Nouveau climat, nouveaux vins ?
La vigne est une plante aux capacités de résilience et d’adaptation extraordinaires mais les changements climatiques actuels pourraient bien bouleverser les équilibres constitués au fil des siècles.
Le vignoble européen a subi au cours de son histoire moult catastrophes. On pense au phylloxera (1) qui a bien failli détruire l’ensemble du vignoble, mais une étude menée en France dans le cadre du programme de l’Agence nationale de la recherche, » Observations phénologiques pour reconstruire le climat de l’Europe « , (ANR-Ophélie) et se basant sur les dates de vendanges montre une variabilité climatique extrême entre le xiiie et le début du xxe siècle. Au fil du temps, le vignoble s’est adapté sans cesse : reconnaissance de terroirs hautement qualitatifs, choix de certains cépages, abandon des plaines pour les coteaux, recherche par le croisement de plants plus vigoureux. Cette évolution s’est faite de façon lente et progressive.
Les terroirs les plus qualitatifs souffriront certainement.
Depuis les années 1980, on constate une avance moyenne de deux semaines des dates de vendanges et, plus inquiétant, selon diverses projections, on parle de maturités en avance de trois à quatre semaines d’ici à 2050. Le responsable est le réchauffement climatique, dont on sait aujourd’hui qu’il sera difficile de freiner la progression. Outre ce réchauffement, les épisodes caniculaires se multiplient : l’eau devient un problème majeur au sud. L’irrigation n’est pas forcément autorisée dans le cahier des charges des appellations mais, surtout, elle est limitée par la ressource : ce n’est donc pas une solution pérenne. Pour l’exploitant, c’est une perte sèche, avec une baisse des rendements à prévoir. Pour la vinification en elle-même, on constate que pour les levures indigènes, essentielles à la fermentation, les circonstances ne sont pas favorables. La sécheresse induit des degrés potentiels élevés pour le raisin, donc des vins qui pourraient être fortement alcoolisés et, surtout, des carences azotées généralisées. Carburant du moteur de la levure, l’azote est essentiel. Les fermentations cette année ont du mal à se terminer dans nombre de régions, ce qui n’est pas sans danger, laissant la porte ouverte aux bactéries ou levures indésirables.
Au nord, il n’y a guère plus de raisons de se réjouir : si une hausse d’un ou deux degrés pourrait faire les affaires des plus septentrionaux, il faut selon les terroirs parfois composer avec gel et grêle, dévastateurs au printemps et à l’orée des vendanges. Il existe assez peu de solutions techniques performantes, économiques et écologiques pour lutter contre ces phénomènes, qu’il s’agisse de l’aspersion, du brassage d’air par hélicoptère, des braseros, des canons et filets antigrêle, voire des fusées paragrêle. Autre problème commun à tous les vignobles, l’apparition ou la réapparition de maladies qui seraient liées à la fois aux épisodes climatiques extrêmes et au stress que subissent les plantes, avec une forte résurgence des maladies cryptogamiques (généralement dues à des champignons) et des attaques des insectes ravageurs de la vigne.
Tous ces bouleversements induisent des changements au niveau économique : perte de récolte, exploitations en difficulté et, parfois, abandon des vignes dans certaines régions. Surtout, le goût du vin change, lui aussi. Devons-nous craindre une pénurie de vins à l’avenir, ou du moins, de ceux que nous connaissons ?
Selon Benjamin Blois, climatologue et maître de conférence à l’université de Bourgogne, » grâce aux modèles élaborés dans les années 1990 pour observer les effets du réchauffement, qui sont assez cohérents, nous pouvons conclure que les sécheresses sont quasi inévitables au sud : l’eau sera autour du bassin méditerranéen un problème majeur, conduisant à des pertes de rendements énormes. Si l’on prévoit plus de précipitations aux extrêmes nord (Finlande, Suède…), c’est plus aléatoire pour la zone centrale de l’Europe. Et au sein de celle-ci, l’impact sera différent en Bourgogne, en Belgique ou à Bordeaux, d’où des prévisions à long terme plus compliquées pour ces régions. Les terroirs les plus qualitatifs souffriront certainement. » Benjamin Blois, dont les recherches portent sur les relations climat/viticulture, ajoute que » parallèlement au réchauffement global, nous constatons des vagues de chaleur qui augmentent et qui devraient se poursuivre, non sans conséquences. En effet, l’adaptation des végétaux n’est pas la même en cas de réchauffement progressif ou d’épisodes caniculaires comme nous avons pu en connaître cet été. En revanche, si on a constaté des épisodes de froid intense ces dernières années, notamment de gel à Chablis, il s’agit de phénomènes ciblés, et il faut remonter à 1991 pour obtenir une vraie vague de froid. En outre, un changement dans le sens de circulation des masses d’air est observé : alors qu’avant celles-ci suivaient plutôt un axe est-ouest, le long des tropiques, on observe désormais qu’elles suivent un axe vertical. Nous pouvons subir l’influence d’un vent chaud venu d’Afrique puis celui glacial du nord. Cela rend le climat moins stable. »
Dès lors, comment imaginer le vin d’ici à cinquante ou cent ans ? » On peut se référer à 2003, un ovni climatique à lui tout seul, répond le climatologue, qui enseigne aussi à l’Institut universitaire de la vigne et du vin, à Dijon. Souvenez-vous des vins produits cette année-là. Ils pourraient dessiner un modèle de ce que nous produirons à l’avenir. Mais il reste une composante importante : le consommateur. Qui nous dit que son goût ne le conduira pas plutôt vers des vins effervescents, des rosés, en abandonnant les rouges au passage ? Finalement, c’est lui qui dictera le futur du vin. Qui passera aussi par de nouvelles techniques de fabrication, au vu des évolutions climatiques. » En cave, on peut travailler sur des levures »fainéantes », produisant moins de degrés, explique Benjamin Blois. Et à la vigne, choisir d’autres cépages et des porte-greffes moins gourmands en eau par exemple. Les programmes Vitadapt et Greffadapt (Inra Bordeaux Aquitaine) planchent là-dessus. Mais il faut prendre en compte le contexte général : la pollution qu’induisent les pratiques agricoles et qui nous obligent à repenser en matière de développement durable, de diminution de pesticides, les recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qui visent à une consommation d’alcool beaucoup moindre… C’est un problème agricole, économique et de santé bien plus global et complexe qu’une simple affaire de climat. «
(1) Insecte ravageur qui a bien failli décimer le vignoble mondial, vers la moitié du xixe siècle, en attaquant les plants de vignes par la racine. La solution a été trouvée en utilisant des porte-greffes américains, résistants, sur lesquels on a greffé (et sauvé) les cépages européens.
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