Vers une taxe sur les transactions financières en 2021? (débat)
A la faveur de la crise de la Covid et de la grève de la faim du député européen Pierre Larrouturou, la taxe sur les transactions financières a refait parler d’elle. 2021, l’année de la TTF? Pour Pierre Larrouturou, le lobby bancaire résiste. Selon Rodolphe de Pierpont, cette taxe serait risquée en Belgique.
Pierre Larrouturou: « Les lobbys peuvent faire perdre beaucoup de temps »
2021 pourrait être l’année de la TTF, mais le lobby bancaire résiste.
Votre grève de la faim et vos sept kilos perdus ont été très médiatisés. Mais cela a-t-il eu un impact sur le plan politique?
Cela a permis de faire connaître les enjeux de la taxe sur les transactions financières (TTF) à un large public. Après les nombreuses interviews que j’ai données, cinq responsables allemands de haut niveau ont reconnu que mes arguments, pour défendre le projet initial de José Manuel Barroso (lire l’encadré ci-dessous), étaient intéressants. Enfin, dans l’accord pour le budget pluriannuel dont a accouché le dernier Conseil européen des chefs d’Etat, il y a une note de la Commission – et mes discussions avec des commissaires n’y sont pas étrangères – disant que si l’on parvient à finaliser la TTF en coopération renforcée d’ici à 2022, elle proposera de transférer les recettes de cette taxe au budget européen en tant que ressource propre.
Ce qui signifie?
Que les pays qui adopteront le projet de TTF ne devront pas rembourser leur quote-part pour le plan d’urgence européen Next Generation de 750 milliards d’euros. La Belgique, par exemple, ne devrait pas verser les 17 milliards qu’elle s’est engagée à rembourser sur trente ans.
C’est une belle carotte, ça?
Oui, d’autant que la TTF servira aussi à financer le Green Deal ou Pacte vert européen pour la transition vers une société sans carbone. Ainsi, les familles belges qui voudront mieux isoler leur maison recevront d’importants subsides grâce au budget européen alimenté par la TTF.
Sur quelle version de la TTF se base la Commission? Celle à 57 ou celle à 3,5 milliards?
C’est encore flou à ce stade, je le reconnais. Mais, en toute logique, la négociation renforcée lancée dès 2013 se fondait sur la proposition initiale de la Commission Barroso, à 57 milliards. D’ailleurs, le ministre autrichien des Finances a affirmé que son pays se basera sur la proposition originale, incluant les transactions sur actions, obligations et produits dérivés, et que si la version française très allégée l’emporte, il se retirera des négociations. En France, plusieurs ministres, et de plus en plus de députés d’En Marche, font pression sur le président Macron pour qu’il adhère à la « grande » TTF, justement parce que cela permettra de rembourser Next Generation et de financer le Green Deal. Je suis aussi désormais soutenu par des personnalités de droite comme Xavier Bertrand. Les choses bougent.
Vous avez dénoncé l’influence du lobby bancaire sur le ministre français des Finances Bruno Lemaire. C’est vrai aussi ailleurs qu’en France?
Le lobby bancaire dans l’Hexagone était justement une des causes principales de la démission de Nicolas Hulot du gouvernement d’Edouard Philippe, en 2018. Aujourd’hui, quand Bruno Lemaire dit qu’il compte sur le retour de la croissance et une réforme des retraites pour rembourser les milliards du plan d’urgence européen, c’est insensé. Toucher aux retraites dans le contexte actuel, quand on sait que la pension moyenne est de 1 400 euros par mois et le salaire moyen d’un trader de 26 000 euros, c’est mettre le feu au pays. Vous savez, les deux lobbys les plus puissants dans le monde sont les banques et les compagnies pétrolières et ils peuvent faire perdre beaucoup de temps. Un journaliste du New York Times a démontré, dans un livre récent, comment le lobby pétrolier avait retardé de quarante ans la lutte contre le réchauffement climatique.
Pourquoi les banques craignent-elles la TTF, selon vous?
