Zidani : L’art de vivre
Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : l’humoriste et comédienne Zidani.
Sex sans bol. Arlette. Zida-Diva. Quiche toujours . Autant de rôles pour lesquels Zidani se couvre soit de paillettes, soit de robes un peu tartes pour mieux balancer des portraits de gens qui vous croquent une société sans tomber dans le cliché. Mais ce matin, c’est juste Sandra qui nous reçoit. Chez elle, entourée de ses chats. Une jolie maison non loin du centre de Bruxelles, un beau salon où des feuilles d’aluminium sont posées sur les fauteuils pour éviter que Salomon et Joséphine, trente ans à eux deux, ne s’y vautrent. Ici, on aime l’art, les tableaux et la sculpture, enfin, surtout les portraits et les petites boîtes protégées par du plexiglas et posées dans bien des coins. » Ina Lichtenberg, c’est une artiste que j’adore, j’en ai plein « , lâche l’humoriste, gros matou dans les bras. » Elle a perdu sa famille dans les camps, elle ne connaît que très peu son histoire, donc chaque boîte qu’elle crée est une tentative de construction de sa mémoire. »
D’emblée, il se ressent que Sandra Zidani est quelqu’un qu’on trouve souvent là où on ne l’attend pas. » Je ne suis pas sinistre mais j’aime les choses sérieuses « , confie-t-elle à propos des oeuvres d’art qui sont disposées dans le salon, avant d’enchaîner naturellement sur la Shoah dès 9 heures du matin. Elle étonne aussi quand elle nous ouvre une cuisine où un petit déjeuner royal a été dressé pour deux. Une table pleine d’attentions : du beurre tendre, des fruits exotiques déjà épluchés, du fromage et des petits pains. Il y a aussi un grand craquelin et du pain d’épeautre. » Je trouvais ça plus sympa « , dit-elle en enchaînant les cafés, près d’un frigo orné de magnets-tableaux parfaitement alignés. Un univers riche mais subtil, plus profond que drôle, plus généreux qu’exubérant et un accueil sincère mais un brin méfiant tout de même ; bref, le genre » chat » et pas » chien « .
La fille de l’Algérien
Sans forfanterie, Zidani révèle que l’exercice du Renc’art fut » très compliqué « , elle y a presque passé une journée. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle n’a pas fait l’école du rire ou de la scène, encore moins le conservatoire mais des études d’histoire de l’art à l’ULB. Et puis, elle peint aussi. Plutôt bien à en juger par les quelques portraits accrochés aux murs blancs.
Alors, pour sa sélection, elle a décidé de jouer le jeu à fond ! Dans celle-ci, en effet, toutes des oeuvres qu’elle apprécie mais qui la relie aussi intimement à son histoire, comme autant de petits fils rouges. Et c’est après avoir proposé croissants ou pains au chocolat qu’elle s’empare d’une couque suisse et dévoile que de tous les tableaux qu’elle a choisis, celui qui compte le plus à ses yeux reste La Ronde de nuit, de Rembrandt. Une toile » pas facile » au premier abord et qu’elle a découverte ado au Rijksmuseum, à Amsterdam, grâce à un voyage à vélo organisé par l’école. Premier musée, premier tableau et l’un des premiers voyages scolaires aussi. » Tout ce qui me constitue s’est noué à l’école, l’art et les musées mais également le théâtre et les spectacles de fin d’année. » C’est une professeure fana du sixième art qui fait réaliser à cette enfant de 9 ans son potentiel scénique en la faisant monter sur scène en fin d’année. Comme pour beaucoup d’humoristes, sa seule présence fait déjà rire le public, même dans les rôles tragiques. Sur scène, Zidani oublie alors ses origines, » pas faciles à l’époque « , de fille d’un papa Algérien musulman et d’une maman Flamande et catholique. » Dans la famille de ma mère, j’étais la fille de l’Algérien. De celle de mon père, je ne savais rien. Il refoulait ses origines et la très grande pauvreté qu’il avait connue enfant. Pour moi, la scène, c’était le seul endroit où je pouvais exister sans avoir de nationalité. »
Revenant à La Ronde de nuit, Zidani raconte que c’est en rentrant de ce voyage amstellodamois qu’elle a acheté son premier livre d’art avant de l’étudier par coeur et d’investir ensuite dans une toile et des pinceaux. » Avec sa main tendue à l’avant-plan, j’avais le sentiment que le personnage central m’invitait à pénétrer son monde, j’ai accroché immédiatement. Puis, j’ai appris que pour Rembrandt, c’était le tableau de la rupture ; après celui-là, ses affaires ont périclité car il refusait de se soumettre à ses commanditaires pour n’en faire qu’à sa tête. Ensuite, sa femme est tombée malade, il avait beaucoup de dettes et on a fini par tout lui prendre ; jusqu’à sa collection de tableaux. »
