Arnaud Zacharie
L’UE a besoin d’un modèle d’accord commercial cohérent avec le Green Deal
Les accords de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et le Vietnam, pourtant incompatibles avec le Green Deal européen, ont été adoptés 12 février 2020 par une large majorité du Parlement européen. Privilégier la prise en compte des spécificités du partenaire commercial plutôt que promouvoir un modèle cohérent applicable pour tous les accords conduit ainsi l’Union européenne à passer à côté du véritable enjeu.
L’accord UE-Vietnam était le premier soumis au nouveau Parlement européen issu des élections de mai 2019, quelques semaines après l’adoption du Green Deal européen. Malgré un Parlement européen composé de deux tiers de nouveaux députés, les résultats des votes sont sans appel : 401 voix pour l’accord de commerce (192 contre et 40 abstentions) et 407 voix pour l’accord de protection des investissements (188 contre et 53 abstentions).
Cette large majorité est donc favorable à un modèle d’accord qui ne prévoit pas de mécanisme de sanction rendant les normes sociales et environnementales véritablement contraignantes. Les chapitres sur le développement durable de l’accord UE-Vietnam sont, à l’instar du CETA, les seuls qui ne sont pas liés au mécanisme de résolution des différends. Pourtant, le Parlement européen avait affirmé, dans la résolution sur le Green Deal adoptée le 15 janvier 2020, que « le pacte vert pour l’Europe devrait garantir que tous les accords commerciaux et d’investissement internationaux comprennent des chapitres robustes, contraignants et applicables, y compris sur le climat et l’environnement, qui respectent pleinement les engagements internationaux, en particulier l’accord de Paris ».
Le Parlement européen a également adopté un accord de protection des investissements qui comporte, tout comme le CETA, une clause d’arbitrage permettant aux investisseurs de contester dans certaines circonstances des législations sociales ou environnementales au nom de l' »expropriation indirecte ». Pis, l’accord d’investissement UE-Vietnam contient, contrairement au modèle du CETA, une « clause parapluie » qui élève tous les contrats signés entre un investisseur et un Etat partie de l’accord au même rang que l’accord de protection des investissements. Autrement dit, l’accord d’investissement UE-Vietnam octroie un plus grand pouvoir aux investisseurs étrangers que le CETA.
En garantissant à des investisseurs étrangers le droit de contester des normes sociales ou environnementales, tout en ne liant pas les chapitres sur le développement durable à un mécanisme de sanction, l’accord UE-Vietnam est ainsi déséquilibré au détriment du développement durable, ce qui entre en contradiction avec les objectifs du Green Deal européen.
Le vote des députés belges
La majorité des députés francophones belges ont voté contre l’accord commercial et l’accord de protection des investissements. Les élus du Mouvement réformateur (Olivier Chastel et Frédérique Ries) ont toutefois voté en faveur des deux accords, suivant ainsi la majorité de leur groupe (92% des députés Renew ont voté pour les deux accords). Le député PTB (Marc Botenga) s’est abstenu sur l’accord de commerce, tout comme le député socialiste Marc Tarabella, qui a en outre voté pour l’accord de protection des investissements. Sa collègue du PS Marie Arena a par contre voté contre les deux accords, tout comme les deux députés des Verts (Philippe Lamberts et Saskia Bricmont), ainsi que Benoît Lutgen (cdH) et Pascal Arimont (CSP), qui sont deux des trois seuls députés du groupe PPE à avoir voté contre les deux accords. Côté néerlandophone, les élus N-VA, CD&V, Open Vld et sp.a ont voté en faveur des accords, contrairement à Groen (contre) et au Vlaams Belang (abstention).
