Présidentielles françaises: classer Eric Zemmour à l’extrême droite « serait une erreur » (entretien)
Extrême, radicale, républicaine? Les thèmes de prédilection du candidat à l’élection présidentielle de 2022 ne donnent qu’une indication partielle de son idéologie, faute de véritable programme. Jean-Yves Camus, spécialiste des radicalités politiques, inscrit plus Eric Zemmour dans la lignée d’une droite très conservatrice.
Le contexte
Après avoir fait durer le suspense pendant des mois, le sulfureux polémiste d’extrême droite et ex-journaliste Eric Zemmour, chantre de « l’identité française », pourfendeur de l’islam et de l’immigration, a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle française mardi midi dans une vidéo. Sans surprise, sa campagne sera axée sur l’immigration et l’islam. « Vous n’avez pas déménagé et pourtant vous avez la sensation de ne plus être chez vous. Vous n’avez pas quitté votre pays mais c’est comme si votre pays vous avait quitté », a-t-il entre autre déclaré, ajoutant que sil’immigration, « n’est pas la cause de tous nos problèmes, même si elle les aggrave tous »
Où faut-il situer le candidat à l’élection présidentielle française de 2022, Eric Zemmour? A l’extrême droite, au sein de la droite radicale, ou tout simplement de la droite? L’absence, pour l’instant, de véritable programme ne facilite pas la classification. Dans son dernier livre La France n’a pas dit son dernier mot, l’ancien journaliste explique se sentir bien dans « une droite patriotique en quête d’ordre et d’un légitime conservatisme ». Rapportant une conversation qu’il a eue avec Marine Le Pen après l’élection présidentielle de 2017, Eric Zemmour lui assène qu' »on ne gagne plus au centre, il y a une attente de fermeté et de conviction, et même de radicalité« , ce qui indiquerait qu’il se positionne à la droite de la dirigeante du Rassemblement national. Mais quand elle l’accuse d’être un idéologue, il lui répond qu’il mène la bataille des idées « que personne ne mène dans notre camp », qu’il n’est pas un idéologue et qu’il part toujours des réalités. Alors, de quelle droite Eric Zemmour est-il le porte-étendard? Codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès, Jean-Yves Camus incline à le situer dans la filiation d’une certaine droite.
En exploitant en permanence la question de l’immigration et de l’insécurité, Eric Zemmour donne l’impression de labourer une thématique quelque peu délaissée par Marine Le Pen au nom de la dédiabolisation de son parti. Partagez-vous cette analyse?
Marine Le Pen n’a pas délaissé ces thèmes. Quand vous écoutez son discours sur les libertés du 12 septembre, et d’autres, on entend bien une musique sur l’immigration. Comme pour presque tous les partis populistes de droite européens, le programme du Rassemblement national réclame l’arrêt de l’immigration et l’expulsion des délinquants étrangers. Pour Eric Zemmour, cette proposition ne va pas assez loin. Lui est persuadé que le « grand remplacement » (NDLR: théorie qui voudrait qu’un plan est mis en oeuvre pour substituer à la population blanche d’Europe des immigrés du monde arabe et de l’Afrique noire) a déjà eu lieu. Dans ce contexte, l’arrêt de l’immigration ne résout pas grand-chose. Il veut aller plus loin. Mais ce positionnement n’est pas lié à l’absence de discours de Marine Le Pen sur l’immigration. Il est lié au fait que, dans la stratégie de dédiabolisation de son parti, elle a fini par adopter une attitude plus responsable et ne promet pas la lune. Ce qui caractérise Eric Zemmour, c’est sa vision crépusculaire de la France. Il a beau intituler son dernier livre La France n’a pas dit son dernier mot, le constat dressé est extrêmement sombre. Il affirme qu’on est arrivés au bout d’une politique et qu’il faudrait un ultime sursaut pour que la France puisse s’en sortir. C’est le discours de la décadence. Marine Le Pen, elle aussi, explique que le pays ne va pas bien. Mais elle prend soin de ne pas tomber dans le discours de la décadence parce qu’il a un effet démobilisateur sur bon nombre d’électeurs, sur le mode « si la situation est aussi grave que cela, il n’y a plus qu’à se préoccuper de son petit confort personnel et il ne sert plus à rien d’aller voter ».
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Eric Zemmour se réfère dans son dernier livre au philosophe Hippolyte Taine (1828 – 1893), à l’essayiste et homme politique antisémite Charles Maurras (1868 – 1952), ou à l’historien Jacques Bainville (1879 – 1936). Est-il l’héritier d’une extrême droite française bien identifiée?
Il faut quand même rappeler que dans une France qui serait dominée par les idées maurrassiennes, Eric Zemmour ne serait pas citoyen français et n’aurait pas le droit de vote puisque Charles Maurras incluait les juifs dans les catégories de personnes qui, aux côtés des protestants et des francs-maçons, devaient être interdits de toute responsabilité publique, voire de la citoyenneté, parce qu’ils étaient accusés de miner le pays de l’intérieur. Jacques Bainville appartenait aussi à l’Action française (NDLR: mouvement d’extrême droite fondé en 1899) mais il était infiniment plus modéré. Ses livres sont ceux d’un grand historien des relations internationales et de la France.
Eric Zemmour peut se réclamer de Jacques Bainville mais quand je lis l’un et l’autre, je préfère le second. En réalité, Eric Zemmour n’est pas dans la continuité d’une certaine extrême droite. Il est dans la continuité d’une certaine droite. Une partie de celle-ci a toujours nourri le fantasme de la décadence, cette tendance à penser qu’il est minuit moins cinq et qu’il faut agir avant de disparaître. Elle correspond très bien à l’idée, également entretenue par la droite française, du culte de l’homme providentiel, qu’il se nomme le général Boulanger (NDLR: officier et homme politique né en 1837 et mort en 1891 à Ixelles), le maréchal Pétain ou même le général de Gaulle. Pour les partisans de cette droite, seul un homme providentiel peut relever la France.
Cela explique-t-il la mansuétude d’Eric Zemmour à l’égard du maréchal Pétain?
Cette mansuétude est complètement incompréhensible. La famille d’Eric Zemmour est originaire d’Algérie. Or, les juifs d’Algérie ont été touchés, comme ceux de métropole, par le « statut des juifs » (NDLR: instauré par un décret-loi du régime de Vichy en octobre 1940) qui les excluait des emplois publics et en faisait des citoyens de seconde zone. Je ne comprends pas comment il peut ne pas s’en souvenir.
L’idée selon laquelle le maréchal Pétain aurait sauvé la France du pire a été démontée par tous les historiens depuis la fin des années 1970. On peut évidemment considérer que le maréchal Pétain était moins catastrophique qu’un Jacques Doriot (NDLR: homme politique engagé dans la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale). Il y avait effectivement pire que le maréchal Pétain. Il y avait aussi pire que Léon Degrelle dans la collaboration wallonne. Mais enfin… Tout de même, regardons le bilan de la déportation des juifs. Pétain reste aux commandes de l’Etat français jusqu’au bout. Il aurait pu réaliser, en cours de route, que sa politique de collaboration était une impasse. Il aurait pu sauvegarder ce qui lui restait de prestige de soldat et d’homme d’Etat. Il aurait pu se rendre compte que penser encore en juin 1944 que le cours de la guerre pouvait être inversé était une folie. Il ne s’en est pas rendu compte. Deux mois avant la fin, il sillonnait encore la France en chef d’Etat alors qu’il était évident que se livrait une bataille contre la résistance, que la déportation des juifs se poursuivait et que la guerre était perdue pour son camp. C’est une mansuétude que je ne m’explique absolument pas.
Sur l’échiquier politique actuel, où situeriez-vous Eric Zemmour?
Il est difficile de classer Eric Zemmour parce qu’il n’a de racines personnelles dans aucune famille politique. Lui se réclame du gaullisme, de la droite. Je crois que le classer à l’extrême droite serait une erreur qui conduirait à sous- évaluer son impact parce que les thèmes qu’il met en avant, y compris cette mansuétude à l’égard du maréchal Pétain, agitent une certaine partie de la droite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans le contexte particulier de la montée du communisme de la fin des années 1940, celle-ci considère qu’au nom de la réconciliation nationale, il faudrait libérer le maréchal Pétain, mettre un terme aux procès de l’épuration et amnistier les inciviques, ce qui finira par être le cas, en 1951, puis en 1953. Ce n’est pas l’extrême droite qui est alors à la manoeuvre, c’est la droite.
Une candidature d’Eric Zemmour pourrait-elle pénaliser Les Républicains tout autant que le Rassemblement national?
Oui, parce qu’une partie des électeurs de François Fillon de 2017, issus de la droite traditionnelle avec des convictions très fortes sur les valeurs familiales, sur le patriotisme, sur les questions d’identité, se retrouve aujourd’hui davantage chez Eric Zemmour que chez Marine Le Pen. Sans doute aussi pour des questions d’appartenance aux catégories socioprofessionnelles moyennes ou supérieures. On a là des électeurs qui peuvent se reconnaître dans une droite identitaire incarnée par Eric Zemmour, qui trouvent que Marine Le Pen est trop étatiste sur l’économie et qu’elle représente des classes socioprofessionnelles qui ne sont pas les leurs.
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