en particulier sur la façade est de l’Europe, ou même un pays non-membre comme la Moldavie, qui est probablement la prochaine sur la liste de la Russie. »

Sans les USA, l’Europe déplumée ?

En toile de fond, la crainte d’un retrait américain plane à mesure que Trump se rapproche potentiellement d’un second mandat. Mais selon Wally Struys, cette interrogation ne doit pas être imputée uniquement à un potentiel retour de Trump et/ou des Républicains au pouvoir. « En 2013 déjà, Obama affirmait que l’Europe n’était plus la priorité numéro 1 des USA. Et de fait, ils ont depuis retiré une partie de leurs forces présentes sur le vieux continent, car leurs intérêts sont davantage portés sur le Moyen-Orient et l’Asie. Depuis les attentats terroristes en 2015-2016, on a constaté un léger retour. Mais même Biden, au début de son mandat, avait annoncé vouloir diminuer son soutien à la sécurité européenne si aucun effort n’était fait de notre côté. »

Ainsi, la tendance d’une Europe livrée à elle-même pour assurer sa Défense semble se renforcer. Et pour ne pas se retrouver déplumée, elle devra à tout le moins se coordonner. Avec Steadfast Defender pour servir de décapsuleur ?

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