Rembrandt, un des seuls artistes pour lesquels l’humoriste affirme être capable de faire un voyage rien que pour voir une de ses toiles. » C’est fou et c’est complètement magique car rien n’explique pourquoi un dialogue se noue entre un spectateur et un tableau. Sans compter notre besoin ontologique de reconnaissance par les autres. Chacun a sa manière, on aimerait tous bien être comme Rembrandt. » La sérénité de vivre, relève-t-elle alors, une sérénité qu’ont les animaux et qui nous fait cruellement défaut. Et atterrissant sur Rembrandt, Zidani déclare être très admirative par son intégrité : toute sa vie, le peintre a refusé de compromettre son art ou de le sacrifier sur l’autel de l’argent. » Jusqu’au bout, il est resté sincère à l’égard de son oeuvre, quitte à crever dans la misère. A ce titre, c’est un modèle ! »
Sandra a ensuite opté pour cette toile de David Hockney représentant les parents de l’artiste en 1975. Enfant unique, Zidani n’a pas grandi dans la religion, encore moins dans la connaissance de son autre pays, l’Algérie. Des parents autodidactes qui tenaient un restaurant à Anderlecht et qui l’ont toujours laissée faire ce qu’elle voulait. Comme des études à l’ULB alors que sa mère lui avait trouvé une place de caissière chez Delhaize, grâce à sa copine, la coiffeuse qui travaillait juste à côté du restaurant. Et puis, il y a le décès de son père, une crise cardiaque, sans crier gare. Elle a 21 ans.
La mort pour scénario
Alors ce tableau, c’est autant pour David Hockney, » le plus moderne des contemporains » que pour la représentation des parents de l’artiste séparés par l’image de l’enfant qui se reflète dans le miroir. » Il a peint ses parents comme s’ils étaient déjà morts. Curieusement, c’est l’image que j’ai gardée des miens depuis leur décès. Peut-être parce que, en mourant, ils se figent dans le passé pour ne plus être que le souvenir que j’ai d’eux. » La mort, vaste sujet, que l’humoriste glisse dans tous ses spectacles. La mort, elle l’habite depuis toujours, alors la scénariser c’est sa manière à elle de l’apprivoiser : » Perdre les gens qu’on aime, c’est terrible, surtout ses parents. Car ce sont eux qui vous lient à la vie et à la mort, ce sont eux qui vous donnent un âge et qui vous regardent toute votre vie comme un enfant. Personne d’autre au monde ne pourra vous rendre ça… » La mort, qui n’a jamais été loin, comme lorsque, à 20 ans, Sandra doit faire face au meurtre de son cousin avec lequel elle avait grandi. » On n’a jamais vraiment su pourquoi ses copains l’avaient assassiné, ce fut un énorme choc ! J’ai commencé à me poser beaucoup de questions métaphysiques et c’est en découvrant le protestantisme que l’agnostique que j’étais a décidé de se convertir. » Si le papa prend plutôt les choses bien, la maman en fait une maladie ; l’occasion pour Zidani et son père d’apprendre que la mère avait fait baptiser la petite par un prêtre catholique à la maternité, en cachette.
Réalisant, au sortir de ses études, qu’il serait très dur de vivre uniquement de la scène, Sandra accepte un remplacement comme professeure de religion protestante avant de poursuivre en parallèle un cursus d’histoire des religions. Quatre mois à l’origine. Qui dureront en réalité dix ans. Jusqu’à ce que le succès de ses spectacles ne l’oblige ou lui permette de choisir la scène. » Depuis toujours, je voulais être humoriste, je voulais être reconnue et célèbre. Finalement, sur mon chemin, j’y ai trouvé bien plus de choses intéressantes que la destination que je m’étais fixée. » Avec la disparition de son père, puis celle de sa mère, ce sont les chances de connaître l’autre moitié de son histoire, l’Algérienne, qui ont disparu. Il lui faut dès lors attendre 2007 pour que, par le plus grand des hasards, un cousin algérien se retrouve embarqué par sa petite copine au spectacle de Zidani, un soir, à Liège. En coulisses, il lui promet de l’emmener et de lui présenter toute sa famille. La boucle se boucle enfin. Une expérience qu’elle met en scène dans Retour au pays. Un spectacle sur la recherche d’identité mais traitée de manière originale à travers l’histoire de cette femme de 40 ans terrifiée à l’idée de mettre un pied dans un pays qu’elle ne connaît qu’à travers les attentats.
