Italie: pourquoi l’extrême droite de Giorgia Meloni a remporté les élections (analyse)
Giorgia Meloni et Fratelli d’Italia ont remporté les élections, dimanche, en Italie, et se préparent à diriger le gouvernement. Comment l’extrême droite en est arrivée là ? Une conséquence du discrédit qui frappe les autres familles politiques.
Le contexte
Une coalition de droite rassemblant la droite radicale de Fratelli d’Italia et de la Ligue et la droite conservatrice de Forza Italia a remporté les élections législatives du 25 septembre. Comme Fratelli d’Italia est devenu la première formation politique de la Péninsule, sa leader Giorgia Meloni devrait endosser la charge de Première ministre.
Elle est le symbole d’un pays qui se métamorphose, d’un paysage politique en plein tumulte, d’une vision et d’une rhétorique nationalistes qui semblaient révolues. Comme le laissaient pressentir les sondages, 25% des électeurs italiens ont fait, ce dimanche 25 septembre, le choix de la droite radicale incarnée par Giorgia Meloni, leader du parti Fratelli d’Italia (FdI). Cette Romaine de 45 ans pourrait donc devenir la première femme à diriger un gouvernement italien et remplacer, ainsi, le président du Conseil démissionnaire, Mario Draghi, au palais Chigi. Pour certains, cette femme au regard enflammé et au verbe tranchant représente le scénario du pire, pour d’autres, la revanche d’un pays qui ambitionne de défendre, de façon plus vigoureuse et décomplexée, ses intérêts nationaux, ses entreprises et ses frontières.
Fratelli d’Italia partage les mêmes valeurs que les Tories britanniques, le Parti républicain américain ou encore le Likoud israélien.
Dès la chute de Mario Draghi, chef de l’exécutif depuis février 2021, trahi, en juillet dernier, par trois des principales forces de son hétéroclite majorité, Giorgia Meloni a lancé sa campagne électorale sous le slogan «Prêts à relever l’Italie». Elle attendait ce moment depuis environ 17 mois. Contrairement à toutes les autres grandes formations politiques, elle avait refusé, au début de l’année dernière, de participer au gouvernement d’unité nationale dirigé par l’ancien patron de la Banque centrale européenne. Une «course en solitaire» dans l’opposition qui s’est avérée extrêmement fructueuse. Aux élections législatives de 2018, FdI, fondé il y a dix ans, n’avait remporté que 4,3% des voix.
Giorgia Meloni, une ambition dévorante?
Giorgia Meloni deviendra-t-elle Première ministre ? Elle le revendiquait déjà avant les élections. «Si la droite devait remporter ce scrutin et FdI prévaloir, je ne peux imaginer que le président de la République, Sergio Mattarella, choisisse un autre candidat que moi pour diriger le futur gouvernement italien», avait-elle lancé, avant de préciser: «Je suis prête à assumer cette responsabilité, mais je ne le ferai pas le cœur léger. Personne ne peut revêtir ce rôle sans que ses mains ne tremblent de peur.» A ceux, notamment dans le camp de la gauche, qui lui reprochent d’afficher une ambition et une impatience dévorantes ainsi qu’une inquiétante soif de pouvoir, elle laisse entendre, sans se décontenancer, que cela fait déjà trente ans qu’elle se prépare à ce couronnement. Abandonnée par son père, Giorgia Meloni plonge dans la politique dès ses 15 ans, en adhérant au Front de la jeunesse du Mouvement social italien (MSI), un ancien parti d’extrême droite. C’est alors que le militantisme devient une seconde nature et la politique une sorte de nouvelle famille.
Lire aussi | Elections en Italie : l’extrême droite victorieuse
Si cette pasionaria de la droite n’est certainement pas une dilettante, elle est souvent accusée d’extrémisme. Francesco Boccia, député du Parti démocrate (PD), pilier du centre-gauche et principal adversaire de Fratelli d’Italia dans cette course électorale, n’a pas hésité à qualifier ses adversaires de «postfascistes». Et l’un des principaux quotidiens italiens, La Repubblica, a publié, au mois d’août dernier, un gros dossier sur Meloni intitulé, tout simplement, «M». Un choix délibéré pour éviter de faire trop résonner le nom de la candidate à quelques semaines du scrutin… mais peut-être aussi un subtil clin d’œil vers l’un des personnages les plus controversés et attaqués de l’histoire italienne récente, le dictateur Benito Mussolini. Un homme qui semble, selon ce que relèvent les détracteurs de FdI, survivre dans le symbole du parti: une flamme tricolore, emblème aussi du MSI, né en 1946 sur les cendres du régime mussolinien.
