L’Italie, politiquement instable: 62 gouvernements et 30 Premiers ministres en 70 ans
La statistique a inspiré un sourire amer aux Italiens, plongés dans une campagne électorale électrique alors que les Britanniques se recueillaient après le décès de leur souveraine. Pendant ses 70 ans de règne, la reine Elizabeth II a vu défiler 62 gouvernements et 30 Premiers ministres italiens, signe de l’instabilité chronique du pays. Ce dimanche, l’Italie se rend d’ailleurs à nouveau aux urnes pour un scrutin anticipé et la redistribution des cartes dans un jeu politique chamboulé. Avec la formation d’extrême droite Fratelli d’Italia aux portes du pouvoir.
Seulement quatre ans se sont écoulés, une ère géologique dans le laboratoire politique italien. En mars 2018, au lendemain des dernières élections législatives, l’Italie s’était réveillée avec deux blocs qui revendiquaient la légitimité de composer un gouvernement mais sans la majorité nécessaire pour gouverner. La coalition des droites menée par la Ligue de Matteo Salvini s’était imposée en première force parlementaire et le Mouvement 5 Etoiles (M5S) était devenu la formation la plus importante du pays, devant le Parti démocrate (centre-gauche) qui avait subi les plus mauvais résultats de son histoire.
Finalement, durant la législature transformée en chaise musicale politique, chacun d’entre eux a exercé le pouvoir. Le premier gouvernement de Giuseppe Conte a d’abord réuni le mouvement fondé par l’humoriste Beppe Grillo et la Ligue avant que la formation de Matteo Salvini ne soit remplacée par le Parti démocrate dans une équipe « Conte II ». En février 2021, au terme d’une nouvelle crise, l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a à son tour constitué un gouvernement « de large coalition » pour gérer la pandémie et le plan de relance européen, soutenu par la quasi-totalité des partis représentés au Parlement, de la gauche à l’extrême droite. Cette unité s’est toutefois fissurée au fil des dossiers jusqu’à sa chute en juillet dernier et l’organisation d’élections anticipées.
Le pouvoir est à droite
Les mêmes blocs se présentent au scrutin ce dimanche mais les rapports de force ont bien changé. Selon les derniers sondages publiés début septembre avant leur interdiction dans la dernière ligne de la campagne, la coalition des droites navigue autour des 45% des intentions de votes et pourrait obtenir la majorité absolue au Parlement. Une potentielle victoire éclatante pilotée par la nouvelle locomotive Fratelli d’Italia, créditée de plus de 25%. La formation d’extrême droite a pris le dessus sur ses partenaires au sein de l’alliance, la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, à tel point que sa leader Giorgia Meloni se présente comme l’inéluctable future Première ministre, la première femme à s’installer à Palazzo Chigi.
Alors membre discret de la coalition des droites, Fratelli d’Italia n’avait récolté que 5% des voix à la Chambre et au Sénat aux élections de 2018. Mais il est monté en puissance depuis les bancs de l’opposition pendant quatre ans, n’a participé ni aux gouvernements Conte ni à l’aventure Draghi, et récolte désormais les fruits de sa critique méthodique de la gestion de la crise sanitaire, de l’utilisation des fonds européens, de la politique d’immigration et des autorités « esclaves des pouvoirs forts ». Le parti se décrit comme « le mouvement des patriotes et des conservateurs » mais ne peut dissimuler son arbre généalogique fasciste, héritier du Mouvement social italien (MSI) fondé en 1946 par des dignitaires du régime de Mussolini.
Giorgia Meloni assure avoir « relégué le fascisme à l’histoire » et refuser le modèle du régime autoritaire, sa stratégie de normalisation est toutefois rattrapée par les écarts de membres nostalgiques du Duce. Rien que cette semaine, un candidat du parti a été suspendu pour avoir qualifié Adolf Hitler de « grand homme d’Etat » sur les réseaux sociaux tandis qu’une vidéo montre un responsable de Fratelli d’Italia en Lombardie effectuer un salut fasciste (un salut militaire, selon lui) lors des obsèques d’une figure de l’extrême droite milanaise.
Un troisième pôle
Face au cartel des droites favori des bookmakers, le leader du Parti démocrate Enrico Letta a tenté de s’ériger en rival naturel d’une candidate qui veut « faire exploser l’Europe, le plus grand désir de Poutine ». « Seuls ceux qui voulaient se laisser berner ont cru à la modération de Meloni », a-t-il expliqué au quotidien La Repubblica. « Plus on se rapproche du jour de l’élection, plus on se rend compte de la gravité de la victoire de la droite. » L’ancien Premier ministre (d’avril 2013 à février 2014), allié à de petites formations de gauche et pro-européennes, est cependant accusé de se contenter d’une campagne « anti-Meloni » et part avec une longueur de retard après l’échec du projet d’union avec un groupe centriste.
Composé notamment d’un autre ancien Premier ministre, Matteo Renzi, cet invité surprise des élections veut s’imposer comme le « troisième pôle » de la politique italienne et pourrait grappiller de précieuses voix à la coalition de centre-gauche.
Une troisième place contestée au Mouvement 5 Etoiles, en chute libre en raison d’une crise interne et d’identité. Dirigée par Giuseppe Conte, la formation a perdu plus de la moitié de ses parlementaires pendant la législature à cause de plusieurs scissions et a rarement dépassé les 15% dans les intentions de vote. Son fondateur Beppe Grillo fait d’ailleurs partie des grands absents de la campagne électorale. La grande inconnue du taux de participation pourrait néanmoins démentir les pronostics et rééquilibrer les rapports politiques. Selon les dernières estimations, environ 40% des Italiens avaient l’intention de ne pas se rendre aux urnes ou attendaient les derniers jours de la campagne pour faire leur choix. Potentiellement le premier parti d’Italie.