Les radeaux du courage
Elle ne se lasse pas non plus d’admirer Le Radeau de la Méduse, le célèbre tableau de Géricault. Souvent d’ailleurs, elle va lui rendre visite au Louvre et à chaque fois, elle y repère de nouvelles choses et de nouveaux détails. » Aujourd’hui, quand je le regarde, je pense aux migrants : abandonnés en pleine mer, livrés à eux-mêmes, sans que personne ne s’en préoccupe. » Zidani évoque ce réfugié malien qui, à Paris, au mépris de sa vie, a grimpé sur la façade d’un immeuble pour sauver un enfant. » Pour arriver à ce degré de bravoure, il faut avoir soi-même vécu des choses terribles, comme la traversée d’une mer sur un radeau. »
Deux heures plus tard, Sandra et Zidani ont toujours le chat dans les bras. A la rentrée, la seconde reprendra au 140 son spectacle Arlette, l’ultime combat, ou l’histoire d’une directrice d’école qui vient de se faire plaquer pour une plus jeune et qui décide de partir en Syrie rechercher Rachid, un élève difficile et dont elle refuse de voir gâcher sa vie. L’amour à part (Sandra Zidani vit heureuse en couple depuis une quinzaine d’années), il y a pas mal d’elle dans ce personnage : l’école, l’engagement et l’attention portée aux autres mais avec l’humour en plus. » D’ailleurs, l’art, c’est avant tout une manière de se réconcilier avec la vie. Moi, c’est une des seules choses qui me retapent. »
Rembrandt van Rijn (1606 – 1669)
Né en Hollande, pays ô combien protestant, le peintre ne peut – comme ses confrères vivant dans des pays catholiques – bénéficier de commandes d’Eglise ou de son souverain, nettement plus porté sur la guerre que sur la peinture. Qu’à cela ne tienne ! Il se professionnalise dans le portrait de bourgeois et rencontre rapidement la gloire. Caractère bien trempé, collectionneur très dépensier, il mène une vie rythmée par des périodes de grande flamboyance et de catastrophes en série. Rembrandt connaît ainsi la ruine et le désamour du public. Pourtant, l’artiste est sans conteste l’un des plus grands virtuoses du clair-obscur et capable d’exprimer » la vérité de la vie « .
Sur le marché de l’art. Beaucoup d’oeuvres disponibles pour cette star des musées. Des peintures (de moindre qualité, il est vrai) peinent à trouver acquéreur à 10 000 euros, d’autres se négocient à 30 millions. Beaucoup d’estampes à moins de 5 000 euros. Une énigme. A l’image de sa personnalité.
David Hockney (1937)
Il se situe lui-même à l’extrême périphérie du pop art, sans doute en raison de son engagement inconditionnel en faveur de la figuration et malgré quelques incursions dans le monde de l’abstraction. Car le britannique David Hockney est avant tout un peintre formé au classicisme de l’académie et qui se plaît à projeter son univers, ainsi que celui de ses proches, dans nombre de ses toiles. Homosexualité, famille, parents, portraits ou autoportraits : son matériel est ouvertement autobiographique mais se construit tant dans la recherche de nouveaux univers (le théâtre, l’opéra ou la Californie) que de nouvelles techniques (acrylique, laser, fax, dessin à l’iPad). Des périodes très contrastées, un succès jamais démenti.
Sur le marché de l’art. Ses oeuvres s’arrachent comme des petits pains, version or massif. Comme ce grand format créé en 1990, qui s’est envolé pour plus de 21 millions d’euros en 2018. 100 euros investis en 2000 en valent aujourd’hui presque 240.
Théodore Géricault (1791 – 1824)
Considéré comme le premier des peintres romantiques français, il n’en est pas moins le trait d’union entre deux des plus grands peintres de son époque : le néoclassique Jacques-Louis David, qui le précède, et le plus grand des romantiques, Eugène Delacroix, qui lui succèdera. Passionné de chevaux, il démarre sa carrière chez le peintre équestre Carle Vernet et se fait remarquer au Salon de Paris. Engagé auprès des troupes de Louis XVIII, il quitte la France pour l’Italie, où il finit par perfectionner son art au contact des oeuvres de Michel-Ange et de Raphaël. C’est à son retour qu’il attaque sa célèbre toile, dont le sujet – le naufrage de La Méduse – avait défrayé l’actualité. Pour le traiter, il n’hésite pas à faire venir des cadavres de la morgue pour mieux traduire la putréfaction des corps. A ce titre, il préfigure déjà les réalistes. En parallèle, il poursuit ses recherches en peinture animalière et tâte avec talent du paysage. Il meurt à 32 ans, d’une chute de cheval. Un destin somme toute, très romantique.
Sur le marché de l’art. Un record à plus de huit millions d’euros en 2009, de beaux résultats pour certains tableaux qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros mais aussi des toiles qui trouvent acquéreur pour 30 000 euros.
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