Franklin Dehousse
Vive la démocratie européenne! (chronique)
Qatargate et corruption au Parlement, manque de transparence à la Commission ou à la Cour des comptes : l’image des institutions européennes est plutôt pourrie. Ce n’est pas une raison pour les abandonner. Il faut au contraire les contrôler davantage, pour accroître leur efficacité.
Après ses nominations trafiquées, ses récentes perquisitions éclairent la corruption du Parlement européen, où règne le lobbyisme. La Commission européenne maintient une opacité sur ses contrats de vaccins et les SMS de sa présidente au dirigeant de Pfizer. Le président du Conseil européen a conservé des activités dans le financement de son parti. Celui de la Cour des comptes s’absente au bénéfice de ses activités politiques. Pratiques chaque fois abritées derrière une jurisprudence européenne toujours plus néfaste à la transparence. L’ image véhiculée par les dirigeants européens est plutôt pourrie.
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Aussi, une partie croissante du public, et notamment des jeunes, réclame un régime autoritaire (lire La Fracture, par Frédéric Dabi avec Stewart Chau, Les Arènes, 2021, ou l’étude du Pew Center, datée du 27 mai 2022). La déstructuration de la société occidentale commence à évoquer furieusement celle des années 1930. Pourtant, la conclusion de cette période n’ offre guère de publicité positive aux dictatures. Les photos de Berlin et de Tokyo en 1945 révèlent des pays pulvérisés, ramenés 75 ans en arrière.
Cela n’a d’ailleurs pas changé depuis lors. Quel est le bilan humain, économique et social de l’URSS en 1991? De Saddam Hussein en Irak? Des talibans en Afghanistan? De la succession des Kim en Corée du Nord? Les amoureux de la dictature, en général peu éduqués, s’imaginent qu’ils appartiendront à sa minorité privilégiée. L’histoire, qu’ils ignorent, enseigne l’inverse. On se demande ce qui leur plairait le plus. Se retrouver sur le front ukrainien, sans armes et sans médicaments dans les bataillons de Vladimir Poutine? Se faire brûler vif dans les lockdowns de Xi Jinping? Ou se faire tuer dans les prisons des ayatollahs?
Après 1945, l’Europe a multiplié les barrières de protection de la démocratie: les cours constitutionnelles, la Convention européenne des droits de l’homme, et, finalement, l’Union européenne. C’est ce qui vaut aux pays occidentaux, depuis presque quatre-vingts ans, une paix et une prospérité sans précédent dans leur histoire.
Certes, l’image des institutions européennes se dégrade. Nos sociétés arthritiques et narcissiques engendrent des dirigeants carriéristes et nombrilistes. Année après année, on y cherche en vain un Monnet et un Hallstein, un Spaak et un Delors, un Adenauer et un de Gaulle, ou un Martens et un Dehaene. Même dégénérescence dans les Etats membres. Pour la Belgique, il suffit d’évoquer les scandales de pollution en Flandre, Publifin et le parlement wallon, ou les truandages (protégés par les parlementaires) de l’autorité des données personnelles, sans mentionner les innombrables records de mauvaise gestion.
Partout, nos institutions s’engluent dans la médiocrité de gestion et les arrangements de coulisse. Cependant, il n’y a pas là une raison de les abandonner, mais au contraire de les contrôler davantage, pour accroître leur efficacité. La démocratie n’a jamais été un système simple, ordonné ou facile. La démagogie remonte à la Grèce antique, la corruption aux bourgs pourris du parlementarisme britannique. Et ce sont les électeurs démissionnaires qui font les élus décadents. La conclusion de Churchill, toutefois, demeure plus que jamais: «La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres.»
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