Sarkozy, Hollande, Macron: comment résister aux magnats des médias en tant que responsable politique en France?
La majorité des médias français sont entre les mains d’hommes d’affaires qui y voient aussi un outil pour soigner leurs intérêts. Les gouvernants peuvent-ils résister à la pression exercée par des partenaires obligés? Etude de cas avec Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron.
C’est en simple conseiller de Vivendi que le patron du groupe spécialisé dans les médias et la communication Vincent Bolloré s’est présenté, le 19 janvier, devant les membres de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias. Une posture à mille lieues des intentions prêtées à l’homme d’affaires depuis qu’il a réorganisé Canal +, la chaîne d’information en continu C-News, et, plus récemment, la radio Europe 1, leur faisant prendre un virage vers la droite radicale, au point que l’ancien chroniqueur vedette et actuel candidat à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, a paru être porté par la machine de guerre de l’entrepreneur breton, promis à la retraite le 17 février. « Ma capacité personnelle à imposer des choses n’est pas très importante », a benoîtement prétendu Vincent Bolloré devant les sénateurs.
Les responsables politiques français se retrouvent piégés, contraints de montrer patte blanche aux milliardaires des médias pour accéder au pouvoir.
Le magnat des médias agirait-il par simple intérêt financier, soucieux, sans doute, de voir ses entreprises prospérer mais étranger à toute intention politique? Si les sénateurs français s’attellent à auditionner les milliardaires de l’information dans le cadre de cette commission d’enquête, c’est pourtant bien parce que la concentration opérée depuis quelques années est susceptible de nuire à la pluralité des points de vue et, par corollaire, à la démocratie.
Donnant-donnant
Dans un livre-réquisitoire tantôt éloquent, tantôt discutable, L’Elysée (et les oligarques) contre l’info (1), l’ancien rédacteur en chef adjoint de l’émission Spécial Investigation sur Canal +, Jean-Baptiste Rivoire, montre comment les propriétaires d’entreprises de médias et les politiques ont nui au droit à l’information. Ils ont pour nom Vincent Bolloré (Prisma, Le Journal du dimanche, Paris-Match pour la presse, les chaînes télé Canal +, C8, CNews, la radio Europe 1, Hachette et Editis dans l’édition, Havas pour la pub…), Arnaud Lagardère (progressivement supplanté par le premier à Europe 1, Paris-Match ou au JDD), Bernard Arnault (Les Echos, Le Parisien), Martin Bouygues (LCI, TF1, et candidat à une fusion avec M6), Patrick Drahi (NextRadio, BFMTV, RMC, L’Express) et Xavier Niel (Le Monde, L’Obs, Télérama). Ils ont fait fortune dans d’autres domaines d’activité comme les communications, l’industrie de la défense, celle du luxe, le bâtiment et les travaux publics ou la téléphonie. Par la force des choses et de leurs intérêts, ils cherchent à entretenir de bonnes relations avec les gouvernants.
Qui le leur rendent bien. « Depuis les années 2000 – au moins -, pour avoir encouragé une poignée de riches industriels à prendre le contrôle de la quasi- totalité des médias privés, analyse Jean-Baptiste Rivoire, les responsables politiques français se retrouvent piégés, contraints de leur montrer patte blanche pour accéder au pouvoir. Au risque de faire de l’Elysée un adversaire de la liberté de l’information. » L’ auteur en donne pour exemple, concernant le président Emmanuel Macron, la loi, plus contraignante que la directive européenne, qu’il a fait adopter, en juillet 2018, sur la protection du secret des affaires. Elle « risquerait d’empêcher les journalistes d’enquêter sur les coulisses des fusions-acquisitions, de l’économie ou même de la santé publique », détaille l’auteur.
Sarkozy contre Canal +
Des trois derniers présidents français, c’est Nicolas Sarkozy qui a entretenu les rapports les plus étroits avec les milliardaires des médias. Le lendemain de son élection en 2007, il se cache à peine pour passer quelques jours de détente sur le yacht de Vincent Bolloré. Son amitié avec le patron de Vivendi lui inspirera l’idée, selon Jean-Baptiste Rivoire, de monter une opération pour signer l’arrêt de mort d’une émission de Canal + qui se plaît à le ridiculiser, comme d’autres politiques: Les Guignols de l’info. Impuissant à contraindre les patrons de l’époque de la chaîne payante à réfréner les ardeurs « antidroite » des auteurs du programme, il poussera Vincent Bolloré à devenir actionnaire de la chaîne pour faire le boulot. Ce qui sera fait… en juillet 2018.
Des trois derniers présidents français, c’est Nicolas Sarkozy qui a entretenu les rapports les plus étroits avec les milliardaires des médias.
François Hollande a été le plus distant avec les magnats de l’information et le moins interventionniste dans les contenus, selon Jean-Baptiste Rivoire. Il le décrit pourtant comme un « vrai faux ami de l’information ». Notamment, parce qu’il n’aura rien fait pour empêcher le « saccage » de Canal + par Vincent Bolloré (suppression des Guignols de l’info, arrêt du programme Special Investigation dont Rivoire fut le rédacteur en chef adjoint, défection de l’équipe du Petit Journal, partie sur TF1 pour créer Quotidien). Or, rappelle l’auteur, François Hollande avait signé une proposition de loi, en 2009, interdisant la possession de chaînes de radio ou de télévision par un groupe « dont l’activité est significativement assurée par des marchés publics ». A l’image de l’incantation contre le secteur de la finance, son « véritable adversaire », son ambition à réguler celui de l’information restera au stade de la promesse. Sur les relations ambiguës entre le pouvoir et le monde de l’entreprise et des médias que le dirigeant socialiste voulait réduire, c’est à nouveau Nicolas Sarkozy le plus impliqué, selon Jean-Baptiste Rivoire, en l’occurrence avec le patron de TF1, Martin Bouygues, au début de son mandat.
Les médias publics
Canal + ayant été émasculée de son caractère rebelle, hors Le Canard enchaîné ou les médias en ligne Mediapart, Les Jours ou Disclose, il n’y a plus guère que France Télévisions pour valoriser l’investigation qui embarrasse les pouvoirs. Les émissions emblématiques Envoyé spécial, Complément d’enquête, Cash Investigation ont pourtant, elles aussi, fait l’objet de pressions ponctuelles pour empêcher la diffusion d’un reportage sur l’affaire Bygmalion ou d’un autre sur l’industrie du luxe. Leur existence même aurait été menacée par l’Elysée.
C’est en tout cas l’objectif que Jean-Baptiste Rivoire prête à Emmanuel Macron quand il réduit le financement de l’audiovisuel public après l’avoir vertement critiqué et que la patronne qu’il a nommée à la tête de l’institution, Delphine Ernotte, projette de sévères coupes dans le budget – déjà petit – de l’investigation. Pourtant, ces craintes ne se concrétiseront pas. Ce qui n’empêche pas de nourrir un doute légitime sur la capacité des gouvernants à supporter les questionnements des journalistes, ferments de la démocratie.
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