Contrairement à l’accord commercial, qui est une compétence exclusive de l’UE, l’accord de protection des investissements sera soumis au vote des parlements des entités fédérées. Au niveau wallon, la Déclaration de politique régionale stipule que le gouvernement conditionnera son accord à la délégation de pouvoir pour la signature de la Belgique des accords de commerce et d’investissement européens à une série de conditions, dont l’inclusion de clauses sociales et environnementales comportant des mécanismes de contrôle et, en ce qui concerne les accords d’investissement, l’interdiction des demandes de réparation pour « expropriation indirecte ». Autant de conditions qui ne sont pas remplies par l’accord UE-Vietnam.
La principale justification avancée par les députés progressistes qui ont voté en faveur de ces accords est que les négociations avec le Vietnam ont permis d’obtenir des avancées sociales et environnementales : le Vietnam a ainsi signé la Convention relative aux négociations collectives, qui renforce le rôle des syndicats, et s’est engagé à ratifier deux autres textes portant sur le travail forcé et la liberté d’association, tandis qu’il a signé avec l’UE un accord de mise en oeuvre du cadre de lutte contre le trafic du bois illégal (FLEGT). Comme l’a résumé le député français Pascal Canfin (Renew), président de la commission environnement du Parlement européen, « il faut donc choisir entre une exigence de cohérence par rapport à la nouvelle donne européenne sur le Green Deal, et une exigence de cohérence vis-à-vis du Vietnam, à qui nous avons demandé de changer son droit du travail, de durcir les règles contre la déforestation… et qui grâce à cet accord, s’engage dans cette voie. » Autrement dit, la cohérence avec le Green Deal est passée au second plan pour des raisons liées aux spécificités du partenaire commercial concerné.
La même justification a été avancée par Bernd Lange, le président social-démocrate allemand qui préside la commission commerce international du Parlement européen, ainsi que par le député socialiste belge Marc Tarabella. Pour justifier les divergences des votes de ses deux députés, le PS a précisé dans un communiqué qu’il n’avait pas donné de consigne de vote et qu’il n’avait pas encore décidé s’il allait soutenir ou non la ratification de l’accord d’investissement dans les entités régionales qu’il préside. Une position étonnante pour un parti qui s’est opposé au CETA, dont le modèle a pourtant été reproduit dans l’accord UE-Vietnam, et qui préside des régions dont les déclarations gouvernementales entrent clairement en contradiction avec certaines dispositions de cet accord.
L’enjeu d’un modèle cohérent
Ces considérations démontrent l’importance de privilégier la cohérence des accords avec le Green Deal, plutôt que les avancées obtenues dans les négociations avec chacun des partenaires commerciaux. Au-delà des inquiétudes suscitées par la situation du droit du travail et des droits de l’homme au Vietnam, faire des accords de commerce et d’investissement des leviers pour le Green Deal et le développement durable implique de réviser le modèle d’accord négocié par l’UE, afin de le doter de normes liées à un mécanisme de sanction et d’éviter de permettre aux investisseurs de considérer des législations environnementales ou sociales comme des « expropriations indirectes ». Un tel modèle ne nécessiterait que quelques amendements au modèle actuel, mais ils seraient fondamentaux et permettraient d’en renforcer considérablement la cohérence.
Cet objectif était précisément celui poursuivi par la « résistance wallonne » au CETA : le fait que cet accord ait été négocié avec le Canada n’avait guère d’importance ; l’intérêt du CETA est qu’il représentait le nouveau modèle d’accord que souhaitait multiplier l’UE – ce qu’elle est en train de concrétiser. Maintenant que l’Europe a adopté un ambitieux Green Deal, la nécessité de promouvoir un modèle cohérent avec cet objectif est d’autant plus évidente. Surtout qu’il sera pour le moins difficile de refuser à des partenaires commerciaux comme les Etats-Unis ou la Chine des mesures acceptées dans les accords précédemment adoptés avec le Canada, le Japon ou le Vietnam. C’est pourquoi l’Union européenne et ses Etats membres doivent rester fermes sur les principes, quel que soit le partenaire commercial concerné.
Arnaud Zacharie (secrétaire général du CNCD-11.11.11) et Sophie Wintgens (chargée de recherche au CNCD-11.11.11).
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