" Ces personnes connaissent les codes du Tour, un rite qui leur apporte une sécurité. " © DR

« Tour et détours » ou l’histoire de ces camping-cars qui jonchent les cols du Tour de France

Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans La Grand-Messe, Valéry Rosier et Méryl Fortunat-Rossi tirent le portrait bienveillant d’une microsociété en camping-car attendant religieusement le passage de la Grande Boucle.

Le 25 juillet prochain, le Tour de France retrouvera les pentes du col d’Izoard, cadre imposant où se sont écrites quelques-unes des plus belles pages de son histoire. C’est dans ce décor mythique que Valéry Rosier et Méryl Fortunat-Rossi, deux réalisateurs formés à l’IAD et ayant déjà collaboré sur divers projets, décidaient, il y a deux ans de cela, de filmer La Grand-Messe. Soit un documentaire parlant moins en définitive de la Grande Boucle que de ses fidèles,  » pèlerins des temps modernes  » dont les camping-cars commencent à garnir les virages des cols quinze jours avant le passage de la course.  » Nous avons essayé de faire le portrait d’une génération et d’une certaine frange de la population, et de montrer qu’à travers le Tour transpirent aussi du quotidien, du travail, l’économie du monde ouvrier et du monde des retraités « , explique Méryl Fortunat-Rossi.  » Il y a parfois des évidences lorsqu’on construit un film, renchérit Valéry Rosier, allusion à une convergence d’intérêts allant au-delà de leur passion commune pour le Tour. Un de mes sujets de prédilection, c’est le besoin de communauté. Il y avait cette idée un peu folle de gens qui se retrouvent en montagne alors qu’ils ne se connaissent pas, à 2 000 mètres d’altitude pendant quinze jours, pour ne plus être tout seuls chez eux et rencontrer d’autres gens, un thème qui me touchait. Meryl, de son côté, avait fait des documentaires sur les spectateurs, de corrida notamment. Et les choses se sont mises en place…  »

Un cinéma qui tient plus de Jacques Tati que de « Strip-Tease ».

Des codes immuables

Si le film convoque brièvement la mythologie du Tour, images d’archives d’Eddy Merckx ou Bernard Thévenet à l’appui (auxquelles feront écho, plus loin, les mémorials de Fausto Coppi et Louison Bobet), c’est pour bientôt adopter la forme d’un compte à rebours recourant à un vocabulaire liturgique, Passion, Jour de gloire ou Montagne sacrée constituant autant de stations sur le chemin menant à l’Ascension.  » Le côté mythique rejoint un peu le côté sacré, observe Valéry Rosier. Je m’étais amusé, il y a quelques années, à relever les analogies entre le fait d’aller encourager le Tour dans la montagne et les pèlerinages d’antan. Le film n’insiste pas là-dessus, mais nous avons voulu montrer un lien entre ce besoin d’être ensemble, de se retrouver, et celui de tradition, de rituels.  »  » Ce que l’on a compris, en côtoyant toutes ces personnes, c’est que cette expérience constitue une belle parenthèse dans leur année, parce qu’elles connaissent les codes du Tour, et qu’ils sont immuables, complète Méryl Fortunat-Rossi. Désormais, il y a la télévision, les portables, Internet, mais l’ambiance du Tour, elle, n’a pas beaucoup bougé par rapport à leur enfance. Ce rite leur apporte une sécurité.  »

Haute en couleur, la galerie de personnages ainsi réunis au hasard de quelques virages du col se révèle surtout attachante, les retraités, de condition modeste pour la plupart, goûtant à une période de  » vacance  » sur les quelques mètres séparant le bitume de la route du précipice dans une atmosphère résolument bon enfant. Maintenue pour l’essentiel hors champ, la course, même si vécue avec ferveur le jour J, ne semble que prétexte, s’effaçant derrière le portrait d’une microsociété dont le quotidien est rythmé par le passage des cyclotouristes et autres motards, sans oublier l’incontournable rituel – encore un – de l’apéro vespéral, propice aux anecdotes croustillantes, mais pas que.  » On est arrivés quinze jours avant le passage de la course, et on s’est arrêtés à chaque caravane pour aller présenter notre projet, confient les cinéastes. L’avantage de faire un film sur des gens qui rêvent de passer trois ou quatre secondes à la télévision le jour du Tour, c’est qu’ils ne sont pas trop effrayés par la caméra. Cela nous a aidés. Et puis, on a loué un camping-car, et on s’est installés parmi eux : voir que nous aussi, on vivait à la dure, dans ces conditions particulières, a contribué à nous faire accepter. Notre intention, c’était qu’on aime ces personnages à la fin du film, nous sommes partis avec cette énergie-là. Même si on allait rigoler, parce qu’on aborde la vie par le prisme de l’humour, il fallait absolument qu’on choisisse des gens dont on savait qu’on allait pouvoir les montrer aussi beaux qu’ils sont.  »

Méryl Fortunat-Rossi et Valéry Rosier, réalisateurs de La Grand-Messe.
Méryl Fortunat-Rossi et Valéry Rosier, réalisateurs de La Grand-Messe.© DR

Du côté de la bienveillance

Pari relevé haut la main. Si La Grand-Messe multiplie les situations cocasses, l’humour ne s’y exerce jamais aux dépens de ses protagonistes, le trait s’y voulant plus bienveillant que cynique. Une disposition certes pas étrangère à l’incontestable réussite d’un film tenant quelque part plus du cinéma d’un Jacques Tati que de Strip-Tease.  » On a pensé appeler le film Jour de fête (NDLR : à l’instar du classique réalisé par Tati en 1949), sourit Méryl Fortunat-Rossi. Même si cela n’a pas été gardé, il y a forcément une filiation.  »  » Les Strip-Tease ont été drôlissimes et importants dans l’histoire du documentaire télévisuel. Ils ont apporté quelque chose qu’ils ont bien exploité, relève Valéry Rosier. On a voulu garder cette dimension dans le réel, mais venir avec notre propre humour, peut-être moins corrosif, mais plus bienveillant. On a très envie que les personnages soient fiers d’eux-mêmes.  »  » Concernant la bienveillance, j’ai le sentiment que c’est en montrant les gens tels qu’ils sont, avec amour, que l’on peut se retrouver en eux, et partager un moment de vie, ce qui est censé être le « but » d’un documentaire « , poursuit Méryl Fortunat-Rossi.

La Grand-Messe, de Valéry Rosier et Méryl Fortunat-Rossi. En salles depuis le 1er mai.
La Grand-Messe, de Valéry Rosier et Méryl Fortunat-Rossi. En salles depuis le 1er mai.

Nul besoin, dès lors, d’être un aficionado de la petite reine pour apprécier le film, ce qui fait sa force au même titre que l’intimité complice que les réalisateurs réussissent à installer avec des protagonistes se livrant parfois avec une sincérité désarmante, l’humour s’effaçant devant l’émotion. L’on y verra encore, incidemment, la célébration d’anonymes, humbles retraités pour le coup, généralement négligés par le cinéma – pas le fruit d’un calcul, mais plutôt une question d’affinités personnelles. Et de conclure d’une même voix :  » On peut faire un grand film sur chaque personne, il suffit de trouver l’angle. On peut mettre en valeur tout le monde, à nous de trouver le bon regard. Il ne faut pas être ministre ou star de football pour faire un bon documentaire. Et si après, on peut aimer un peu plus les gens qu’on ignore au quotidien, nous serons très heureux.  »

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