Le Parlement européen estime qu’il faut bloquer les fonds à la Hongrie
Le Parlement européen a approuvé à Strasbourg, où il est réuni en plénière, une résolution estimant que la Hongrie n’a pas suffisamment progressé pour éliminer toutes les inquiétudes liées à la lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts qui peuvent menacer la bonne utilisation des fonds européens.
La Hongrie s’est engagée à mettre en place 17 mesures correctives, dans l’espoir de débloquer des fonds de cohésion que le Conseil (États membres) pourrait décider de suspendre. Mais selon le texte voté jeudi, porté par les quatre plus grands groupes du Parlement (PPE, S&D, Renew, Verts/ALE) et par La Gauche, ces 17 mesures « ne sont pas suffisantes pour supprimer le risque systémique actuel pour les intérêts financiers de l’Union ».
Le Parlement européen invite donc la Commission à reconnaitre ce risque dans sa prochaine évaluation, et espère que le Conseil approuvera (à la majorité qualifiée) des mesures de protection du budget de l’Union (c’est-à-dire la suspension de fonds), jusqu’à ce qu’il soit démontré qu’il y a une amélioration durable en Hongrie sur tous les points problématiques. Selon la proposition de la Commission datant de septembre, la suspension pourrait concerner jusqu’à 7,5 milliards d’euros relevant de fonds de cohésion.
Le Conseil a jusqu’au 19 décembre pour se prononcer, mais attend encore une nouvelle évaluation de la Commission européenne. C’est cette dernière qui avait décidé il y a plusieurs mois d’utiliser pour la première fois le « mécanisme de conditionnalité » envers la Hongrie, constatant toute une série de manquements pouvant mettre en péril la bonne utilisation des finances de l’UE. Comme l’a rappelé Didier Reynders lundi lors du débat en plénière, l’exécutif européen avait considéré qu’il y a en Hongrie « des irrégularités, déficiences et faiblesses systématiques dans les marchés publics, des insuffisances dans la détection, prévention et correction des conflits d’intérêt », et des inquiétudes « quant à l’usage de fonds de l’Union par des fiducies d’intérêt public ». Tout cela avec des manques dans « le cadre anti-corruption » et des enquêtes et poursuites judiciaires trop faibles en cas de fraude.
Mais le commissaire a aussi rappelé que pour la Commission, une implémentation efficace et durable des 17 mesures proposées par Budapest est bien de nature à répondre aux inquiétudes soulevées dans le cadre du mécanisme de conditionnalité. Une opinion que la majorité du Parlement ne partage pas.
Parallèlement, la Hongrie est le seul pays dont le plan de relance n’a toujours pas été approuvé au niveau européen. Un plan de relance soumis il y a plus d’un an (en mai 2021) et qui comptait sur 7,2 milliards de subventions UE (montant ensuite revu à 5,8 milliards). Là, la Commission s’inquiète non seulement pour la lutte contre la corruption, mais aussi pour l’indépendance du système judiciaire. Les plans de relance se doivent en effet de respecter les recommandations par pays du Semestre européen, et ce domaine en fait partie pour la Hongrie.
Le Parlement européen est d’avis qu’il y a toujours un « risque de détournement des fonds » du plan de relance et demande à la Commission de ne pas donner d’évaluation positive du plan tant que la Hongrie ne « se sera pas pleinement conformée à toutes les recommandations dans le domaine de l’état de droit et qu’elle n’aura pas mis en œuvre tous les arrêts pertinents de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme ».
La Hongrie tente entre-temps de faire pression sur les autres institutions en bloquant au Conseil des décisions a priori complètement distinctes, celle sur une aide (prêt) de 18 milliards à l’Ukraine et celle sur l’imposition minimale des grandes sociétés. Une utilisation « abusive » de la règle de l’unanimité que le Parlement déplore.
Le texte a été voté à 416 voix pour, 124 contre et 33 abstentions. Côté belge, les élus N-VA Geert Bourgeois et Johan Van Overtveldt (groupe ECR) se sont abstenus, et les élus Vlaams Belang (groupe ID) ont voté contre.
Du côté des principaux groupes, qui ont voté pour, on pointe que les 17 mesures convenues par Budapest et Bruxelles dans le cadre de la conditionnalité, dont la création d’une autorité indépendante anticorruption, n’abordent pas l’intégralité du problème démocratique en Hongrie. Les mesures « ne répondent pas à l’ensemble des déficiences pointées par la Commission européenne pour garantir une démocratie fonctionnelle », note Saskia Bricmont (Ecolo, Verts/ALE). Il faut donc « accentuer la pression ». « La crédibilité de l’UE à faire respecter l’État de droit et la démocratie tels que définis dans les traités européens en dépend », indique-t-elle. « Les fonds européens sont le seul moyen de pression efficace que l’on a pour contrer la politique d’Orban de destruction de l’État de droit en Hongrie », estime également l’élue Open Vld Hilde Vautmans (Renew). Ayant pris la parole en plénière, le CD&V Tom Vandenkendelaere (PPE) a rappelé que le Parlement avait estimé en septembre dernier que la Hongrie ne peut « plus être considérée comme une démocratie à part entière ».
Différents médias dont La Libre Belgique révélaient jeudi que la Commission recommandera la semaine prochaine d’effectivement geler une partie des fonds de cohésion destinés à Budapest, n’étant pas satisfaite de l’implémentation des fameuses 17 mesures. Mais qu’elle s’apprête parallèlement à donner son feu vert pour le plan de relance. L’approbation du plan de relance serait cependant, à l’instar de ce qui avait été imaginé pour le plan polonais, assortie d’une série de jalons obligatoires, préalables aux déboursements de subventions et reprenant les demandes européennes aussi bien en matière de lutte contre la corruption que d’indépendance de la justice.