Franklin Dehousse
L’Europe, réellement seule (carte blanche)
Pour contribuer réellement au maintien de la coopération internationale, il nous manque trois instruments : une monnaie internationale, une réelle puissance armée, et la maîtrise de la nouvelle vague technologique. Pour le moment, les trois manquent.
L’histoire future identifiera ces dernières années comme une rupture dans les relations internationales. La grande crise financière de 2008 a diminué tous les Etats développés (et spécialement l’Europe, qui l’a gérée avec les plus mauvais résultats de tous). A suivi la résurgence de l’agressivité russe, non seulement en Ukraine, mais envers l’Otan et sur Internet. En même temps s’aggravait la dictature communiste en Chine, non seulement à Hong Kong et dans les camps de concentration du Xinjiang, mais aussi dans les mers asiatiques et sur Internet. En 2016, l’élection de Trump a marqué un déclin de l’Otan et du système de coopération internationale en général, comme on le voit encore maintenant avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS). D’autres puissances régionales importantes (Inde, Brésil, Turquie) connaissent des évolutions similaires.
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Les dirigeants européens ont affronté jusqu’ici cette évolution de leur manière habituelle : beaucoup d’incantations, peu d’action. Ils prient silencieusement chaque jour pour que Trump ne soit pas réélu. Dans les moments intoxiqués par l’opium de leur pseudo-grandeur, ils rêvent que l’Europe reprend le leadership du système international. Le rôle principal est alors dévolu à Mme Merkel (elle-même reine des incantations et du peu d’action).
Tout cela nourrit d’innombrables discours, mais ne répond nullement à la crise. La dictature est revenue à la mode, l’Etat de droit décline partout (même aux Etats-Unis, et même dans l’Union européenne). La coopération internationale est combattue partout (dans l’Union européenne aussi). Aux Etats-Unis, il faudrait non seulement le renversement de Trump, mais aussi du Parti républicain au Sénat, pour changer la tendance. Même dans ce cas, beaucoup d’autres problèmes demeureront, à commencer par la priorité à l’Asie fixée à Washington.
Une partie de la difficulté provient de l’Europe elle-même, poussive et passéiste, comme il se doit pour un vieux continent. Pour contribuer réellement au maintien de la coopération internationale, il nous manque trois instruments : une monnaie internationale, une réelle puissance armée, et la maîtrise de la nouvelle vague technologique. Pour le moment, les trois manquent. L’Europe, réellement seule, manque de leviers pour attirer des alliés. La Commission européenne de Mme von der Leyen se présente comme » géopolitique « . Ce n’est pas mal vu, mais reste insuffisant, spécialement avec un système institutionnel bouffi et arthritique. Les instruments traditionnels de l’Union, comme le marché unique et la politique commerciale, ne suffisent pas du tout à exercer une influence réelle dans le monde (spécialement quand ils sont d’abord au service d’une politique malthusienne systématique de surplus commerciaux).
La seule manière d’avoir une vraie stratégie géopolitique consisterait à développer de réelles armes géopolitiques, ce qui requiert une nette réorientation des priorités de l’Union européenne – et certaines adaptations institutionnelles. Un exercice que, par essence, les bureaucraties diplomatiques détestent car il impose des redistributions de pouvoir. L’histoire des vingt-cinq dernières années indique que l’Union tend à réagir trop peu et trop tard à ces défis. Il faut espérer que cela changera avant que nous perdions toute influence sur l’évolution du monde.
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