Je ne sais pas, c’est incompréhensible. Le but n’est pas de les écraser. Lorsque Franklin Roosevelt a séparé les activités bancaires et imposé les grandes fortunes, après la crise de 1930, les banquiers disaient que le président américain était un communiste qui allait tuer le pays… C’est le contraire qui s’est passé. José Manuel Barroso, qu’on ne peut soupçonner d’être de gauche et antibanques (NDLR: il a été engagé par Goldman Sachs après son départ de la Commision européenne) a écrit noir sur blanc qu’il était légitime de demander un petit effort aux banques qui avaient bénéficié de 4 000 milliards d’aide pour traverser la crise de 2008. Il est logique que tout le monde contribue à l’effort collectif.
Rodolphe de Pierpont: « Une taxe très risquée pour un petit pays comme la Belgique »
Si les banques ne veulent pas de la TTF, c’est parce que cette taxe serait contre-productive, risquée même pour la Belgique.
Les banques belges sont-elles opposées à la TTF?
Sur la proposition actuelle, celle de la Commission Barroso, oui, c’est clair. D’abord parce qu’il s’agirait d’une taxe aveugle, c’est-à-dire sur tout ce qui se passe sur les marchés financiers. Ensuite, parce qu’il n’y a pas unanimité sur le projet même, mais une coopération renforcée de quelques Etats. On créerait donc deux zones différentes au sein de l’Union. C’est en contradiction avec le projet d’union bancaire et des marchés des capitaux. Et cela risque de poser de gros problèmes pour la Belgique qui est un petit pays à l’économie très ouverte, donc en interaction forte avec ses voisins directs dont deux – les Pays-Bas et le Luxembourg – ne sont pas favorables à la TTF.
S’il est utile de lutter contre la spéculation, l’arme fiscale n’est pas le meilleur moyen pour y parvenir.
Mais l’unanimité des Vingt-Sept est difficile à atteindre.
C’est vrai, je le reconnais. Pourtant, si les Vingt-Sept n’avancent pas ensemble sur ce genre de programme fiscal, cela reviendra à se tirer une balle dans le pied. En outre, le rendement annoncé de la taxe a été calculé à partir d’une projection statique, sans considérer des changements de comportement et des déplacements géographiques. Pas certain donc que ce rendement correspondra à la réalité. Sans parler du Brexit, la City de Londres étant la plus grande place financière du monde.
Une taxe de 0,1%, cela ne paraît pas beaucoup. Trop pour les banques?
C’est effectivement, a priori, un petit pourcentage. Mais, dans de nombreux cas, cela peut coûter cher lorsqu’il y a des opérations en cascade, pour un fonds de pension, par exemple, qui doit faire des opérations d’achats-ventes régulières, à des fréquences parfois rapprochées, afin de sécuriser ses investissements. On va mettre du sable dans les rouages, alors que les marchés financiers doivent fonctionner de manière bien huilée pour assurer les investissements qui peuvent s’avérer importants pour l’activité économique.
Au départ, la TTF est destinée à lutter contre la spéculation financière. Utile?
Il est difficile de définir ce qu’est la spéculation. Où se trouve la limite entre jouer en Bourse et investir de manière productive? En tout cas, si l’on juge utile de lutter contre la spéculation pour prévenir les comportements à risque et les bulles financières, l’arme fiscale n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir. Il vaut mieux jouer sur la régulation, comme on l’a fait ces dix dernières années.
Exempter du remboursement du plan d’urgence de l’UE les pays qui souscriront à la taxe, n’est-ce pas un bon argument?
C’est un jeu politique pour amadouer les Etats avec des arguments budgétaires, mais ce n’est pas comme cela qu’on fait une politique qui a du sens. Ce dont on a besoin pour la relance, ce sont des investissements. Il va y avoir un besoin de financements et de crédits tant pour les secteurs privé que public. On parle de milliards d’euros. Or, ce sont les marchés financiers qui font le lien entre investisseurs et projets à financer. Leur imposer une nouvelle taxe serait contre-productif.
La TTF n’est-elle pas un juste retour des choses, après le renflouement des banques en 2008?
Certaines banques ont été aidées, individuellement. Les plus grosses certes, mais pas toutes. Ce n’était donc pas une opération structurelle comme le serait la taxe. Et c’était avant tout pour protéger les épargnants. On oublie que ces aides d’Etat ont été cher payées par les banques concernées: KBC a remboursé deux fois le montant reçu. Je sais que c’est un argument avancé par Pierre Larrouturou. Mais je trouve le député trop dogmatique, pas assez pragmatique, cela dit sans juger de ses intentions qui sont sans doute très bonnes.
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