Doutes sur les aptitudes de Giorgia Meloni
Des accusations que Giorgia Meloni rejette avec vigueur. «La droite italienne a depuis longtemps livré le fascisme aux poubelles de l’histoire, en condamnant sans aucune ambiguïté les violations de la démocratie du passé et les infâmes lois antisémites», a-t-elle récemment déclaré en précisant, un peu plus tard, que FdI «partage les mêmes valeurs que les Tories britanniques, le Parti républicain américain ou encore le Likoud israélien». Enrico Letta, secrétaire du PD, après avoir croisé le fer tout l’été avec son adversaire Giorgia Meloni, ne se laisse pas attendrir par ces affirmations se voulant rassurantes. «C’est eux ou nous!», ne cesse-t-il de rappeler, en soulignant la nature politique mais aussi idéologique et sociétale que revêt cette confrontation électorale. La droite incarnée par FdI est, en effet, fièrement conservatrice, souverainiste, parfois eurosceptique, défendant sans hésitation la «famille traditionnelle», l’identité judéo- chrétienne de l’Europe, et préconisant un «blocus naval» pour protéger les frontières de l’Union des flux migratoires. «Il n’y a rien d’antimoderne chez nous. Je me considère comme une conservatrice et je ne crois pas que la devise “Dieu, patrie et famille” soit anachronique…», a reconnu Meloni.
Les partenaires de la droite se détestent tellement que Matteo Salvini gouvernerait avec les communistes plutôt qu’avec son alliée, Giorgia Meloni.
Matteo Renzi, ancien président du Conseil et leader du parti réformiste Italia Viva, est étrangement du même avis. «Avec un exécutif dirigé par Giorgia Meloni, nous n’assisterions pas à un retour du fascisme mais à l’avènement du chaos!», a-t-il lancé. Une accusation qui agace tout autant la leader de Fratelli d’Italia, désormais habituée à déjouer toutes les attaques visant ses postures radicales. Elle a, ainsi, passé les derniers mois à essayer de montrer que, derrière elle, il existe bien une classe dirigeante «prête à gouverner» mais, surtout, un programme politique ambitieux, réalisable et bien ficelé. Attentive à ne jamais formuler d’impossibles promesses électorales, comme le font ses flamboyants partenaires de coalition, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi, elle s’engage, par exemple, à poursuivre la politique budgétaire prudente conduite par Mario Draghi. «L’augmentation des dépenses publiques est une solution de dernier recours», ne cesse-t-elle de répéter alors que Salvini promet le maintien du revenu de citoyenneté, que Meloni condamne et voudrait abolir, 30 milliards d’euros de subventions pour contrer la flambée des prix de l’énergie, ou encore l’imposition d’un impôt universel à taux unique de 15%.
«Ce dont je rêve est l’adoption d’un instrument de soutien destiné à tous ceux qui ne sont pas en mesure de travailler. L’établissement d’un salaire horaire minimum légal n’est pas la solution. Il faut, en revanche, soutenir les entreprises qui créent des emplois: plus elles embauchent, moins elles doivent être sollicitées fiscalement», a-t-elle insisté.
Dissensions dans l’alliance
Souvent acclamée dans les rues d’Italie, observée avec, encore, un soupçon de scepticisme par les entrepreneurs, encensée ou attaquée par les médias, Giorgia Meloni étudie scrupuleusement ses dossiers, prend sans cesse des notes, et essaie, surtout, de rassurer les partenaires internationaux de la Péninsule. «Nous voulons une Europe dans laquelle l’Italie puisse aussi défendre ses intérêts. L’axe franco-allemand doit être rééquilibré…», est le message subliminal qu’elle a récemment voulu envoyer à Bruxelles.
«Les partenaires de la droite se détestent tellement que Matteo Salvini gouvernerait avec les communistes plutôt qu’avec son alliée, Giorgia Meloni», a lancé en fin de campagne Carlo Calenda, leader, avec Matteo Renzi, d’un nouveau troisième pôle, centriste et libéral (6 à 7% des intentions de vote). Si FdI devait remporter la faveur des urnes, l’exercice du pouvoir aux côtés de l’homme fort de la Ligue et de Berlusconi pourrait, en effet, représenter un effort titanesque. Sincèrement atlantiste, Giorgia Meloni serait alors appelée à composer avec les «velléités russes» de Matteo Salvini, qui a condamné les sanctions adoptées contre Moscou. Désirant imposer son agenda, elle devrait aussi amadouer et rallier le Cavaliere, patriarche d’une politique de droite bien plus modérée et européiste que celle incarnée par FdI. De même, elle devrait rassurer les représentants de l’univers entrepreneurial et industriel italiens, inquiets face à une possible nouvelle récession, tout en essayant de conserver le soutien des classes défavorisées de la Péninsule, des petits commerçants, des artisans, parfois des ouvriers qui, se disant déçus par la gauche, ont décidé de virer à droite.
Une victoire électorale, certes, mais surtout la certitude de lendemains difficiles.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici