Pourquoi l’Allemagne veut alléger les conditions pour obtenir la nationalité allemande
Le gouvernement d’Olaf Scholz veut alléger les conditions pour devenir un citoyen allemand par souci d’humanité et par besoin de main-d’œuvre. L’opposition conservatrice parle de «nationalité bradée».
Le père de Sakine, Mehmet, est arrivé en Allemagne dans les années 1960. Employé à la chaîne chez Siemens, à Berlin, le vieil homme passe aujourd’hui l’essentiel de son temps en Turquie, dans la petite maison qu’il a fait construire près d’Ankara. Cinq de ses six enfants, presque tous nés en Allemagne, ont désormais la nationalité, sont citoyens de la République fédérale. Mais pas Mehmet, qui parle très mal l’allemand et ne sait ni le lire ni encore moins l’écrire. Sakine attend avec impatience la réforme promise par Nancy Faeser.
La ministre sociale-démocrate de l’Intérieur a présenté, le 25 novembre, les grandes lignes d’un projet de loi, qui permettrait à Mehmet de devenir enfin citoyen allemand et de voyager d’un pays à l’autre sans passer par la case humiliante de l’attribution d’un visa. «Celui qui vit et travaille ici de manière durable doit aussi pouvoir voter et être élu, il doit faire partie de notre pays, avec tous les droits et les devoirs que cela implique», estime Olaf Scholz. Et de rappeler l’émotion ressentie lorsque, alors maire de Hambourg, il présidait le protocole de naturalisation de personnes «qui avaient sorti leur plus beaux vêtements» pour la cérémonie.
La réforme présentée par Nancy Faeser prévoit d’autoriser la naturalisation des étrangers au bout de cinq années de séjour, au lieu de huit à l’heure actuelle. Les personnes «particulièrement méritantes» – excellents résultats scolaires, parcours professionnel exceptionnel, maîtrise parfaite de l’allemand, engagement dans les associations… – pourront même obtenir le passeport allemand au bout de trois ans.
Double nationalité
La ministre veut par ailleurs mettre fin à l’interdiction de la double nationalité, principal obstacle à la naturalisation d’une partie des 3,5 millions de Turcs d’Allemagne. «De nombreuses personnes issues de l’immigration se sentent allemandes, mais ne veulent pas couper les ponts avec leur pays d’origine. Leur identité se fonde sur plusieurs nationalités», écrit-elle dans une tribune parue, le 27 novembre, dans le quotidien Tagesspiegel. Le principe des tests de langue et de connaissance de la culture allemande est maintenu. Mais les immigrés de la première génération, âgés de plus de 67 ans comme Mehmet, souvent analphabètes, en seront dispensés. «Nous voulons rendre hommage à l’apport particulier de la génération des travailleurs immigrés, qui ont contribué de manière significative au développement du pays», souligne Nancy Faeser. Les avancées promises par Berlin sont somme toute modestes. Elles provoquent pourtant une véritable polémique dans le pays.
Pouvoir accéder à la nationalité allemande est un argument important pour rendre le pays plus attractif auprès des diplômés étrangers.
L’immigration est depuis longtemps une réalité de la société allemande. Entre 600 000 et deux millions de personnes sont arrivées chaque année en Allemagne depuis la réunification. Malgré les chiffres, une partie de la classe politique continue de s’accrocher à la tradition du droit du sang. Résultat, le nombre des naturalisations reste très faible et la procédure, assouplie une première fois en 2000, est longue et fastidieuse. Quelque 131 600 étrangers ont obtenu la nationalité allemande l’an passé (dont 19 000 Syriens, 12 200 Turcs, 7 000 Roumains, 5 500 Polonais et 5 000 Italiens).
Droit du sang
Le principe du droit du sang est depuis longtemps critiqué. Il avait notamment permis à de nombreux Russes allemands, dont les ancêtres s’étaient installés au pays des Tsars à l’époque de Catherine la Grande et qui avaient oublié leur langue depuis des générations, de devenir automatiquement Allemands après l’effondrement de l’Union soviétique. Il continue par contre de bloquer la naturalisation des Turcs arrivés dans les années 1960 et de leurs enfants. Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir de Gerhard Schröder et des Verts, en 1998, pour assister à une timide «modernisation» du code de la nationalité, selon les termes du débat en vigueur dans le pays.
Lire aussi | Pourquoi la pauvreté explose en Allemagne
Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement d’Olaf Scholz avait promis de nouvelles avancées. Les Verts et les libéraux, associés au SPD à Berlin, sont convaincus de longue date, bien que pour des raisons très différentes, de la nécessité de réformer le code de la nationalité. Pour les Verts, il s’agit de s’adapter à la réalité d’une société en pleine évolution et d’honorer la contribution des immigrés à la croissance du pays. Les libéraux, pour leur part, veulent répondre aux besoins des entreprises et du marché du travail, dans un contexte de démographie en berne. Ils rappellent qu’il faut au bas mot 300 000 à 400 000 arrivées par an pour stabiliser la population, bien plus pour assurer la survie des systèmes sociaux.
Pénurie de personnel
La fronde est partie de l’opposition conservatrice. Les partis CDU et CSU parlent de «nationalité bradée», de «bien de grande valeur» que serait la nationalité allemande et qu’il faudrait protéger… «Oui à l’immigration du travail, non à l’immigration dans le système social», critique le chef du parti conservateur CDU, Friedrich Merz. «Sans une telle réforme, l’Allemagne ne pourra ni résoudre son problème de pénurie de main-d’œuvre ni faciliter l’intégration des étrangers qui séjournent déjà sur le territoire, estime Marcel Fratzscher, président de l’institut d’analyse économique DIW. La pénurie de personnel qualifié va s’aggraver sous l’effet de la démographie et de la concurrence entre les pays autour des cerveaux bien formés si les politiques n’agissent pas de façon déterminée. La perspective de pouvoir accéder à la nationalité allemande est un argument important pour rendre le pays plus attractif auprès des diplômés étrangers.»
Moins invitée à s’exprimer dans le débat, la communauté turque salue, elle aussi, le projet de la ministre de l’Intérieur. «Cette réforme est un changement de paradigme, se félicite le président de la communauté turque, Gökay Sofuoglu. Le code de la nationalité n’est plus en accord avec la réalité. Il doit être revu de fond en comble.»
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici