Pourquoi la Hongrie veut échapper à l’embargo sur le pétrole russe?
A l’approche du Conseil européen de lundi, Viktor Orban persiste dans son refus de sevrer la Hongrie d’un pétrole russe bon marché, pierre angulaire d’une série de mesures populistes garantes de son maintien au pouvoir.
Le dirigeant hongrois est le dernier à bloquer le projet d’embargo et réclame une exemption pure et simple pour son pays. Il entend « protéger les familles hongroises » d’une insécurité énergétique inédite, entre pénuries, flambée des prix et possible récession à la clé.
Si les Slovaques et les Tchèques semblent se satisfaire d’une dérogation de deux années, lui parle de « bombe atomique » lancée sur son économie et exige au moins le double de temps ainsi que près de 800 millions d’euros en financements européens pour adapter les installations. Car il lui faut transformer son unique raffinerie dans les environs de Budapest et doper la capacité de l’oléduc Adria qui part de Croatie.
Une surenchère faisant dire au ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck, qu’il serait moins coûteux pour l’UE de faire l’embargo sans la Hongrie.
Depuis son retour au pouvoir il y a douze ans, Viktor Orban, proche de Vladimir Poutine avant la guerre et critique du pouvoir ukrainien, joue régulièrement les trouble-fête. Au risque cette fois de briser pour la première fois l’unité affichée par les 27 depuis l’invasion de l’Ukraine.
Menace surjouée
Pour des experts interrogés par l’AFP, le Premier ministre nationaliste surjoue la menace. « C’est un défi qui peut être relevé », estime par exemple Zoltan Torok, économiste de la banque Raiffeisen.
Certes, son pays d’Europe centrale de 9,8 millions d’habitants est enclavé. Sans accès à la mer, il dépend des acheminements via l’oléoduc Droujba. Ce dernier traverse l’Ukraine et fournit 65% de l’or noir consommé par la Hongrie, tout en approvisionnant également la République tchèque et la Slovaquie. Couper les vannes progressivement serait « difficile » comme pour les autres États de la région et « coûteux », mais c’est loin d’être une « ligne rouge » impossible à franchir avec l’argent européen, souligne M. Torok.
Il faudrait « entre six et 18 mois pour effectuer les changements nécessaires » au sein de la raffinerie exploitée par le conglomérat MOL, selon un ancien secrétaire d’Etat et employé de l’entreprise, Attila Holoda.
En fait, une autre raison moins avouable pousserait M. Orban à faire cavalier seul. Car MOL engrange des bénéfices considérables « en achetant du pétrole russe peu cher qu’il revend à un bon prix », souligne Tamas Pletser, expert en énergie chez Erste Bank. D’autant que l’écart entre le prix du baril d’Oural et celui du Brent, la variété de référence, s’est accentué du fait des sanctions internationales contre Moscou: traditionnellement symbolique (de quelques dollars), il tourne désormais autour de 30 à 40 dollars.
Prix plafonnés
Le fleuron national hongrois, dirigé par Zsolt Hernadi, un proche du Premier ministre, « gagne sur tous les tableaux », résume l’analyste, estimant à 9,4 millions d’euros par jour la manne supplémentaire pour MOL comparé la situation d’avant la guerre. En contrepartie, le groupe accepte de contribuer aux mesures prises déjà depuis l’automne par le gouvernement pour lutter contre l’inflation, renforcées cette semaine.
Fort d’une quatrième victoire d’affilée début avril aux législatives, M. Orban a annoncé une taxe exceptionnelle sur les entreprises, dont MOL, qui devrait rapporter au total plus de 2 milliards d’euros et ainsi soutenir la stratégie de plafonnement des prix de l’énergie. Cette décision, survenue quelques jours après le prolongement de l’état d’urgence, a été notamment justifiée par « la politique de sanctions de Bruxelles » qui a apporté « des bénéfices supplémentaires aux multinationales comme aux banques ».
Dans une autre illustration de la politique hongroise, le gouvernement a aussi décidé de réserver ses tarifs doux sur l’essence, fixés à environ 1,2 euro le litre dans les stations-service, aux seules voitures immatriculées dans le pays.
La Hongrie « n’est pas en position d’accepter le sixième paquet de sanctions tant que les négociations n’auront pas abouti à résoudre toutes les questions en suspens », a prévenu le Premier ministre hongrois Viktor Orban dans une lettre à Charles Michel.
Des discussions sont toujours en cours pour tenter de trouver une solution avant le sommet, Paris et Berlin tout comme le président du Conseil européen se disant confiants ces derniers jours qu’un accord puisse être trouvé d’ici lundi. Et certains Etats membres poussent pour un compromis avec Budapest afin de préserver l’unité des Vingt-Sept et d’éviter que le blocage des sanctions ne pèse sur la réunion, selon des sources européennes.
L’une des options serait d’aller de l’avant avec ce 6e paquet, qui comprend également un élargissement de la liste noire de l’UE et de nouvelles sanctions contre des banques russes, et d’exclure de l’embargo le pétrole acheminé par oléoduc (soit un tiers des livraisons aux Vingt-Sept), selon une source européenne. Une autre option serait d’exclure temporairement l’oléoduc Droujba de l’embargo et de poursuivre les négociations avec Budapest, selon une autre source.
La sécurité alimentaire, menacée par la flambée des prix en raison notamment du blocage des exportations de céréales ukrainiennes, sera également au programme du sommet. Alors que le continent africain redoute une crise alimentaire, le président de l’Union africaine Macky Sall, interviendra par visioconférence.
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