Bertrand Candelon
Réchauffement climatique, société plus juste et inclusive: objectif éthique ou stratégie marketing? (chronique)
Comme d’autres secteurs, la finance a dû se renouveler pour s’adapter aux priorités sociétales que sont désormais la lutte contre le réchauffement climatique et la volonté de créer une société plus juste et inclusive. Cette nouvelle dynamique a fait exploser l’offre de produits financiers dits « socialement responsables », aussi appelés ESG – E pour environnement, S pour social et G pour gouvernance. Cet engouement louable pour la finance éthique n’est pas sans poser quelques questions.
Tout d’abord, la finance ESG amplifie la différence d’information entre les émetteurs qui ont pour objectif ultime de maximiser leurs bénéfices, et des clients qui se retrouvent face à des produits supposés ESG mais difficilement vérifiables au vu de leur complexité. Des labels, principalement privés, ont été créés pour rendre public le contenu éthique des produits financiers. Mais ils se sont révélés très peu informatifs, étant financés par les émetteurs de fonds ESG eux-mêmes, d’où l’apparition de potentielle collusion. Il en résulte qu’une grande partie des produits financiers ESG repose plus sur des stratégies marketing que sur de vrais objectifs « moraux ». Les frais de gestion de ces fonds étant en moyenne plus élevés que ceux de leurs concurrents, on comprend aisément que cette asymétrie d’information est exploitée par les détracteurs de la finance éthique.
Cet engouement louable n’est pas sans poser quelques questions.
Cet engouement soulève aussi la question de savoir ce qu’est vraiment un fonds éthique. Il est évident que chaque individu a une appétence éthique menant à une stratégie ESG différente. Pour certains, il est même impossible de détenir le moindre actif non éthique. On peut penser, par exemple, au fonds souverain norvégien qui a interdit l’inclusion des cigarettiers dans leurs investissements, aboutissant ainsi à une stratégie d’exclusion. Pour d’autres, au contraire, la stratégie éthique consiste à inclure l’actif le plus vertueux en termes ESG dans chaque catégorie. On parle alors de stratégie de best-in class (« meilleur dans sa catégorie »).
Finalement, l’ajout d’une contrainte extra-financière a aussi un impact sur le rendement de l’investissement. Si, lors de périodes particulières, et singulièrement les crises, ces actifs peuvent présenter des performances supérieures à leurs concurrents, il n’existe à ce jour aucune justification théorique pour que celles-ci se reproduisent en moyenne dans le long terme. Au contraire, un investissement éthique étant par définition contraint, sa rentabilité financière moyenne ne peut être qu’au mieux équivalente à ses concurrents. Les investisseurs doivent être conscients de ce résultat, même s’il va de soi que cette simple rentabilité financière est restrictive. Elle ne prend pas en compte la satisfaction d’avoir oeuvré à la création d’une société plus socialement responsable, alors que, pour beaucoup d’agents, cette dimension extrafinancière est cruciale.
La finance responsable constitue donc une révolution importante et encore une fois louable de ce secteur d’activité régulièrement pointé du doigt. Cette évolution nécessite cependant un regain de transparence, une réflexion approfondie des chercheurs ainsi qu’une attention particulière de tous. Faute de quoi, elle pourrait aboutir à une défiance encore plus importante pour la finance si souvent décriée mais pourtant essentielle pour l’économie.
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